Vous avez dit, «débat identitaire»?

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Le poids tendancieux des mots utilisés à la radio fédérale

Alors que le PQ est toujours dans une course à la chefferie, il est beaucoup question ces jours-ci du « débat identitaire » (ou de la « question identitaire »). En tout cas, c’est la manière générique de le pointer à la radio de Radio-Canada et à RDI, pratiquement les seuls liens que j’ai avec l’information délivrée en direct à la radio et à la télé. Pourtant, ce dont il est question dans ce débat, ce sont des différentes visions des candidats quant à la neutralité représentative des employés de l’État ou, plus largement, à la laïcité.
L’idée ici n’est pas de critiquer le choix des uns ou des autres candidats, mais de remettre en question cette idée de le pointer comme étant du « débat identitaire ». À mon sens, cela souille l’idée même d’objectivité journalistique. Et ici, je veux poser cette question : en quoi est-ce que l’expression « débat identitaire » est liée objectivement au débat sur la laïcité de l’État, et même au débat sur la poursuite de la sécularisation de la société?
La laïcité n’est pas identitaire

En réalité, la question identitaire au Québec, en regard de la majorité historique francophone, concerne premièrement sa langue, ensuite sa culture et puis ses valeurs, ce qui est loin d’être clair, plus on avance dans la liste. Donc, ce qui est induit avec le choix de l’expression « débat identitaire », c’est que ce qui sous-tend la question de la laïcité pour la majorité francophone est dans le fond identitaire et non seulement le rapport entre le citoyen et l’État. Et qui dit identitaire dit « pour l’exclusion des autres identité » puisque, on le sait, le terme « identitaire » n’est plus neutre et est très connoté grâce à l’utilisation à répétition de l’expression « repli identitaire ». Qui n’a pas remarqué que pour plusieurs, ceux qui sont contre l’interdiction des signes ostentatoires pour les employés de l’État, l’expression « repli identitaire » est ce qui résume le mieux leurs doléances envers ceux qui sont pour?
Si déjà il était question d’un « combat ». Soit celui entre l’expression de l’identité de la majorité francophone versus celle des gens issus de l’immigration. Alors cette dénomination de « débat identitaire » aurait du sens, au moins un sens plus clair. Mais il n’en est rien. À moins de croire que le noeud du problème concernerait un « tirage de couvertes » entre les francophones et les immigrants, enfin ceux, une minorité, qui tiennent beaucoup à ce que la religion soit une donnée importante en société. Un débat vraiment identitaire, par exemple, mettrait en scène deux groupes belligérants avec des buts clairement antagonistes. D’un côté, il y aurait les francophones catholiques qui se servent de l’objectif laïque pour arriver à faire interdire les symboles des autres religions que la leur, alors que ces symboles religio-identitaires sont déjà inscrits dans le corps social. De l’autre, il y aurait les autres croyants issus de l’immigration dont l’expression de l’identité religieuse est importante, sinon essentielle. S’il y a un débat de ce type, ses protagonistes sont très minoritaires et il n’a pas à colorer le débat sur la laïcité.
Ce qu’il y a de remarquable dans ce choix d’expression, c’est que s’il paraît logique pour certains de pointer la donnée identitaire quand il s’agit de la majorité francophone, il n’est aucunement question de pointer cette donnée identitaire pour ceux qui tiennent à exprimer ostentatoirement leur identité religieuse du côté immigrant. Le problème que vise le qualificatif « identitaire » concerne seulement la majorité, jamais les minorités. Ainsi, l’expression « débat identitaire » parle moins d’identité qu’implicitement de la culpabilité de la majorité francophone puisque le débat sur la laïcité est compris (et exprimé) dans le sens d’un combat entre la majorité et les minorités, ce qui ajoute à la tendance hystérique du débat. Quand Michel C. Auger dit « débat identitaire » alors qu’il parle du sujet de la course au PQ, il pense visiblement à un débat qui a pour but de savoir s’il est bien ou non que la majorité discrimine les minorités religieuses. Le sens profond du rapport entre le citoyen et l’État est complètement évacué. Encore plus, celui de la place de la religion dans l’État.
Un choix éditorial ou un hasard heureux?

