Vers une « révolution PKP » ?

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Le Devoir publie un texte de SPST mis en ligne par Vigile le 17 décembre

La candidature de Pierre Karl Péladeau à la direction du Parti québécois n’a rien d’étonnante en soi, d’autant plus qu’elle semblait inscrite dans le ciel, horizon céleste où elle laisse désormais entrevoir quelques éclaircies bleutées au milieu de son habituelle teinte grisâtre. Pourtant, aussi prévisible ait-elle été, la chose ébranle déjà les structures mêmes de l’espace politique québécois. Les péquistes ont retrouvé momentanément le sourire, celui qu’ils n’avaient affiché depuis le 7 avril que brièvement à l’occasion du non-événement écossais. Les sondages – pour ce qu’ils signifient à ce moment-ci – le mettent bon premier, tandis que de nombreux partisans péquistes semblent même avoir récupéré le fameux poing levé en guise de symbole d’approbation militante incarnant la détermination sans faille. Force est d’admettre que l’homme est à la mode. L’essayiste Djemila Benhabib l’écrivait récemment, il est « l’homme que les fédéralistes craignent par-dessus tout car ils ont compris qu’avec lui l’époque du « nationalisme romantique » et celle du « bon gouvernement » sont bel et bien révolues[1] ». Force est d’admettre que l’homme dérange ; la tentative d’exécution parlementaire pilotée par libéraux et caquistes, de même que l’accent mis par ceux-ci sur le terrifiant et honni « référendum », a de quoi renforcer l’impression d’une certaine crainte du côté du camp canadien. À ce stade-ci, l’offre politique de Pierre Karl Péladeau est certes davantage connue qu’hier mais l’est assurément moins que demain.

Décomplexer l’indépendantisme : Oui! Mais…

Le 30 novembre 2014, à St-Jérôme, la campagne de Pierre Karl Péladeau était lancée[2]. Devant des centaines de personnes chauffées à bloc, PKP y allait d’une démonstration de force donnant une impression de couronnement. En plus d’annoncer l’obtention des signatures requises en à peine deux jours, témoignant ainsi d’une organisation impressionnante, Péladeau y est allé d’un discours de chef du Parti québécois et non pas simplement de prétendant au trône. Plusieurs observateurs ont souligné quant à eux ce qui semblait relever de l’évidence : PKP s’inscrit dans un indépendantisme décomplexé, assez inusité depuis Jacques Parizeau. En plus d’interpréter le résultat électoral du 7 avril comme un échec de la pédagogie souverainiste de la discrétion absolue, il répéta ensuite dans les médias que la gouvernance de la province de Québec ne l’intéressait pas.

Il y a cependant une multitude de chemins qui peuvent être empruntés pour parvenir à décomplexer l’idée d’indépendance, et tous ne mènent pas à la terre promise. L’arrivée de PKP dans la course a interrompu le concours de calendriers qui se déroulait sous nos yeux alors que les autres prétendants ne juraient que par l’expérience écossaise, omettant le fait qu’elle s’est soldée par un échec de l’option indépendantiste. Il faut dire que le processus écossais, salué par les dignitaires d’Ottawa, a su stimuler les ardeurs des excités du bon-ententisme britannique. Pour PKP, l’indépendance semble résider dans la construction réelle et effective du pays québécois, campant la définition des intérêts du Québec en dehors du cadre provincial. C’est l’élaboration d’une doctrine d’ensemble que semblait prôner Péladeau, touchant tout autant l’identité, l’éducation, l’économie que le développement des ressources naturelles. L’amour projeté de la culture n’en fait assurément pas un tenant de la pensée chartiste, comme l’a montré sa demande de mettre les drapeaux en berne lors de chaque anniversaire du funeste rapatriement constitutionnel. La géopolitique des énergies, centrale à la construction de tout rapport de forces, semble faire office de creuset central de la vision de Pierre Karl Péladeau. Dans un tel contexte, le gouvernement libéral est présenté dans l’optique péladienne non pas comme un adversaire partisan mais comme le messager du régime canadien, celui qui « regarde les Québécois de haut » pour les condamner à la petitesse et à l’inachèvement. Alors que la publicité libérale laissait miroiter que PKP n’aurait pas pour première priorité « la santé, l’économie ou l’éducation »[3] – trois enjeux sur lesquels le bilan libéral n’est guère transcendant – mais bien la souveraineté, le principal intéressé renverse la logique en faisant de la quatrième option le cadre nécessaire au développement des trois premières. À quand le slogan « la souveraineté ou l’austérité »?

