41 circonscriptions multiculturelles pourraient faire pencher la balance

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Le Grand Remplacement canadien : 8 circonscriptions immigrées de plus qu'en 2015


Le Canada compte désormais 41 circonscriptions composées majoritairement de minorités visibles. C’est huit de plus que lors des dernières élections fédérales. Ces champs de bataille clés, souvent des comtés pivots, pourraient jouer un rôle décisif le 21 octobre. Les conservateurs qui avaient perdu la grande partie de ce bloc en 2015 sont-ils mieux placés pour regagner ces sièges?




Quelque chose d’ironique s’est produit dans la circonscription d’Ajax, en banlieue de Toronto.


Elle a connu la plus forte hausse de résidents issus des minorités visibles. Un bond de 11 % en 5 ans.


L’ironie? Ce comté était représenté par l’ancien ministre de l’Immigration, Chris Alexander, défait en 2015.


C’est lui qui avait présenté la promesse électorale conservatrice d’instaurer une ligne de dénonciation pour signaler des cas présumés de pratiques culturelles barbares. Cette annonce lui a collé à la peau et s’est ajoutée aux prises de position controversées des conservateurs, tant sur la révocation de la citoyenneté que sur le niqab.


Tout cela allait être néfaste pour Stephen Harper et son parti, qui avaient mis tant d’efforts à conquérir les communautés culturelles.


Linda et Ernest Ombrog d’origine philippine sont assis sur un banc.

Linda et Ernest Ombrog, d’origine philippine, demeurent à Ajax. En cinq ans, cette circonscription à l’est de Toronto a connu la plus forte hausse de population de minorités visibles au Canada.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout




À la gare de train de banlieue d’Ajax, un couple originaire des Philippines attend le prochain départ. Linda et Ernest Ombrog ont entendu parler de cet épisode même s’ils sont arrivés au Canada après l’élection fédérale de 2015.


Nous n’avons pas tout à fait confiance, dit Ernest Ombrog. Je ne crois pas que nous voterons pour les conservateurs, ajoute sa femme.


Quelques mètres plus loin se trouve Abdol Nadi, un chirurgien devenu chauffeur de taxi. Cet Afghan raconte que la plupart des immigrants qui se sont installés à Ajax dans les dernières années sont surtout originaires du Tadjikistan, de l’Inde, du Pakistan et de l’Afghanistan. Plusieurs sont ses clients.


Abdol Nadi, d’origine afghane, est au volant de son taxi.<br>

Abdol Nadi d’origine afghane est au volant de son taxi à Ajax, en Ontario.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout




Je sens une méfiance chez certains, à tort ou à raison. Même si je trouve que les libéraux sont loin d’être parfaits, je préfère encore les appuyer, affirme-t-il.



Les stratégies de campagne de 2015 semblent toujours avoir laissé un goût amer, à tout le moins dans ce comté.


De 33 à 41


À l’époque, Ajax ne faisait pas encore partie des circonscriptions fédérales dont la population est majoritairement composée de minorités visibles. Elle est une des huit circonscriptions qui se sont ajoutées à la liste depuis 2015.



 


Andrew Griffith, expert en multiculturalisme, a décortiqué les données. Cet ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Immigration constate que 27 de ces 41 circonscriptions sont situées en Ontario, 9 en Colombie-Britannique, l’Alberta et le Québec en ont chacune 2 tandis qu’une autre se trouve au Manitoba.



On ne peut pas gagner de gouvernement majoritaire sans gagner ces comtés-là.


Andrew Griffith, expert en multiculturalisme


Lors du scrutin de 2015, les libéraux ont décroché 85 % de ces circonscriptions, 35 sur 41. Les conservateurs et les néo-démocrates ont dû se contenter de trois sièges chacun.


Des passagers viennent de sortir du train de banlieue dans la région de Toronto.

La population du comté de Scarborough-Nord, en Ontario, est composée à 92 % de minorités visibles. Au Canada, 17 circonscriptions fédérales ont maintenant une population composée de plus de 70 % de minorités visibles.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout




Andrew Griffith explique qu’on ne peut plus parler des populations immigrantes comme d’un bloc monolithique. Les groupes qui sont arrivés il y a 20 ans ont peut-être une tendance à être plus conservateurs. Mais ceux qui ont suivi ne sont pas liés automatiquement et continuellement à un parti politique, précise le chercheur.


