Vérification faite: Montréal, territoire mohawk?

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Non, Montréal n'a jamais été un territoire mohawk

L’affirmation: À chaque mois de mai, lors des célébrations entourant l’anniversaire de la fondation de Montréal, la question ressurgit : la métropole est-elle un «territoire mohawk non-cédé», comme le disait l’ex-maire Denis Coderre (la nouvelle mairesse, Valérie Plante parle de «territoire autochtone») ? Une lettre ouverte publiée dans Le Devoir la semaine dernière a reparti le bal à ce sujet, connaissant un certain succès sur les réseaux sociaux. Alors voyons voir…


LES FAITS


Cette habitude qu’ont certaines villes et institutions de reconnaître qu’elles sont sur des terres autochtones est née dans l’ouest de l’Amérique, explique l’historien de l’Université d’Ottawa Jean-François Lozier. Là-bas, la colonisation européenne est relativement récente et les populations autochtones n’ont à peu près pas bougé depuis, si bien qu’il est relativement facile de déterminer qui vivait où jusqu’à l’arrivée des Européens. Mais «dans le cas de la vallée du Saint-Laurent, dit-il, on a affaire à une colonisation française qui remonte au début du XVIIe siècle, et ça vient brouiller les cartes».



Historiquement, les Mohawks viennent de la région d’Albany, dans le nord de l’État de New York. Ceux qui vivent aujourd’hui à Kahnawake et à Kanesatake sont les descendants de Mohawks (et quelques autres nations) convertis au christianisme qui se sont établis dans des missions catholiques de Montréal dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En outre, quand Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance ont fondé Montréal en 1642, l’île n’était pas habitée par les autochtones, bien qu’ils y passaient pour la chasse et la pêche. Mais les Mohawks affirment que leurs ancêtres ont vécu là avant le XVIIe siècle, que leur arrivée dans les missions catholiques était en fait un retour au bercail et qu’ils ont une «tradition orale» (connaissance historique transmise oralement de génération en génération dans les sociétés traditionnelles) qui en atteste.



C’est un fait incontestable que Montréal a été habitée par des Iroquoïens (la famille linguistique à laquelle appartiennent les Mohawks) pendant très longtemps avant le XVIIe siècle : c’était le village d’Hochelaga, qui vivait d’agriculture et que Jacques Cartier a visité en 1535. Mais ces gens étaient disparus quand la métropole québécoise a été fondée, un peu plus d’un siècle plus tard, sans que l’on sache trop quel malheur leur est tombé dessus — peut-être ont-ils péri dans des épidémies, ou ont été dispersés après une guerre, ou peut-être le «petit âge glaciaire» survenu au XVIIe siècle a-t-il rendu la culture du maïs impossible sous nos latitudes, etc.


Maintenant, est-ce que ces «Iroquoïens du Saint-Laurent», comme les appellent maintenant les historiens, étaient les ancêtres des Mohawks ? Il y a très longtemps que les Mohawks eux-mêmes l’affirment, en tout cas. Par exemple, l’explorateur et commerçant de fourrures Nicolas Perrot (1644-1717) écrit dans ses mémoires que «le pays des Iroquois [groupe dont faisaient partie les Mohawks, ndlr] estoit autrefois le Montréal et les Trois Rivières» et qu’ils avaient dû s’en aller à cause de conflits avec les Algonquins. Quelques autres témoignages historiques vont dans le même sens, ce qui indique que la tradition orale des Mohawks existe réellement, qu’elle n’a pas été plus ou moins inventée pour appuyer des revendications modernes, comme on l’entend parfois.


Mais ce n’est pas parce qu’elle existe qu’elle est forcément vraie, fait remarquer l’historien (retraité) de l’Université Laval Denys Delâge, grand spécialiste de l’histoire autochtone. «Les Iroquoïens du Saint-Laurent se distinguaient des Hurons et des Iroquois [Mohawks, Agniers, etc.] par deux choses. Ils avaient un style de poterie bien à eux, et on sait aussi par des écrits laissés par Cartier que leur langue était différente. Ils n’avaient pas la même façon de compter de 1 à 10, par exemple. (…) Alors ce n’était pas la même communauté que les Mohawks.»


M. Lozier abonde dans le même sens sur ce point. Mais, ajoute-t-il, les choses sont compliquées par le fait que, peu importe ce qui leur est arrivé, les Iroquoïens du Saint-Laurent ne se sont pas volatilisés sans laisser de traces. Ils se sont dispersés chez leurs voisins, dont les Mohawks, dans la deuxième moitié du XVIe siècle. «On trouve lors de fouilles archéologiques en territoire mohawk, autour d’Albany, des tessons de poterie que les archéologues reconnaissent comme appartenant aux Iroquoïens du Saint-Laurent», dit-il.


Selon lui, si l’idée d’une «Montréal, terre mohawk» est exagérée et difficile à défendre, on peut sans doute aller jusqu’à dire que les Mohawks qui se sont établis dans les missions catholiques du XVIIe siècle avaient «des racines sur le territoire montréalais».


Pour M. Delâge, cependant, «ce n’est pas parce qu’ils ont accueilli des Iroquoïens du Saint-Laurent que les Mohawks sont devenus des Iroquoïens du Saint-Laurent». D’autant plus, dit-il, que l’on croit que ces derniers étaient plutôt alliés des Hurons et plutôt ennemis des Iroquois, ce qui suggère que ceux qui ont joint les Mohawks auraient été des prisonniers plutôt que des «réfugiés».


VERDICT


Douteux. Il semble assez clair que les Mohawks étaient un groupe distinct, bien qu'apparenté, de ceux qui ont habité la vallée du Saint-Laurent jusqu’au XVIe siècle. Il est aussi clair, cependant, qu’ils ont recueillis chez eux un certain nombre de ces Iroquoïens du Saint-Laurent. Mais c’est un lien trop faible, aux yeux de bien des historiens, pour faire de Montréal un «territoire mohawk non cédé» : les Mohawks n’habitaient pas cette région, bien que certains de ceux qui sont arrivés au XVIIe siècle pouvaient y avoir des racines.


Précision : une version antérieure de ce texte indiquait que les missions de Montréal où se sont établis les Mohawks au XVIIe siècle étaient sulpiciennes ; c'est vrai, mais il y avait des Jésuites aussi. La première version mentionnait également que la dipersion des Iroquoïens du Saint-Laurent avait laissé des traces linguistiques chez leurs voisins, mais il semble que ce ne soit pas si clair, finalement. Toutes mes excuses.





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