2006, suite... et fin ?

Par Girard-Jean-Yves

Bonne Année 2007

Jan Wong, notre amie du Globe & Mail, a disparu de la circulation (et grouillez-vous le chow mein si les mots «buffet chinois Bill Wong» vous font frémir les papilles). Les vitres givrées du YMCA de l'avenue du Parc? La rumeur court que le Y a changé d'idée. Fumer en toute liberté dans un bar? Oui, c'est encore possible, et pas caché dans les vécés. 2007 est là mais l'actualité de 2006 n'a pas encore dit son dernier mot.
Bill Wong 1963-2007 R.I.P.
Dimanche, quelques semaines après le fameux Ben's, son smoked-meat, ses photos de stars (Piaf, Bogart, Pierre Marcotte) et son escadron de serveurs momifiés, une autre page de l'histoire de la gastronomie locale sera tournée: Bill Wong, buffet chinois du boulevard Décarie, tirera sa révérence.
Ce jour-là, Jan Wong, l'une des gosses de Bill et journaliste vedette du Globe & Mail, versera peut-être une larme amère, pleurant la fin du riz frit paternel agrémenté de légumes décongelés et ratatinés qui a payé ses études en Chine et aux États-Unis. L'ex-Montréalaise pissera ensuite sûrement son fiel habituel sur ses anciens compatriotes qu'elle adore mépriser, ces Québécois «de souche» et leurs «batailles linguistiques aliénantes», qui poussent les immigrants à la rue, quand ce n'est pas au meurtre.
À l'heure du lunch, vendredi dernier, l'ombre maléfique de Jan flottait au-dessus des plats chauffés, suivie d'un oeil assassin par les crevettes à l'ail baignant dans l'huile et bâillant aux corneilles (j'ai compté plus de crustacés que de convives).
En se servant de la tuerie au collège Dawson pour appuyer sa théorie personnelle voulant que, comme d'autres cinglés avant lui (Marc Lépine -- Gamil Gharbi de son véritable nom, «only half French-Canadian, he was also half Algerian» -- et Valérie Fabrikant, né en Russie), Kimveer Gill «avait été marginalisé dans une société qui valorise les pure laine», la journaliste a jeté l'opprobre sur sa famille. Et sur ce resto, quand fut révélé le lien (ténu, précisons-le) entre elle et les rondelles d'oignon de ce buffet chinois.
En entrevue dans La Presse, Earl Wong, l'un des deux frères de Jan qui dirige l'institution depuis la retraite du patriarche, avouait récemment fréquenter peu sa célèbre frangine déconnectée de notre réalité (normal, elle vit depuis des siècles à Toronto). Prendre médiatiquement ses distances est de bonne guerre: pour le business, une telle tache sur son blason, ça craint. Earl a appris la leçon.
En 1991, Bill Wong a écopé d'une amende salée (rendue publique dans quelques quotidiens) pour insalubrité: souris en putréfaction dans la cuisine, aliments en décomposition, gouttes de graisse qui tombaient de la hotte de ventilation dans les appareils de cuisson, bref, on a compris et bon appétit si vous êtes en train de petit-déjeuner.
Pour faire amende honorable, papy Bill a alors acheté de pleines pages de publicité dans les journaux, invitant les clients à venir constater le départ de feu le rongeur et se sustenter gratuitement le midi pendant deux jours. Un cas rare, unique même, dans les annales de la restauration.
La bombe Jan a-t-elle nui au commerce, précipitant sa fin? Earl aurait-il dû convier la populace à bouffer ses wonton pendant quelques jours, avec une poupée vaudou de soeurette tricotée pure laine bien en évidence près des tartes?
L'idée est alléchante, plus que tout ce gras trans qui mijotait la semaine dernière, plus aussi que ce qu'on dit depuis trop longtemps sur cet établissement. Lu (en anglais) dans le site restomontreal.ca: «J'ai été malade pendant deux jours après avoir mangé chez Bill Wong. Pas reçu d'excuses. Very rude attitude.» Un commentaire récent, rédigé en septembre dernier, et que je n'ai pas pu chasser de mon esprit.
