Voici comment une émeute a fait perdre à Montréal son titre de capitale du Canada, il y a 174 ans

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La violence criminelle des Anglais demeurée impunie

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La ville de Kingston est officiellement proclamée capitale le 10 février 1841. Pendant ce temps, la ville de Québec est durement touchée par la perte de son statut de capitale. Le départ des nombreux fonctionnaires, des députés et de leurs familles a un effet négatif sur son économie. Mais rapidement, il devient évident que la petite ville de Kingston est inadéquate pour être la capitale du Canada-Uni.




Entre 1841 et 1843, la ville de Kingston en Ontario est le centre politique et la capitale du Canada-Uni. Avec l’adoption d’une nouvelle constitution en 1840 (Acte d’Union), Toronto et Montréal souhaitaient ardemment obtenir ce titre de capitale canadienne, mais Kingston est choisie comme compromis par les autorités britanniques.


Pourtant, à Kingston, il n’y a pas de parlement. 


Durant les années où nos députés y siègent, ils doivent débattre dans un ancien hôpital. Les parlementaires protestent: il manque d’espace pour exercer leurs fonctions politiques, les logements convenables sont rares, les députés et leurs épouses pestent même contre la mauvaise qualité de l’eau à Kingston. 


On dit qu’elle y a une odeur nauséabonde et qu’elle provoque des maux de ventre, probablement dus à la présence de chaux et de calcaire dans le sol de la région. 


C’est dans ce contexte qu’en décembre 1843, les parlementaires canadiens quittent Kingston pour Montréal, malheureusement pour très peu de temps.



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RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE 


Pour bien comprendre l’histoire que je vous relate, voyons d’abord ce qu’est la responsabilité ministérielle, principe fondamental de notre système politique. 


Un gouvernement responsable est un gouvernement dont les membres sont choisis parmi les députés du parti politique majoritaire à la Chambre d’assemblée, donc élus par la population. 


Selon cette règle, le gouvernement doit toujours garder la confiance de la Chambre qui, elle, représente le peuple, sans quoi il devra être remplacé. Lorsque cette règle est appliquée, on parle d’un «gouvernement responsable». Après de longues années de lutte, on a reconnu ce principe au Canada en 1848. Il l’est encore aujourd’hui.


La courte présence du parlement du Canada-Uni à Montréal est étroitement liée à ce concept de «responsabilité ministérielle».  



PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION CHARLES VINH


Les émeutiers anglophones qui attaquent le parlement de Montréal sont outrés que l’Assemblée législative ait voté une loi pour dédommager les victimes des répressions militaires de 1837-1838 au Bas-Canada. Dès 1843, des rumeurs circulent et laissent entendre que le parlement pourrait déménager dans l’édifice du marché Sainte-Anne à Montréal.




RETOUR DANS LE TEMPS


Après les révoltes patriotes, Londres envoie en mai 1838 un nouveau gouverneur, lord Durham. Il a pour mission d’enquêter sur les révoltes et de proposer des solutions au parlement britannique pour rétablir le calme et la paix. 


Dans son rapport, il recommande principalement deux choses: l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada ainsi que l’application de la responsabilité ministérielle.


En établissant l’Acte d’Union en 1840, Londres instaure la première recommandation de Durham, mais rejette la deuxième, l’application de la responsabilité ministérielle. La première élection sous cette nouvelle constitution aura lieu en 1841. Dans ce nouveau système politique du Canada-Uni, on prévoit l’élection de 42 députés pour représenter les électeurs du Canada-Ouest (Haut-Canada) et le même nombre pour le Canada-Est (Bas-Canada). Par ailleurs, cette proposition met en évidence une grosse injustice : la population du côté est, donc du Québec d’aujourd’hui, est beaucoup plus populeuse, mais n’a pas plus de représentativité. Dans cette structure, les députés partagent le pouvoir d’adopter des lois avec un Conseil législatif, qui n’est pas constitué d’élus, mais de représentants nommés par le gouverneur. C’est ce même gouverneur qui choisit le Conseil exécutif. L’exécutif a aussi beaucoup de pouvoir parce que c’est lui qui applique les lois. 