Sinon, on peut se demander pourquoi l’expression « débat identitaire » a été consacrée et comment. Pour y réfléchir, il faut avoir en tête qu’aucun média n’arrive à être complètement objectif. Ils ont des lignes éditoriales plus ou moins fortes à respecter. Les points de vue de leurs acteurs ne peuvent être totalement exclus de leur réalité effective. Ainsi, le choix de l’expression « débat identitaire » est utile d’un point de vue éditorial. Aussi utile que le fait de mettre de l’avant une nouvelle ou une opinion tout en en taisant ou en en hiérarchisant négativement d’autres. Force est de constater qu’au moins dans le cas de Radio-Canada ce choix est logique, puisque le point de vue laïque plus républicain, pour ne pas dire à la française, n’y a pas la cote. Leur choix d’animateurs et de collaborateurs est allé très majoritairement vers des individus qui sont pour une laïcité « ouverte ». Et s’il faut le spécifier, vers des individus qui ont un regard surtout bienveillant, donc peu critique, envers les sujets liés à l’immigration et à leur religion. Donc, parler en terme de débat identitaire au lieu de débat sur la laïcité va tout à fait dans ce sens. Au lieu d’utiliser une expression neutre et spécialisée, on utilise une expression négative, sensationnaliste, qui participe à une généralisation outrancière dans le but, conscient ou inconscient, de diaboliser l’adversaire.
En effet, ce choix d’expression colore tout à fait la perception quant à l’enjeu laïque soulevé par cette course à la direction. D’autant plus que l’apparition de cet enjeu « pêche » en remettant sur la table un sujet que certains voudraient bien oublier. Puisque, selon eux, le Québec est déjà tout à fait laïque (dans son sens ouvert). S’il faut le répéter, s’il y a réellement un enjeu identitaire dans cette course, il concerne surtout en définition la place du français et de la culture issue de la francité historique – avec bien sûr l’apport des autres cultures. Et s’il faut ajouter à tout ça la donnée des valeurs, il faudrait déjà qu’il y ait un grave problème pour qu’il y ait débat. Pratiquement tout le monde s’entend pour dire que la valeur de l’égalité homme femme, comme idéal perfectible, est importante, sinon la plus importante. Et de toute façon, en droits, l’égalité des sexes va de soi devant l’État laïque, puisque le citoyen n’y est pas considéré différemment selon sa catégorie sexuelle. La laïcité gère en amont le rapport étatique au religieux, non pas en aval la problématique de l’égalité homme femme, présente dans la religion. Par contre, il faut admettre que le PQ, particulièrement Bernard Drainville, a contribué grandement à la confusion entre laïcité et valeurs en proposant une charte hybridant les deux.
Donc, lier la question de la laïcité à la question de l’identité est pour le moins bancal. La laïcité – entendue comme une neutralité où chaque citoyen peut se sentir à l’aise dans une relation étatique hors religion et autres convictions, autant dans son fondement que dans ce que l’État projette – évacue autant l’identité de la majorité que celle des minorités. Bien entendu, seulement dans la sphère civique. Même la place du français y est simplement utilitaire, en ce sens qu’elle se base sur l’idée de langue commune, de langue officielle, compréhensible par tous. Pour y faire entrer cette idée de débat identitaire, avec tout ce qu’elle comporte de négatif et d’amalgame avec le racisme, la xénophobie et l’islamophobie, il faut étirer la laïcité à un point tel où tout et son contraire peuvent y entrer, bien sûr dans le but d’en contrer sa version plus contraignante, il faut l’avouer.
Le sensationnalisme de service…

On accuse souvent et surtout les médias privés de jouer la carte du sensationnalisme. Comme vous avez pu le constater, le diffuseur public canadien n’y échappe pas. Nourrir le populisme, ça consiste aussi à faire de l’enflure qualitative pour pointer l’éclairage vers ce qu’on veut montrer, vers où on veut que l’indignation se dirige. Pour faire croire que les partisans de la laïcité ne sont en fait que des méchants identitaires qui n’ont pour but que de rejeter les autres identités, on nomme « débat identitaire » un débat qui devrait, par souci de respect pour les différents points de vue sur la question, être nommé « débat sur la laïcité ». Et cette tendance illustre tout à fait bien aussi, symboliquement, que le débat sur la laïcité aurait déjà été gagné par les partisans de la laïcité ouverte et qu’il ne reste donc que les méchants identitaires, les racistes, les xénophobes et autres islamophobes, à battre pour arriver à un monde meilleur.
L’expression « débat identitaire » est un cheval de Troie médiatique qui sert l’idéologie bien-pensante dont se réclame nos dirigeants actuels, autant au fédéral, au provincial qu’au municipal (en tout cas à Montréal, avec Denis Coderre). Ce n’est pas bien surprenant qu’il se déploie avec autant d’aisance à Radio-Canada.


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