Les placer dans des cases précises serait une erreur, selon lui. Ils peuvent faire un virage plus à gauche comme ils peuvent faire un virage à droite.



Ce sont des circonscriptions pouvant passer d’un parti à l’autre. Bien entendu, cela a une incidence constante sur les stratégies électorales des différents partis.


Andrew Griffith, expert en multiculturalisme


Une photo d'Andrew Griffith.

Andrew Griffith, expert en multiculturalisme et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’Immigration.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout




En 2011, les conservateurs avaient gagné la majorité de ces comtés. En 2015, ils sont passés aux mains des libéraux. Et fait à considérer, lors de l’élection provinciale ontarienne de 2018, Doug Ford et les progressistes conservateurs les avaient presque tous raflés.



Kenney, la carte maîtresse?


Les conservateurs aimeraient bien pouvoir compter sur le premier ministre albertain Jason Kenney dans cette campagne pour venir donner un coup de main à Andrew Scheer dans certaines de ces circonscriptions en Ontario. Ce scénario est toujours sur la table même si aucune stratégie n’a encore été arrêtée.


Jason Kenney, autrefois ministre de l’Immigration du gouvernement Harper, avait été l’architecte de la grande séduction du Parti conservateur à l’endroit des communautés culturelles.


Mais le simple fait de vouloir avoir recours au premier ministre albertain démontre que les efforts de rapprochement n’ont pas été suffisants depuis l’arrivée d’Andrew Scheer à la tête de son parti, estime Ghanaharan S. Pillai.


Ghanaharan S. Pillai, animateur d’émissions politiques à la radio et à la télé tamoule est assis dans un studio.

Ghanaharan S. Pillai, animateur d’émissions politiques à la la station tamoule CMR de Toronto.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout





L’interaction entre les communautés et le Parti conservateur n’est plus celle qu’elle était sous les années Harper.


Ghanaharan S. Pillai


Pourtant, ils auraient une occasion à saisir.


Selon cet animateur à la radio et télévision tamoule de Toronto qui observe depuis des années le jeu politique dans les communautés culturelles, Justin Trudeau ne jouit pas nécessairement de la même popularité qu’en 2015. Si les libéraux ont maintenu leur base, ils ne l’ont pas pour autant élargie ajoute-t-il.


Mais les conservateurs ne contrôlent pas tout. Au-delà du travail sur le terrain, pour Ghanaharan S. Pillai, le principal défi pour eux est de surmonter un obstacle susceptible d’avantager ses adversaires : Doug Ford.


Le premier ministre ontarien a été porté au pouvoir notamment grâce à l’appui de cet électorat composé majoritairement d’immigrants. Or, depuis, Doug Ford a particulièrement mauvaise presse dans les médias multiculturels constate Andrew Griffith qui analyse régulièrement leur contenu. Ils sont très sévères à son endroit.


Le facteur médiatique


C’est un facteur non négligeable.


Il existe pas moins de 600 médias multiculturels au Canada. Plus de la moitié se trouvent dans la grande région de Toronto. Leur influence est importante dans les communautés.


Un résident de Brampton, en Ontario, lit un journal en pendjabi.

Un résident de Brampton, en Ontario, lit un journal en pendjabi.


Photo : Radio-Canada / Marc Godbout




Dans ses émissions de radio, Ghanaharan S. Pillai est à même de constater le sérieux bris de confiance envers Doug Ford qui s’est créé après à peine 15 mois.


À quel point cette méfiance se répercutera-t-elle contre Andrew Scheer?


À quel point le chef conservateur réussira-t-il à faire oublier les stratégies de campagne de 2015?


L’enjeu est majeur. Après tout, 41 circonscriptions, c’est désormais 9 de plus que celles des quatre provinces de l’Atlantique réunies. 41, presque le même nombre de sièges qu'en Colombie-Britannique.


Notre dossier Élections Canada 2019



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