Ça peut être mélangeant tout ça, alors gardons en mémoire qu’il y a une Assemblée législative constituée d’élus (elle fait des lois), puis deux conseils, un législatif (donc qui fait aussi des lois) et exécutif (qui exécute ces lois pour la population). Au sommet de cette structure, un gouverneur général représente la mainmise britannique sur notre système politique. Comme le gouverneur est le représentant du gouvernement britannique, il possède une carte vraiment puissante dans son jeu. C’est une sorte de joker, le «droit de veto», qui lui donne beaucoup de pouvoir. Il lui permet de rejeter toutes les décisions prises par l’Assemblée élue qui ne font pas son affaire. Voilà un système très peu démocratique!



PHOTO FOURNIE PAR BIBLIOTHÈQUE ARCHIVES CANADA


Le 25 avril 1849, des émeutiers anglophones saccagent le parlement et y mettent le feu.




LE DÉMÉNAGEMENT DE KINGSTON


À force de protestations contre la qualité des installations à Kingston, on décide de déménager le centre du pouvoir. Située à la rencontre des voies océaniques, Montréal s’impose comme point de convergence entre les marchés américains et britanniques. 


Le Parlement canadien a donc toutes les raisons de s’installer dans le bâtiment le plus majestueux de la ville, le marché Sainte-Anne. C’est ainsi que Montréal devient la capitale politique du Canada entre 1844 et 1849.


Dans ce parlement, deux personnages s’illustrent tout particulièrement: Robert Baldwin, homme politique du Canada-Ouest, et Louis-Hippolyte La Fontaine, du Canada-Est. 


Pour mettre fin à la domination du gouverneur et de son Conseil exécutif, Baldwin et La Fontaine souhaitent tous les deux l’obtention du principe de «gouvernement responsable». Les deux politiciens sont conscients que l’alliance de leurs partis permettra d’obtenir une majorité parlementaire à la Chambre d’assemblée, ce qui leur permettra de faire avancer leurs idées. Pour que ça fonctionne, chaque camp fait donc des compromis.


L’ÉCONOMIE EN MUTATION


Pendant cette période, la politique économique de la Grande-Bretagne se modifie considérablement. Au cours des années 1840, l’Angleterre abandonne sa politique protectionniste, qui avantageait les exportations des produits coloniaux, et se tourne progressivement vers un autre système économique, le libre-échange. Ainsi, en 1848 le gouverneur général, lord Elgin, accepte de reconnaître officiellement le principe de «responsabilité ministérielle». 


Il offre à l’alliance réformiste de Baldwin et La Fontaine de former le premier gouvernement responsable de notre histoire. Ces deux politiciens sont assermentés le 11 mars 1848. 


Dorénavant, les membres de l’exécutif sont choisis par le chef du parti majoritaire. Le Conseil exécutif doit toujours conserver la confiance de la Chambre d’assemblée pour gouverner. 



PHOTO FOURNIE PAR ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL


Lord Elgin est un habile diplomate. C’est sous son administration que les Canadiens vont obtenir le premier véritable gouvernement responsable de l’histoire. C’est ce même Elgin, alors posté à Constantinople 37 ans plus tôt, qui avait fait enlever la plus belle partie de la frise sculptée du temple dédié à Athéna sur le Parthénon d’Athènes et qui l’avait vendue à la Grande-Bretagne.




LA LOI AU CŒUR DU DÉBAT


Le principe de la «responsabilité ministérielle» est rapidement mis à l’épreuve. Parmi les premiers projets de loi qui sont déposés, on propose une loi qui vise à dédommager la population du Canada-Est pour les pertes subies pendant les rébellions des patriotes. Les conservateurs (ou les tories) s’opposent farouchement à ce projet de loi.


Pourtant, une loi similaire avait été votée pour dédommager la population du Canada-Ouest quelques années auparavant. Le débat qui s’ouvre entre réformistes et tories en février 1849 sur le bill des indemnités sera l’un des plus virulents de l’histoire parlementaire canadienne.


Le député de Sherbrooke dira qu’il est «indécent et immoral de puiser à pleines mains en un fonds alimenté par des protestants pour le paiement d’indemnités à des catholiques...» 


Encore plus acrimonieux, le député MacNab d’Hamilton s’en prend directement à l’influence française au parlement. Il peste contre le peuple canadien-français, à qui il décerne les épithètes de rebelle, de traître et même d’étranger. 


La tension est forte et des batailles éclatent aussi chez les spectateurs qui assistent aux débats. 