Du même souffle, PKP nous laisse miroiter une certaine volonté de rompre avec le messianisme référendaire, rappelant qu’il ne s’agit que d’une modalité. Certains ont interprété son affirmation à l’effet que l’indépendance passait néanmoins par un référendum comme un revirement. Il ne s’agit là que d’une demi-vérité, tout dépend en fait du statut accordé au référendum : s’agit-il du « grand soir » inaugurant le pays des merveilles ou d’une consultation ratifiant une réalité déjà en vigueur, constituant le résultat d’une somme ? En faisant la critique du péquisme du passé, qui limitait la souveraineté à un niveau abstrait – et en rappelant que le référendum doit rester un moyen plutôt que de se muter en objectif propre – Péladeau souhaite apparemment sortir l’indépendance du registre de l’événementiel pour l’inscrire dans celui du réel, celui du processus. Il incombera cependant à celui-ci de mettre un contenu sur la rhétorique. Plusieurs militants indépendantistes s’interrogent d’ailleurs quant au plan d’action détaillé du candidat. Il est aisé de leur rétorquer que la livraison d’un plan précis à la vue de tous est un des effets les plus détestables du cadre étapiste dont a hérité le PQ en 1974, tout comme il est facile de les comprendre : les indépendantistes, trop souvent, ont eu à signer des chèques en blanc au nom du nécessaire ralliement à un vaisseau amiral dont la fidélité réelle à leur projet est trop souvent à géométrie variable.

Comprendre le phénomène

Il est de bon ton de marteler que les individus ont un poids bien faible à l’échelle de l’histoire, contrairement aux facteurs lourds et aux déterminismes de toutes sortes à qui on prête des facultés démiurgiques. Pourtant, les acteurs s’investissent au sein de l’espace politique pour en définir les contenus et les contours. Chacun souhaite définir la problématique centrale de cet espace : c’est le propre même de la logique politique que d’espérer y imposer les thèmes centraux de son agenda. Il est dès lors d’autant plus fondamental d’étudier les acteurs au cours des périodes névralgiques où le paradigme politique est en redéfinition. Le poids des hommes et des femmes comme acteurs centraux plutôt que comme simples marionnettes sociales ne devrait plus être à démontrer : pas de Parti québécois sans René Lévesque, pas de second référendum sans Jacques Parizeau, pas de rapatriement constitutionnel sans Pierre Eliott Trudeau, pas de Seconde guerre mondiale sans Adolf Hitler, pas d’Appel du 18 juin sans Charles de Gaulle, pas de guerre des Gaules sans Jules César, etc. Les acteurs politiques et sociaux sont eux aussi dotés de conceptions du monde ainsi que d’objectifs et d’une vision quant aux moyens à employer pour parvenir à leur réalisation.

Il est trop tôt pour juger si Pierre Karl Péladeau bouleversera le système politique québécois et mènera le Québec vers un nouveau cycle. Il n’est cependant pas ardu de constater qu’il est en position pour le faire, qu’il peut potentiellement bouleverser le jeu et que plusieurs en ont une peur bleue. S’il est impossible de prédire s’il s’agira d’un pétard mouillé, il est tout aussi impossible de prétendre avec certitude que les structures actuelles de l’espace public demeureront indemnes.

Certains pointent le manque d’éloquence de l’homme. La modestie dans le style oratoire péladien tranche certainement avec l’appel à la grandeur philanthropique et à la réussite inscrite dans son contenu, mais celle-ci peut finir par charmer. Il devra cependant être prudent lors des différents débats qui l’opposeront à Bernard Drainville, communicateur de carrière.

D’autres accusent son manque d’expérience. Il n’y a qu’à se rappeler des démêlées de PKP avec les médias. Si la recette conflictuelle a fait la gloire d’un Régis Labeaume à Québec, elle rapporte beaucoup moins au niveau national qu’en contexte de royauté municipale. L’épisode du Bloc québécois est également tranchant à ce sujet : si la critique d’un Bloc qui renforcerait le régime canadien par son intégration à celui-ci et son adhésion à la rhétorique politicienne au détriment du procès d’Ottawa est juste, elle survient quelques mois trop tard. L’actuel chef bloquiste Mario Beaulieu posait exactement le même diagnostic pendant sa propre course à la direction. Le charivari qui suivit sa victoire démontrait bien que le défi principal des indépendantistes n’est même plus d’opérer un changement de culture politique dans la population mais bien au sein de leur propre mouvement. Alors que Beaulieu cherche à réunir l’indépendantisme et l’action politique quotidienne – mettant fin à la segmentation typiquement étapiste entre les deux – il serait contre-productif qu’un PQ dirigé par Pierre Karl Péladeau abandonne son « parti frère » au moment où celui-ci fait acte de contrition sur son bilan et laisse ainsi le terrain québécois aux partis défendant le régime canadien. Les Québécois pardonneront certaines erreurs à Pierre Karl Péladeau et seront inflexibles sur d’autres. Il les charmera cependant par sa sortie du péquisme traditionnel. Être un novice n’est pas porteur exclusivement de défauts, surtout lorsque l’on vient des ligues majeures.

