Vive les enfants de la loi 101 !

Le "Nous" - l'expérience québécoise


Septembre 1977. Mon fils commence sa première année à l'école primaire. Un moment émouvant pour un père. Ce moment l'est doublement pour moi, en tant que Québécois. Car c'est une nouvelle ère qui s'ouvre dans l'histoire du Québec. La loi 101 vient d'être proclamée.
À l'école Notre-Dame-des-Neiges, dans le quartier phare de Côte-des-Neiges, où j'ai le bonheur de conduire mon fils, les effets de la Charte de la langue française sont déjà visibles.
Les amis de mon fils s'appelleront Tatamirovic, Ciarcialucci, Jimenez, Mban, et prendront place tout naturellement à côté des Guay, L'Archevêque, Proulx et Charette. Au moment de cueillir mon garçon après l'école, j'entends tous ces enfants d'origines diverses parler le français avec le même accent québécois. J'en suis ému aux larmes! Jamais dans ma vie il ne m'a été donné de constater un tel phénomène au Québec. C'est une nouvelle génération qui éclôt: les enfants de la loi 101.
Quand je fréquentais moi-même l'école primaire, quelque 40 ans plus tôt, l'homogénéité des noms de mes compagnons était remarquable. Il y avait bien un Fitzgerald fort bien intégré au Canada français. Il devait bien y avoir aussi quelques noms italiens. L'archevêque de Montréal s'appelait Bruchési. Cependant, pour des raisons historiques bien explicables, notre petit peuple canadien-français avait vécu passablement replié sur lui-même, n'accueillant d'autres immigrants que ceux de foi catholique.
En général, du reste, nous nous étions accoutumés à voir un immigrant adopter la langue anglaise. Encore en 1977, alors que nous nous identifiions comme Québécois depuis une dizaine d'années, nous n'arrivions pas à intégrer les nouveaux arrivants à la langue de la majorité. Quel contraste par rapport au Canada anglais, aux États-Unis et à la France, où les immigrants s'inscrivaient presque spontanément dans la culture globale!
La Charte et le Québec pluraliste
Il fallut donc la Charte de la langue française, couplée à la Charte des droits et libertés de la personne (1975), pour faire en sorte que le Québec francophone, à l'instar des autres sociétés dont il s'inspirait, devienne aussi résolument pluraliste et multiethnique. Désormais, la langue française n'allait plus être la seule langue des Canadiens français. Elle devenait la langue commune de tous les Québécois.
Les effets de la nouvelle loi, en dépit des nombreux obstacles dressés sur son chemin, allaient se faire sentir. Bientôt, nous allions passer de moins de 10 % des immigrés parlant français dans l'espace public à plus de 60 %. Cela est insuffisant, mais c'est tout de même une progression fulgurante pour un petit peuple comme le nôtre, comptant pour 2 % de la population de l'Amérique du Nord anglophone.
On mesure la transformation du Québec contemporain en marchant le long du boulevard Saint-Laurent. Jadis, la Main était considérée comme une ligne de division entre deux sociétés, deux solitudes. Cette artère, aujourd'hui une des plus vibrantes de la métropole, est plutôt devenue un espace de fusion où la diversité du Québec nouveau se manifeste à souhait, le plus souvent dans la langue commune. Comment peut-on douter de la richesse que représente la diversité culturelle de Montréal quand on compare les acquis de notre littérature, des arts en général, de notre gastronomie, sans compter le nombre croissant de personnes d'origines diverses dans nos universités et nos institutions culturelles?
Multiethnicité et progrès
Il est bien vrai que l'intégration des immigrants à la langue française a connu des ratés, dont le dernier avatar est ce jugement de la Cour d'appel du Québec qui permet aux riches de se soustraire aux exigences de la Charte et qui, au surplus, nous est asséné en anglais. Il est non moins vrai que l'immigration est encore beaucoup trop concentrée dans la métropole, ce qui amène certaines personnes dans les régions à grossir les traits des quelques incidences aussi regrettables que ridicules de la jeune tradition des accommodements raisonnables. On peut tout de même se réjouir des progrès de la multiethnicité dans des régions comme l'Estrie et l'Outaouais, voire dans certains quartiers de la capitale. Il existe une chaire d'enseignement et de recherche interethniques et interculturelles à l'Université du Québec à Chicoutimi.
Il faut dire aussi que les francophones du Québec ne se sont pas encore tout à fait habitués à accueillir les immigrants. On désigne encore trop souvent des personnes très bien intégrées à notre société par leur identité d'origine au lieu de les appeler tout simplement Québécois. Je pense à un collègue venu de Belgique dans sa tendre enfance, devenu le meilleur spécialiste de notre architecture patrimoniale et qu'on désignait encore récemment comme «le Belge». La fonction publique du Québec reflète encore bien peu la diversité ethnique de notre population. Et que dire de la tendance des Québécois de souche à quitter la ville, lieu de pluralisme, pour s'agglutiner dans des banlieues homogènes?
Ce sont là des facteurs sur lesquels la Commission sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles devrait s'arrêter tout autant, sinon davantage, que sur les excès auxquels a donné lieu la politique des accommodements raisonnables. Certes, on ne saurait nier que trop d'immigrés demeurent en marge des valeurs de notre société, mais il faudrait éviter du même souffle de revenir à une sorte de bonne conscience canadienne-française occultant les déficiences de l'accueil des nouveaux venus.
L'admirable document produit par le gouvernement du Québec en 1990, Bâtir ensemble le Québec, avait introduit la notion de «contrat moral» impliquant non seulement les immigrants qui doivent épouser nos valeurs communes mais aussi les Québécois qui se doivent de faciliter l'intégration de ceux qui se joignent à eux. Quand on invite quelqu'un dans sa maison, il ne suffit pas de lui énoncer des règles de comportement. Il faut en faire plus. Ce devrait être possible de constater que nous ne l'avons pas toujours fait sans tomber dans une autocritique morbide.
Vive les enfants de la loi 101!


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