Le sergent d’armes devra intervenir pour empêcher le député MacNab et le solliciteur général Blake d’en venir aux coups. La Chambre fera même comparaître ce fameux Blake et John A. Macdonald pour les dissuader de se battre en duel. 


Le débat n’est pas moins violent à l’extérieur du parlement. La presse conservatrice lance de véritables appels à l’insurrection. On peut par exemple lire: «Une guerre civile est un malheur, mais ce n’est pas le pire des malheurs ; il vaudrait mieux pour la population britannique du Canada qu’elle subisse 12 mois de bataille... et perdît des milliers de vies, plutôt que de se soumettre pendant 10 longues années encore à ce mauvais gouvernement dominé par les francophones.»


Malgré les dissensions, le projet de loi sera finalement voté par les députés à l’Assemblée législative du parlement de Montréal le 9 mars 1849.


LA COLÈRE


Les conservateurs qui ont voté contre sont furieux et essayent par tous les moyens de convaincre le gouverneur de rejeter le projet de loi, comme il pouvait le faire avant la responsabilité ministérielle. Rien n’y fait, lord Elgin entérine la loi et son geste, hautement symbolique, reconnaît par le fait même la responsabilité du gouvernement. Chauffée à bloc par les médias anglophones depuis plusieurs mois, la marmite saute le 25 avril 1849 quand le gouverneur descend à Montréal pour sanctionner la loi en personne. On raconte qu’il quittera le parlement sous une pluie de projectiles. 


C’est dans cet esprit que le Montreal Gazette publie un supplément extraordinaire, qui se termine par un véritable appel aux armes: «La marionnette [Elgin] doit être rappelée, ou repoussée par le mépris universel du peuple. [...] La foule doit s’assembler sur la place d’armes, ce soir, à huit heures. Au combat, c’est le moment!» Un rassemblement attire des milliers d’anglophones en colère. Ils s’abreuvent de discours injurieux contre les Canadiens français. Dans une grande agitation, la foule se dirige alors vers le parlement. L’édifice du pouvoir, situé dans le Vieux-Montréal actuel, à quelques pas du musée Pointe-à-Callière, devient en quelque sorte le symbole du tout nouveau principe de gouvernement responsable.


Portés par la colère, les manifestants déclenchent une émeute et mettent le feu au parlement. Les membres du gouvernement doivent évacuer le bâtiment à toute vitesse. Les émeutiers, furieux, empêchent les pompiers de se rendre sur les lieux. Pas une goutte d’eau ne sera projetée sur le parlement. On raconte même que le matériel pour éteindre l’incendie a été saboté par les émeutiers. 


Quant à l’armée, elle se pointe deux heures plus tard, en n’intervenant que très mollement. Résultat, l’édifice du parlement et sa bibliothèque sont en ruines. Les 30 000 documents, livres et manuscrits datant des débuts de la colonisation sont détruits. Un précieux trésor de notre mémoire collective s’envole en fumée. Le parlement ne sera pas le seul bâtiment saccagé par ces intolérants tories. Le lendemain, plusieurs commerces ainsi que les résidences de nombreux députés sur la rue Saint-Antoine sont vandalisés. Les locaux du journal du parlement sont également détruits. Même la nouvelle maison de Louis-Hippolyte La Fontaine a subi du vandalisme. 


Après le terrible incendie, les députés se réunissent quelque temps au marché Bonsecours, mais cette violence convainc bon nombre de parlementaires que Montréal ne convient plus pour abriter le siège de la capitale. La tension règne durant des mois. Le calme revient finalement lorsque le parlement quitte Montréal pour Toronto en septembre 1849. Les responsables de l’incendie du parlement et les journalistes qui ont incité à l’insurrection ne seront jamais punis.


OTTAWA


L’attitude de lord Elgin en 1849 confirme définitivement l’obtention de la responsabilité ministérielle, mais au prix de l’incendie de notre parlement, ce qui entraîne son déménagement. Durant les années 1850, Toronto, Québec, Montréal, Kingston et Hamilton se disputent ce titre de capitale. Finalement, c’est la reine Victoria qui tranchera. 


En 1857, elle choisit la toute petite ville d’Ottawa (autrefois appelée Bytown) comme capitale définitive de la colonie. Dix ans plus tard, la Loi constitutionnelle de 1867 confirme Ottawa en tant que capitale du Canada fédéré. Québec, de son côté, redevient une capitale, celle d’une nouvelle province, le Québec.