Peut-on expliquer uniquement l’« effet PKP » par la posture décomplexée qu’il porte et par la nouveauté qu’il incarne au sein d’une société politiquement sclérosée ? Si ces données sont fondamentales, il est impossible de passer sous silence ce que la figure représente à la lumière des structures mêmes du Québec. Le fonctionnement des élites québécoises est calqué directement sur les catégories mentales inhérentes au mode de gestion de l’Indirect rule, érigeant la négation de soi comme condition d’ascension sociale. Monter dans la hiérarchie sociale est synonyme pour plusieurs d’adopter le comportement du parvenu, qui consiste à nier progressivement ses propres origines pour se projeter dans le global, seule représentation à leurs yeux de la véritable et alléchante promotion. Si la Révolution tranquille a constitué une parenthèse, alors que les Québécois étaient authentiquement aptes à se définir comme référence propre, la fenêtre s’est refermée à la suite de l’échec de 1995. Le Québec Inc, symbole de la réussite du Québec moderne, n’a pas démontré d’exceptionnelles capacités de cohésion. Le Québec ne bénéficie pas d’une élite qui puisse adhérer à un projet qui la servirait à long terme. La bourgeoisie d’affaires n’a présentement aucune vision de l’intérêt national. Dans une telle mesure, l’arrivée en politique d’un homme venant du milieu tout en rompant avec son modèle, peu effrayé par les chiffres et par les milieux financiers tout en levant le poing pour l’indépendance, suffit à expliquer l’ouragan.

Des candidatures de positionnement

D’aucuns croient que cette course n’est qu’une formalité pour Pierre Karl Péladeau. Ce serait là oublier, et l’on me pardonnera l’euphémisme, que la politique est affaire de revirements et d’imprévus. Cette simple donnée nous oblige à éviter de sous-évaluer ses concurrents. Le scénario annoncé d’une victoire écrasante de Péladeau se réaliserait-il que les différents positionnements des autres prétendants seraient tout de même à prendre en compte pour la suite des choses.

La candidature de Bernard Drainville est indispensable. Le discours officiel étant ce qu’il est, sa Charte de la laïcité est pointée du doigt comme étant la cause de la débâcle péquiste du 7 avril. Si on en suit la logique, la seule politique qui a pu permettre au Parti québécois de reprendre l’initiative en mettant le Parti libéral dans une position embarrassante, de passer en tête des intentions de votes et même d’être en terrain majoritaire, serait la raison de la débandade. Que la position avantageuse du PQ ait été un château de cartes prêt à s’effondrer au moindre coup de vent émanant de sa raison d’être n’y change rien. Il est clair qu’on retiendra davantage le chemin turbulent devant mener à l’affirmation laïque des institutions québécoises que ses effets, résultat direct de son inachèvement. Cela ne fait-il pas écho au débat national en lui-même ? Quoi qu’il en soit, Drainville aurait donné raison à ses adversaires s’il avait choisi de ne pas se porter candidat à la succession de Pauline Marois ou s’il l’avait fait en tentant de se repentir par rapport à la charte. En assumant pleinement sa politique, Drainville pourrait possiblement sauver le PQ d’une autre période d’autoflagellation identitaire similaire à celle qui prévalait pendant la décennie suivant le référendum de 1995.

Alexandre Cloutier fait quant à lui office de candidat de la jeunesse mondialisée. Au-delà des slogans sur la nécessité d’ouvrir les portes et de sortir des sentiers battus, Cloutier tente de se présenter comme un réformateur. Par ses propositions sur les primaires ouvertes et sur le registre de signatures devant permettre la tenue d’un référendum, force est d’admettre qu’il tente véritablement d’amener de nouvelles propositions. Mais ces changements cosmétiques passent à côté de l’essentiel, soit de la transformation en profondeur de l’offre politique indépendantiste, et démontrent bien que la nouveauté n’est pas synonyme de renouveau. La carte du souverainisme-citoyen-du-monde a déjà été jouée pour montrer ses résultats en 2007. Plusieurs comparent d’ailleurs Alexandre Cloutier à André Boisclair. Les similitudes sont nombreuses, mais deux différences majeures sont à noter. La première, c’est l’ancrage à gauche du candidat Cloutier. En proposant de taxer les entreprises étrangères en sol québécois, ce dernier est bien loin de la volonté de « soulager le capital » de l’ancien chef péquiste. André Boisclair n’aurait d’ailleurs jamais pu envisager d’abolir le serment à la Reine[4]. La seconde, encore plus importante, c’est qu’Alexandre Cloutier n’est pas le candidat désigné par l’appareil. Une chose est néanmoins claire : Cloutier détiendra une place prépondérante au lendemain de la présente course.

