Est-il encore possible de mener un débat public serein au Québec sur de grands projets porteurs de développement économique ?
"Oui, répond Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), mais à la condition de faire d'importants changements."
Sa solution : la création d'une agence publique d'analyse économique, agissant à la manière du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) à l'égard des questions environnementales, pourrait se charger de l'examen des enjeux économiques.
"Nous avons l'impression qu'une grande intolérance s'est installée à l'égard de la dimension économique dans les débats publics entourant les grands projets", soutient Mme Bertrand.
"Un processus neutre et objectif permettra l'analyse des enjeux se rapportant au développement économique, aux activités et aux projets, ainsi qu'à l'impact de leur abandon éventuel", ajoute-t-elle.
La FCCQ propose en outre l'adoption de mesures de transparence qui obligeraient tous les groupes de pression à mieux s'identifier, soit en s'inscrivant à un fichier central accessible au public, soit en s'enregistrant comme lobbyistes auprès du gouvernement. Ils devraient fournir des renseignements sur leur gouvernance, leur représentativité, leurs partenariats et leurs commandites.
"Ce que nous souhaitons ardemment, c'est un recentrage du balancier qui n'évacue pas le débat public, bien au contraire, mais qui donne à l'ensemble des enjeux, y compris les enjeux économiques, doit de cité dans le débat", précise Mme Bertrand.
Des blocages inquiétants
Les blocages dans les grands projets, qui entretiennent un sentiment d'immobilisme, inquiètent la FCCQ.
La Fédération a voulu en connaître les causes et les effets en demandant au professeur Yves Rabeau, de l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal, d'analyser les circonstances dans lesquelles les promoteurs de deux projets publics, la centrale thermique du Suroît, à Beauharnois, et la mise en valeur du bassin Peel avec le déménagement du Casino de Montréal, y ont renoncé. L'abandon de ces deux projets promus par des sociétés d'État, Hydro-Québec et Loto-Québec, a privé l'économie québécoise de retombées à court terme d'au moins deux milliards de dollars.
Dans le cas du Suroît, l'étude conclut qu'Hydro-Québec a bien présenté son projet dans ses aspects techniques devant la BAPE et la Régie de l'Énergie, mais ne l'a pas suffisamment défendu dans l'opinion publique. De telle sorte que les opposants ont gagné la bataille des médias, d'autant plus qu'ils ont pu s'alimenter à l'incohérence du discours des ministres du gouvernement.
Les appuis mitigés des ministres du gouvernement à l'égard du déménagement du casino au bassin Peel ont aussi affaibli la position de Loto-Québec, embourbée dans un débat social élargi au sujet du jeu pathologique. L'incertitude du processus décisionnel et les coûts de conformité ont découragé le Cirque du Soleil, le partenaire privé de Loto-Québec, pourtant réputé être l'une des entreprises québécoises les plus dynamiques et sensibles aux questions d'environnement social.
"Nous pensons qu'il faut adopter des manières différentes de promouvoir nos projets, dit Mme Bertrand. Il ne suffira pas d'une conférence de presse pour convaincre le public et les médias, et ce n'est pas non plus par une rencontre avec des fonctionnaires ou des cabinets politiques que l'on peut avoir l'appui indéfectible du gouvernement."
"Dans le type de société où nous vivons, comme gens d'affaires, il est nécessaire d'être non seulement de bons communicateurs, mais aussi d'avoir un lien d'écoute avec les communautés dans lesquelles nous vivons."
Une perception partagée
La FCCQ a commandé un sondage d'opinion et une analyse de la couverture de presse dans les quotidiens.
Le sondage d'opinion, mené par la société Baromètre, a confirmé l'impression d'immobilisme tant dans le grand public que dans les milieux d'affaires. Les deux tiers des 1 003 citoyens interrogés et les trois quarts des 853 gens d'affaires interrogés partagent cette opinion.
Les répondants en imputent la cause au manque de leadership politique (43 %), au manque de concertation entre les promoteurs et les populations concernées (16 %), aux groupes de pression opposés aux projets économiques (12 %) et à un certain parti pris des médias en faveur des opposants (11 %).
L'analyse de la couverture de presse, réalisée par le cabinet National, constate que les projets du Suroît et du Bassin Peel ont eu beaucoup de place dans les pages des quotidiens, mais que les promoteurs et leurs alliés dits naturels - comme les regroupements d'affaires - n'y ont pas eu un rôle déterminant.
alain.duhamel@transcontinental.ca
Illustration(s) :
gilles delisle
_ Françoise Bertrand, présidente de la FCCQ, propose la création d'une agence publique qui se chargerait de l'examen des enjeux économiques de grands projets.
Une solution pour sortir le Québec de l'immobilisme
La Fédération des chambres de commerce propose une agence d'évaluation économique des grands projets
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