Vigneault : des convictions aussi solides que ses chansons

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?

Pas question de céder les droits de ses chansons, ne fût-ce pour un événement aussi planétaire que les Jeux olympiques d’hiver de Vancouver. Gilles Vigneault a été clair là-dessus, dimanche, à l’émission Tout le monde en parle.
Pas question non plus d’accorder d’entrevue à un quotidien qui a mis ses employés en lock-out, nous a dit le grand monsieur. Pensez-y… Il s’est même excusé auprès du représentant de RueFrontenac.com parce qu’une entrevue de La Presse Canadienne avait été publiée dans Le Journal de Montréal, ce quotidien en lock-out. Comme si c’était de sa faute…
Gilles Vigneault, à 81 ans, c’est l’homme à la hauteur du mythe, les convictions aussi solides que les chansons de légende qui ont traversé toutes les générations. Et, par ricochet, le poète de Natashquan se veut aussi l’un des plus formidables rassembleurs qui soit. On en a une belle preuve avec Retrouvailles, son plus récent album, qui dépasse de loin la notion de « duos », par trop restreinte, à laquelle il est rattaché. Rencontre.
Entendre chanter les autres
Si Vigneault a participé aux albums de duos de Claude Dubois et de Jean-Pierre Ferland, l’idée, ne fût-ce que fragmentaire, de voir… ou plutôt d’entendre ses chansons chantées à plusieurs voix date de plus longtemps.
« J’entendais mes chansons comme Mon pays, Il me reste un pays, La Manikoutai chantées par d’autres artistes, comme Richard et Marie-Claire Séguin, Claude Gauthier. Et quand j’ai participé aux albums de duos de mes amis, l’idée s’est faite plus précise. Mais j’étais alors chez un autre producteur et ça ne s’est pas réalisé.
« Puis, quand j’ai changé de producteur (maintenant, Paul-Dupont Hébert, de Tandem.mu), c’est la première chose qu’il m’a dite : « On va faire un album de duos. » « Ben, certain ! » ai-je répondu. J’étais prêt. Tout le monde le sait, j’ai toujours été tendance (sourire moqueur). Que ce soit ou non une mode ou une tendance, ce n’est pas un crime. Ça peut être une maladie de suivre la mode en suiveux, mais se servir d’une mode pour dire quelque chose qu’on a envie de dire ou faire quelque chose qu’on a envie de faire, dès fois, c’est bien. »
- Et c’est bon, en plus.
« Oui, je pense que c’est pas mal. Je dis ça avec des réserves, concernant surtout l’auteur (ndlr : lui-même), mais je pense que dans l’ensemble, il y a des choses intéressantes. Ce sont aussi des retrouvailles avec moi-même. Le plus bel exemple, c’est Je ne dirai plus, avec Julos Beaucarne.
Du respect, il y en a beaucoup sur ce disque, en ce sens que les chanteurs et groupes qui ont collaboré au disque ont vraiment traité les chansons de Gilles Vigneault comme si c’était les leurs. Photo Martin Bouffard
« C’est une chanson que j’avais complètement oubliée. Je l’avais composée il y a 43 ans, je l’avais enregistrée et je l’avais interprétée pendant six mois en spectacle. Puis, fini. Je l’ai oubliée. Tous les gens qui ont 30, 35 ou même 40 ans ne connaissent pas cette chanson. Julos, oui ! Parce qu’on se connaît depuis des lunes... Même Bruno (Fecteau, le réalisateur et bras droit artistique de Vigneault depuis des lustres) ne s’en souvenait pas. C’est une des très rares chansons que Bruno ne connaît pas par coeur. Pour presque tout le monde qui entend ça, c’est une nouvelle chanson !! » ajoute Vigneault, visiblement fier de la tournure des événements.
Ce qui est étonnant à l’écoute de Retrouvailles, c’est l’unité qui se dégage entre les interprètes en dépit des différents registres, timbres de voix et accents. Les chansons interprétées avec les artistes européens tels Guy Béart (Quand vous mourrez de nos amours), Nana Mouskouri (Entre musique et poésie), Michel Buhler (Ton père est parti) et Charles Aznavour (Une branche à la fenêtre) donnent presque l’impression d’être des compositions francophones du Vieux Continent, plutôt que des classiques québécois. Un peu en raison des arrangements, mais surtout parce que ce sont les invités qui amorcent les titres en question.
L’engagement respectueux
« C’est une idée de Bruno de laisser la place aux invités au départ, comme si j’avais moi-même été invité à un party où je chante un petit bout de mes chansons. De toute façon, j’aime mieux entendre mes chansons chantées par les autres que par moi. Ça, c’est clair et évident. Les chansons prennent ainsi une autre nouvelle jeunesse. Elles recommencent à être des chansons neuves pour moi. Ce sont des retrouvailles avec soi-même.
« C’est très précieux, ça, pour un auteur-compositeur, de retrouver ses chansons interprétées par les autres. Chanter, c’est un acte éminemment intime, éminemment public en même temps. Et éminemment politique. Chanter en français, ici, c’est un acte politique en soi. »
- Encore aujourd’hui ? Plus qu’avant ?
« Encore aujourd’hui. Plus ça va, plus c’est un acte politique. Plus le temps avance, plus on a peur de ne plus parler français à Montréal un de ces jours. Ça ne veut pas dire qu’on défend de chanter en anglais ou en espagnol. Au contraire ! C’est beau tout ça et ça nous apporte à nous tous, davantage. Mais il n’est pas poli pour l’hôte, celui qui reçoit, de ne pas se respecter et de se faire ver de terre. La politesse, c’est de se respecter soi-même, ce qui est un gage de respecter l’autre. »