Martine Ouellet veut quant à elle incarner la gauche syndicale et indépendantiste. Cette campagne lui permettra peut-être de passer de presqu’inconnue à personnage incontournable au sein du prochain PQ. Son volontarisme pourrait lui attirer la sympathie des militants, et elle gagnerait à incarner la figure centrale d’un « Maîtres chez nous » cuvée XXIème siècle que Sylvain Gaudreault, par sa « souveraineté environnementale », s’approprie. On peut également soupçonner que les divergences entre Ouellet et PKP sont plus minces qu’on ne peut le croire au départ, en cela que les deux convergent sur la place prépondérante à accorder au nationalisme économique dans la doctrine indépendantiste de demain. Martine Ouellet pourrait quant à elle occuper ce terrain avec le style qui lui est propre. Le non-appui de Pierre Céré (la gauche de la gauche) à Martine Ouellet (la gauche) a de quoi faire sourire quand on constate l’appui du Parti Communiste du Québec (la gauche de la gauche de la gauche…) à… Pierre Karl Péladeau !

Jean-François Lisée souffre de la nécessité de positionnement. Perpétuel intellectuel du péquisme officiel, Lisée a désormais pour défi de se définir comme chef potentiel. En s’annonçant à Tout le monde en parle, Lisée démontrait une audace certaine et une confiance en lui qui ne lui a jamais fait défaut. Mais la seule posture qu’il incarne jusqu’à présent est celle du lanceur de grenades. Ses attaques contre Pierre Karl Péladeau ont donné des caisses complètes de munitions aux adversaires canadianistes du PQ tandis que ses multiples reniements des politiques passées de son gouvernement occultent ses annonces. En s’en prenant comme il l’a fait à Péladeau, Lisée s’est probablement assuré un avenir similaire à celui de Pierre Paradis sous le règne Charest. Il était par ailleurs affligeant de voir Lisée faire le travail du PLQ lors du passage des représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à la commission parlementaire sur la réforme Barrette.[5]

En guise de conclusion

Si l’arrivée de PKP semble mettre en sourdine un débat exclusivement centré sur les questions d’échéancier référendaire, le danger de la mutation de la course en concours de popularité reste bien présent. Les enquêtes d’opinion montrent que PKP détient la position du meilleur capitaine mais on ignore toujours -un peu moins, certes- vers où le navire péquiste naviguera. Le chef ne détient pourtant pas de fonction divine, et le fantasme judéo-chrétien du sauveur a mené jadis à l’avènement de messies récalcitrants à l’instar de Lucien Bouchard. La base militante devra reprendre ses droits et reprendre le goût pour les idées. En échange, la direction péquiste devra enfin cesser de craindre sa base. Dès lors, le moment PKP pourrait se muter en véritable révolution politique.

Simon-Pierre Savard-Tremblay

Sociologue et auteur du livre « Le Souverainisme de province », éditions du Boréal, 2014.

1] [http://actualites.sympatico.ca/nouvelles/blogue/pkp-la-francophonie-et-lindependance-du-quebec

[2] L’auteur était présent à titre d’analyste pour l’émission « Lemieux, c’est le matin », diffusée sur les ondes de Radio 9, 91,9 fm.

[3] La publicité a depuis été retirée des médias sociaux car elle empruntait sans autorisation une image du photographe Jacques Nadeau.

[4] On lira, au sujet de cette proposition, l’article de Renart Léveillé.
http://actualites.sympatico.ca/nouvelles/blogue/abolir-serment-allegeance-reine

[5] Lisée les avait alors accusés, de par leur étude sur l’anglicisation croissante du système de santé, de vouloir lancer des pierres aux Anglais. La chose n’est pas si surprenante quand on se rappelle que Lisée, comme ministre, avait financé une chanson commandée par le Quebec Community Groups Network, en plus de prôner la bilinguisation de la Société des transports de Montréal.

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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