J'ai finalement grignoté si peu (une vraie souris au régime) que j'ai piqué une assiette en guise de dédommagement. Et de souvenir.
P.S.: La poupée vaudou ne sera peut-être pas nécessaire: la dernière chronique de Jan Wong parue dans le Globe remonte à la semaine suivant son delirium post-Dawson, fin septembre. Ni le quotidien canadien ni Jan n'ont répondu à mes multiples courriels qui leur demandaient why. La faute des séparatistes, sans doute.
- Bill Wong, 7965, boulevard Décarie, Montréal, Tél. 514 731-8202.
P.S. bis: L'autre Bill Wong, celui sur Sherbrooke Est où Claude Blanchard a eu sa table pendant 35 ans, est dirigé par l'autre frère de Jan et s'appelle depuis quelque temps déjà Beni Hana. On y sert de la cuisine japonaise.
***
YMCA: air connu mais nouveau couplet
Janvier, mois des résolutions...
- Arrêter de fumer.
- Travailler plus.
- Détailler sa vie platte moins fort au cellulaire dans l'autobus.
- Travailler plus (bis).
- Aimer son prochain, même Marie-Chantal Toupin.
- Et surtout, après le gavage des Fêtes, se remuer le popotin. La même rengaine revient tous les ans, les centres de conditionnement physique l'ont entendue et dépensent ces jours-ci le gros de leur budget de pub.
Bonne nouvelle pour le YMCA de l'avenue du Parc: toute publicité est actuellement superflue. Aujourd'hui, on sait tous que: 1- le Y a pignon sur une rue qui va changer de nom, et 2 - que le yoga se pratique dans une salle de cours aux fenêtres neuves et diaphanes, gracieuseté de la communauté juive.
Deux mois après le début du psychodrame national «Ma vitre est un jardin de givre payé par les hassidiques», le sujet est encore aussi brûlant qu'un kugel 1 sortant du four.
«À Noël, des membres de ma famille qui vivent en Ontario m'en ont parlé», m'a confié la semaine dernière un gentil membre du personnel dans la vingtaine, après avoir requis l'anonymat. «Au Y, c'est un secret d'État, il ne faut pas en parler, surtout pas aux journalistes. Moi, je trouve ça ridicule, toute cette histoire autour d'un local et de ses quatre fenêtres. Elles donnent sur une ruelle laide et des buildings tout croches, la vue n'est pas belle, il n'y a rien à voir. Les gens aiment ça, se plaindre. Mais ce que personne ne veut dire, c'est qu'il y a une montée de l'antisémitisme. C'est clair.»
Pour examiner, voire toucher des doigts «l'affaire» qui a fait tant jaser, je me suis donc déguisé en taupe la veille du jour de l'An. Le scénario: jouer le gars qui désire se délester de trois ou quatre des 39,284 calories engrangées au réveillon et qui, par un pur hasard tiré par les peyes 2, pénètre dans la fameuse pièce.
«S'il n'y a pas de cours, le local sera fermé à clé, et je ne l'ai pas», m'avait averti mon contact. Borekhashe'm 3, la porte était ouverte... et l'endroit, vide de tout adepte du yoga en tenue moulante et cul par-dessus tête dans une position circassienne qui, entraperçue d'une maison voisine par un novice curieux et tiraillé par ses hormones, pourrait être mal interprétée. Enfin, c'est ce que redoute la communauté juive ultra-orthodoxe qui vit sur sa propre planète, loin, très loin, de l'autre côté de la ruelle.
Le soleil de fin d'après-midi entrait à profusion... d'une seule fenêtre: le verre des trois autres, givré, voilait pudiquement les rayons de l'astre.
Réaction: oh!
Interrogations: pourquoi et quand a-t-on remis une vitre «normale»? Est-ce cela, le jugement de Salomon version tardive YMCA: «Comme je suis raisonnable et que chu PU capable d'en entendre parler, j'en garde trois givrées mais j'en remets une transparente pour accommoder chialeux et chialeuses»?