Il faut écouter l’intensité d’une Catherine Major, qui chante avec le poète La danse à Saint-Dilon dans une relecture savoureuse. Parlant de relectures, celle de Florent Vollant pour Jack Monoloy est aussi originale que magistrale. On est transi quand Louise Forestier et Gilles Vigneault partagent Ma jeunesse, dans ce qui se veut un contrepoint formidable entre le thème et ses interprètes. Et si on sent la complicité avec son pote Ferland (Gros Pierre) et une véritable filiation avec sa fille Jessica (J’ai mal à la terre), on mesure tout autant la fête vécue en studio avec Loco Locass (Tout le monde est malheureux). Vigneault parle de retrouvailles avec ses chansons, mais il y a plus.
Vive la jeunesse
« C’est aussi des retrouvailles avec ma jeunesse et tous mes commencements. Chez Loco Locass et Catherine Major, je sens toute la santé, la volonté, l’énergie et l’audace des débuts. En vieillissant, on apprend longuement, et peu à peu, l’humilité. Dans la jeunesse, pas question d’humilité. Il est question de foncer, d’être effronté, presque ! D’avoir confiance en soi (grand geste du bras). La confiance en soi, avec les années, ça peut s’effriter et ça peut laisser des doutes. Ça peut inventer des doutes et de l’incertitude. »
- Vous n’avez jamais douté d’avoir pris une mauvaise décision en amorçant cette carrière ?
« Oh, non ! Non… Non… C’était mon chemin. Ce n’est pas un incident de parcours. C’est là que j’allais. Et depuis que j’étais très, très jeune. »
Et là, Gilles Vigneault se met à parler de sa prime jeunesse, à l’âge de cinq ans, quand il chantait déjà pour son voisin, sur un tabouret, des chansons de résistance… de la Première Guerre mondiale. Il en entonne d’ailleurs un bout devant le journaliste, proprement médusé.
« Je trouvais déjà intéressant que l’on me trouve intéressant. Comme tous les enfants, d’ailleurs. Plus tard, j’ai perdu la voix à 16 ans en raison d’une laryngite aiguë que vous connaissez comme « chronique » (sourire malicieux). Laryngite dont vous constatez les résultats encore aujourd’hui.
« Quand j’écrivais Jos Montferrand, je ne pensais pas chanter ça. Le 12 décembre 1958, je rencontre Jacques Labrecque qui me demande la permission pour chanter ma chanson. Je dis oui, il la chante, la grave sur 45-tours et le lendemain, il me dit : Est-ce que vous en feriez d’autres ? Je réponds : Ouais ! Ouais ! Ouais ! Et le surlendemain, deux jours après, sur la même feuille, j’ai commencé à écrire La danse à Saint-Dilon, Jos Hébert et Ti-Paul la pitoune. Donc, ça pressait, d’écrire. »
Le poète chanteur
Sauf que Labrecque avait dit au jeune Gilles : « Un jour, tu chanteras tes chansons. Pis, ça va marcher. » Moi, je disais : « Ah, non ! »
- Est-ce qu’il y avait un doute ?
« Il (Jacques) semait le doute. En 1960, je faisais des présentations à la boîte à chansons située à la Porte Saint-Jean (Québec). Un soir, Yvon Bélanger me dit : Fais ta chanson, je vais t’accompagner. Ça allait pour le premier couplet, mais au deuxième… Ils m’ont dit de l’apprendre et le lendemain soir, j’ai chanté Jos Montferrand pour la première fois. Mais là, ils m’en demandaient une autre. J’avais quelques chansons écrites, mais pas beaucoup… Le lendemain, je chante Jos Montferrand et Quartier Latin.
« Et là, le public applaudit et en veut une autre. J’avais pas prévu ça… Le lendemain, j’en avais une troisième. Le petit jeu a duré deux semaines durant lesquelles j’écrivais une chanson par jour. À la fin, j’avais écrit Jack Monoloy, Jean-du-Sud, Isidore le prospecteur, Quand vous mourrez de nos amours, J’ai pour toi un lac… Ha ! Je composais une chanson par jour. Et au bout de 15 jours, je donnais un récital et j’étais devenu un auteur-compositeur-interprète sans m’en apercevoir. »


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