CLIMAT

2015, une année charnière

Il y aura le sommet de Paris, mais aussi des choix cruciaux au Québec

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Un virage non seulement injustifiable, mais aussi immoral vu les risques

L’année qui débute sera cruciale pour l’avenir du climat de la planète. Elle le sera tout autant pour les orientations énergétiques décisives du Québec. Alors que progressent les projets d’exploration pétrolière et ceux de son transport, le virage résolu de la province vers les énergies fossiles risque fort de se préciser en 2015.

L’avertissement a été servi au début de 2014 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : il reste à peine une quinzaine d’années pour mettre en place les mesures qui permettraient de freiner les bouleversements climatiques.

Pour y parvenir, il faudra que l’humanité, qui carbure essentiellement au pétrole et au charbon, réduise radicalement ses émissions de gaz à effet de serre. La tâche apparaît colossale. À moins d’un an du sommet de Paris, il est toujours impossible de savoir si les 195 États qui négocient le futur accord de lutte contre les changements climatiques parviendront à dépasser leurs intérêts nationaux à court terme.
Le gouvernement canadien a annoncé ses couleurs au moment où se tenait, le mois dernier, la rencontre onusienne de Lima, au Pérou. Stephen Harper a alors fait savoir qu’il n’entend pas réglementer le secteur pétrolier et gazier, pourtant responsable de la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre (GES) au pays.

Le Québec, qui tire 40 % de son énergie de son parc hydroélectrique, fait meilleure figure, même si le pétrole compte pour 38 % du bilan de la province. Selon les données du gouvernement, le Québec serait même en voie d’atteindre son objectif de réduction de 20 % des GES, par rapport à 1990, d’ici 2020.

Les environnementalistes doutent cependant que cet objectif soit réaliste. Même si le gouvernement Couillard a ajouté le volet « lutte contre les changements climatiques » au nom du ministère de l’Environnement, le plan de lutte 2013-2020 n’est pas encore élaboré. Or, une bonne part des réductions d’émissions observées jusqu’ici est due au ralentissement économique. Pour parvenir à atteindre la cible de la fin de la décennie, il faudra donc redoubler d’efforts, d’autant plus que le bilan québécois s’alourdira à cause, notamment, de la cimenterie à Port-Daniel.

La route du pipeline

Favorables au projet de pipeline Énergie Est de TransCanada, les libéraux pourraient en outre contribuer à faire du Québec un point de passage névralgique pour l’exportation du pétrole des sables bitumineux.

Le gouvernement a certes promis de mandater le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour étudier le dossier, mais le mandat n’a toujours pas été accordé. En fait, le ministère a confirmé récemment au Devoir qu’il n’a toujours pas reçu d’avis de projet de TransCanada concernant les 700 kilomètres de pipeline à construire en sol québécois. Un tel avis a pourtant été déposé en mars 2014 pour le projet de port pétrolier de Cacouna.

Le temps presse pour le Québec, alors que l’Office national de l’énergie a déjà entamé le processus d’évaluation fédéral. Les audiences, au cours desquelles le gouvernement Couillard doit en théorie présenter sa position, doivent se tenir à l’automne 2015. Le BAPE aura donc fort à faire pour étudier ce projet de plus en plus controversé en à peine quelques mois.

Le gouvernement Harper ne cache évidemment pas son préjugé très favorable envers le projet de TransCanada, dans un contexte de croissance annoncée de la production pétrolière albertaine. Surtout qu’à lui seul, le projet Énergie Est transportera autant de pétrole chaque jour que les projets toujours bloqués de Keystone XL et Northern Gateway réunis. Énergie Est fera couler 401 millions de barils par année vers le Québec. Le projet est d’autant plus important pour l’industrie pétrolière que le brut albertain pourrait bien ainsi passer par le Québec pour prendre la route de l’Europe.

Si le projet Énergie Est doit être construit d’ici 2019, celui de l’inversion du pipeline 9B d’Enbridge doit en théorie se concrétiser dès cette année. Quelque 300 000 barils couleront alors vers Montréal chaque jour, en traversant des cours majeurs de la région, dont certains servent de source d’eau potable. Même si la Communauté métropolitaine de Montréal craint les impacts d’un éventuel déversement, cet afflux d’or noir serait bien vu par les deux raffineries encore en activité au Québec. À lui seul, ce pétrole de l’Ouest pourrait remplacer pratiquement toutes les importations.

Vers la production ?