Réponse: un scoop, en réalité, donné par un autre membre du personnel, cette fois une femme dans la cinquantaine qui passait par là. Constatant ma présence incongrue dans la salle nue et remarquant mon air ahuri, elle éclaira ma chandelle: «Pendant les vacances de Noël, quelqu'un a lancé un objet dans l'une des vitres givrées. Oui, c'est du vandalisme. Elle a été remplacée par une vitre ordinaire. D'ailleurs, paraît que les trois autres seront aussi remplacées avant le mois de juillet. Ces gens-là devraient mettre des oeillères à leurs enfants s'ils veulent pas qu'ils nous voient.»
Conclusion: c'était bashert 4, le psychodrame n'est pas terminé.
1. Kugel: sorte de pudding aux nouilles, aux patates ou au pain, servi au repas du midi, le jour du sabbat.
2. Peyes: longues couettes de cheveux que les juifs hassidiques portent de chaque côté de la tête.
3. Borekhashe'm: littéralement «Dieu soit béni».
4. Bashert: déterminé par le Très-Haut.
Les mots et leur définition ont été puisés dans Lekhaim!, un fascinant recueil de nouvelles paru l'an dernier aux Éditions du Passage, écrit sous un pseudonyme (Malka Zipora) par une sympathique juive hassidique d'Outremont, maman très affairée de 12 enfants. «Nous vivons les rideaux fermés sur le monde, explique-t-elle en avant-propos. En publiant ces textes, c'est comme si j'avais entrouvert les rideaux de ma maison.» Heureusement pour le lecteur, les vitres de la madame ne sont pas givrées.
- YMCA, 5550, avenue du Parc, Montréal, Tél. 514 271-9622.
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Un tabac
Depuis le 31 mai dernier, les salles de bingo meurent à petit feu. Griller sa clope en espérant que sortent B 7 ou N 33 les yeux rivés sur les boules ou sur un saint porte-bonheur est un plaisir désormais hors la loi. Par contre, les cigar lounges, cadres chic pour déguster un Havane cher roulé par une Cubaine courbée de l'aube au crépuscule sur sa table non ergonomique et payée une misère castriste dans une fabrique infecte, ne dérougissent pas. (Misère! On croirait entendre la fille d'Équiterre ou, pire, Amir Khadir. C'est mon nouveau moi né le 1er janvier qui parle, celui qui veut adopter un bébé photogénique au Malawi ou comprendre quelle mouche a piqué Myriam Bédard. Comme pour les autres résolutions, ce new moi durera un mois.)
Quelle injustice, et quel monde de fous, concluais-je en dessinant d'élégantes volutes au café Gitana. Oui, j'ai fumé dans un bar, je m'imaginais quelque part en Turquie et ce n'était pas un cigare cher roulé par blablabla. C'était du narguilé à la pomme, la saveur la plus prisée des amateurs, a précisé la serveuse «de souche» par-dessus la superbe musique arabisante. «Attention! Le tabac peut être un risque pour votre santé», a ajouté le menu, sans appuyer ce message clair par des poumons noircis et des cigarettes mollassonnes en manque de Viagra.
Toujours bondé, vachement décontract', superbement exotique, artistiquement bordélique, le café Gitana réunit dans son antre une foule joyeusement hétéroclite, maghrébine, branchée, démodée, gaspésienne, européenne, estudiantine, professionnelle, anglophone, esthétique, asiatique, locale, 450, 819 de passage, martienne, juive, agnostique, athée, altermondialiste, je-m'en-foutiste, nombriliste, consumériste sans états d'âme, de 18 à 88 ans. Un fabuleux shish kebab. Le genre d'endroit qui rassure sur l'état de notre société et qui clame que Jan a tout wong.
- Café Gitana, 2080 A, rue Saint-Denis, Montréal, Tél. 514 281-0090, www.cafegitana.ca.
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jyg90@hotmail.com


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