Quel drapeau !
25 juin 2010
Même si certains souhaitent les dissocier, drapeau et politique restent inséparables. Toute l'histoire du fleurdelisé, comme celle des bannières qui l'ont précédé, est en effet marquée du sceau de la politique. Avant son adoption, il est pour Duplessis un drapeau «séparatiste» puisque ses partisans les plus fervents sont les nationalistes de l'école de Lionel Groulx. Une fois adopté, Duplessis l'utilise dans ses campagnes électorales. Il en fait son drapeau, celui de son parti. Il réussit tant et si bien que lors de la campagne électorale de 1960, les libéraux de Jean Lesage «décor[ent] leurs estrades de banderoles rouges ornées de lis blancs et même de lis rouges sur fond blanc». Dans le Devoir du 23 octobre 1962, André Laurendeau, lui-même chaud partisan du fleurdelisé lors de la campagne en faveur de son adoption, rappelle cette période : «Au début, le drapeau devint un peu le drapeau de l'Union nationale. Les libéraux le boudaient; ils ne se montraient guère nationalistes, alors, et se moquaient des fleurs de lis comme de la totonomie. Puis ils comprirent que c'était une erreur. [...] Les uns par opportunisme --comme Duplessis--, les autres par conviction--comme plusieurs duplessistes--, ils prirent donc l'habitude de l'utiliser à leur tour»(115). Avec la Révolution tranquille, le fleurdelisé devient petit à petit le symbole de la spécificité de la société québécoise et de son désir d'émancipation. C'est à cela que s'en prennent, entre autres, les étudiants de Sir-George-William lorsqu'au début de mars 1964, ils descendent, déchirent et jettent dans la rue un drapeau du Québec. En réplique, les représentants des étudiants de la faculté de commerce de l'Université Laval demandent que le Red Ensign qu'ils ont descendu du Centre fédéral de recherches forestières soit envoyé aux étudiants de l'université anglophone avec une lettre de protestation. «Dans le débat enflammé qui suivit, le président des étudiants en Droit, M. Mulroney, [le futur premier ministre du Canada,] se fâcha tout rouge et déclara qu'il ne fallait pas se venger pour chaque maudite bêtise que font les Anglais de la province de Québec(116)». Sur la scène internationale, fleurdelisé et unifolié en viendront régulièrement aux prises. «À l'occasion de controverses publiques qui ont mis aux prises, dans des colloques internationaux, les représentants de Québec et ceux d'Ottawa, à propos de la place respective du drapeau canadien et du fleurdelisé, on a parlé abondamment de ces vaines querelles de drapeaux. Querelles désagréables, déplaisantes, absurdes pour les étrangers, sans doute. Mais vaines? Si les drapeaux ne signifiaient rien, on en ferait des mouchoirs(117)».
Même si certains indépendantistes auraient préféré une autre bannière, tel Raoul Roy qui suggère, dans Pour un drapeau indépendantiste, de choisir entre un tricolore rouge-blanc-violet et le tricolore des Patriotes, le fleurdelisé est rapidement associé, au cours des années 1960 et 1970, à la souveraineté du Québec, puisque les troupes souverainistes l'utilisent avec le bleu comme signe distinctif alors que les troupes fédéralistes préfèrent l'unifolié et le rouge. L'arrivée au pouvoir, en 1976, du Parti Québécois favorise le fleurdelisé. Le nouveau gouvernement réactualise les arrêtés en conseil 1674 du 22 juin 1967 et 2427 du 20 août 1969 qui ordonnent que le drapeau du Québec soit arboré sur les édifices relevant du gouvernement(118), et amende le Code municipal et la Loi des cités et villes pour que les municipalités arborent le fleurdelisé sur leur hôtel de ville(119). En 1978, le ministère des Communications du Québec lance une campagne «visant une plus grande diffusion du drapeau du Québec».
En 1980, le fleurdelisé est un acteur important de la campagne référendaire. Très rapidement, le fleurdelisé devient le signe de ralliement du OUI et l'unifolié, celui du NON. Ainsi, en mars 1980, Michel Fréchette mandate deux cabinets d'avocats, dont celui de Me Paul Trudeau, bâtonnier de Montréal, pour étudier «la Loi sur le drapeau du Québec afin de déterminer si les tenants du OUI --le Comité pro-Québec et la SSJB-- ont le droit d'utiliser le fleurdelisé dans leur publicité». Dans les faits, il s'agit d'une opération médiatique en vue de briser les couples fleurdelisé-camp du OUI et unifolié-camp du NON. Au même moment en effet, l'avocat chargé du dossier, Paul Trudeau, préside le Comité lavallois pour le NON afin de «donner plus de place au NON à Ville Laval»(120). Au lendemain de la bataille référendaire, le Parti libéral du Québec se rend compte des risques de laisser au seul Parti Québécois l'usage du fleurdelisé. En conséquence le parti adopte dans les années 1980 une résolution qui change le sigle du Parti libéral du Québec en y enclavant un fleurdelisé à droite du L rouge traditionnel. Lorsqu'en 1989, des manifestants ontariens francophobes de Brockville foulent le fleurdelisé, le geste repris à satiété par les médias devient le symbole du refus canadian d'accepter la spécificité québécoise. Lorsque sonne l'échec de l'Accord du lac Meech qui devait réconcilier le Québec avec une Constitution adoptée en pleine nuit en son absence, c'est naturellement vers son drapeau que se tourne la population québécoise qui inonde de fleurdelisés le défilé de la Fête nationale, le 24 juin 1990.
Une des histoires les plus drôles en ce qui concerne la lutte que se livrent souverainistes et fédéralistes par fleurdelisé et unifolié interposés, a lieu le 29 avril 1994 à l'édifice de la Confédération à Ottawa. L'employée d'un député bloquiste décide de faire flotter à sa fenêtre le fleurdelisé qu'elle vient de recevoir afin d'en enlever les plis. Cinq minutes après la sortie du fleurdelisé, plusieurs unifoliés claquent au vent. Les bloquistes répliquent et pendant approximativement 1 heure la cour intérieure de l'édifice de la Confédération est enjolivée de quelques fleurdelisés, de beaucoup d'unifoliés et de certains drapeaux provinciaux(121).
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