Même si ce pipeline vieux de 40 ans pourrait combler presque tous les besoins de la province, les entreprises actives dans la recherche de pétrole au Québec continuent de jouer la carte de l’or noir « local » pour vendre leurs projets. Et certains de ceux-ci pourraient permettre de confirmer des potentiels d’exploitation commerciale en 2015.

Certes, le Québec n’en est pas à ses premiers projets vantant le potentiel en hydrocarbures du sous-sol de la province. En fait, ceux-ci naissent et meurent régulièrement depuis plus de 150 ans. Mais cette fois, c’est la technique de fracturation qui suscite le plus d’espoir chez les pétrolières, et le plus de craintes chez les citoyens.

Le gouvernement a d’ailleurs misé des dizaines de millions de dollars en 2014 dans une nouvelle campagne d’exploration pétrolière sur Anticosti, où on pourrait retrouver un potentiel de milliards de barils de pétrole de schiste. Les travaux menés l’an dernier ont cependant pris du retard. Seuls 6 des 18 forages ont été complétés, ce qui repousse la suite des choses. Impossible, dans ce contexte, de savoir si le gouvernement devra mettre davantage de fonds publics dans cette aventure risquée.

Les choses progressent plus rondement pour Junex et Pétrolia en Gaspésie. Les deux entreprises ont entamé de nouveaux forages horizontaux avant la fin de 2014. Ils pourraient permettre de confirmer les premiers potentiels d’exploitation du Québec. Les deux pétrolières ont déjà extrait du sol un certain nombre de barils de brut au cours des dernières années, mais uniquement en phase exploratoire.

Le Québec doit en outre mettre en place les outils législatifs qui permettront de réaliser des forages dans le golfe du Saint-Laurent, dans le secteur nommé Old Harry. Le potentiel pétrolier ou gazier de cette structure sous-marine demeure cependant très hypothétique, puisqu’aucun forage n’y a été réalisé. Et pour le moment, un moratoire sur l’exploration est toujours en vigueur pour le golfe, où les risques environnementaux sont multiples et majeurs, selon l’évaluation environnementale stratégique menée pour le compte du gouvernement par la firme Genivar.

Encadrement à venir

Étonnamment, même si les projets progressent sur le territoire, il n’existe toujours aucune loi spécifiquement conçue pour encadrer l’exploration et l’exploitation de pétrole et de gaz au Québec. Avant de déposer un projet de loi, le gouvernement a lancé l’été dernier une évaluation environnementale stratégique (EES) incluant les cas très distincts d’Anticosti, de la Gaspésie et du golfe.

Le comité qui dirige les travaux, dirigé par des représentants du gouvernement, a à peine un an pour compléter le tout. Il s’agit de délais très courts, compte tenu de la complexité des dossiers. À titre de comparaison, le rapport de l’EES réalisée par Genivar pour le golfe a nécessité près de trois ans de travaux. Un projet de loi sur les hydrocarbures doit en théorie suivre à l’automne 2015.

Il faudra par ailleurs voir ce que fera le gouvernement avec le dossier du gaz de schiste, après le récent rapport très critique du BAPE. Si le Québec ne va pas de l’avant avec le gaz de schiste, qu’adviendra-t-il des permis d’exploration qui tapissent toujours tout le sud de la province ? Le lobby gazier a rappelé, dans la foulée du rapport du BAPE, que l’industrie a déjà investi des dizaines de millions de dollars ici. Est-ce que le gouvernement pourrait être forcé de dédommager ces entreprises, même si aucun potentiel gazier n’a été clairement démontré ? Il faut rappeler que l’entreprise Lone Pine Resources a réclamé 250 millions de dollars au gouvernement en guise de compensation à la suite de l’interdiction de l’exploration sur les îles de l’estuaire du Saint-Laurent.

Alors que s’ouvre une année placée sous le signe d’intenses négociations climatiques internationales, le Québec pourrait mettre en place tout le nécessaire pour se tourner résolument vers l’exploitation et le transport d’énergies fossiles. Les scientifiques du climat s’entendent pourtant pour dire qu’il importe dès maintenant de se donner les moyens de s’en éloigner, sous peine de bouleverser durablement la vie sur Terre.

Le débat autour de la future politique énergétique sera certes l’occasion de débattre des orientations futures pour le Québec. Le gouvernement Couillard, qui dit vouloir faire preuve de « transparence », a toutefois décidé de lancer la réflexion devant mener à son élaboration en pleine période des Fêtes.


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