Comme Peuple d'Amérique

Une identité unique!

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Une partie de votre Histoire a bel et bien été laissée de côté, celle du métissage des Français avec les peuples Amérindiens, qui en un autre temps avaient créé un nouveau peuple, le peuple Franco Amérindien.

L’alliance s’est terminée dès 1760, avant même la cession du traité de Paris de 1763, au moment où le conquérant anglais, certain d’avoir enfin à lui cette Nouvelle France dont il voulait s’emparer depuis si longtemps, a instauré entre lui et les peuples autochtones, par l’intermédiaire des Odinossonis /Iroquois, ses grands alliés de toujours, les deux traités, celui d’Oswegatchie le 30 août 1760 puis celui de Kahnawake le 16 septembre 1760.

C’est bien là qu’a eu lieu la confirmation de la création d’un Grand Conseil regroupant sept Nations Amérindiennes du Canada confédéral : la Confédération des 7 feux.

Cette confédération a donc une origine uniquement coloniale anglaise, permettant un rapport diplomatique anglo iroquois depuis Kahnawake. Elle a regroupé tous les Amérindiens chrétiens des missions catholiques de la vallée du saint Laurent, que ce soit des Iroquois, des Algonquins, des Nipissings, mais aussi les Abénaquis et les Hurons, depuis leurs villages d’Akwesasne, de Kahnawake, Kanesatake, d’Odanak, de Wölinak et de Wendake.

Le siège de la Confédération des Sept feux se situa au village Iroquois de Kahnawake « le Grand Conseil » de l’alliance, où les sept chefs, des sept nations principales, siégèrent et se rencontrèrent, à l’instigation des Odinossonis/Iroquois poussés à ces ententes par les Anglais.

Ces autres nations ont été placées immédiatement en position subordonnée par rapport aux Iroquois, seuls interlocuteurs entendus et reconnus des Anglais. Pour pouvoir préserver leur place dans la vallée du Saint Laurent les nations amérindiennes n’ont pas eu d’autre choix que de faire allégeance à ce pouvoir colonial qui se mettait en place, c’était loin d’être par solidarité avec les nouveaux venus, c’était plutôt par nécessité absolue, sous la contrainte !

Cette union toute fictive des Iroquois avec les Anglais, si elle leur donna quelques pouvoirs et un peu de prestige, fut surtout une source de servitudes et d’assujettissements, elle fut même encore davantage, elle fut le départ de leur dépendance ! Une dépendance qui perdure encore aujourd’hui, une subordination qui caractérise toujours les relations entre les Amérindiens et l’état fédéral

En 1760 les Iroquois « domiciliés » ayant compris que les Français n’avaient plus beaucoup de chance de conserver la Nouvelle France, ils se tournèrent vers le pouvoir anglais avec qui ils commencèrent à engager des négociations au nom de tous les Amérindiens catholiques de la vallée du Saint Laurent. Les Anglais leur demandèrent et obtinrent leur neutralité militaire absolue, en compensation ils reçurent la garantie de l’absence de représailles, celle de la protection de leurs terres, et de tous les droits, appuis et assistances dont ils bénéficiaient avec les Français.

Le traité de neutralité fut signé à Oswegatchie dans l’état de New York le 30 août 1760, traité signé et conclu au nom de l’ensemble des Amérindiens de la Vallée du Saint Laurent. Ainsi ces derniers totalement neutralisés, l’armée anglaise a pu aisément poursuivre sa conquête de la Nouvelle France en prenant Montréal le 8 septembre suivant !

Sans en rester là, les 15 et 16 septembre 1760 Iroquois et Anglais se rencontrèrent à nouveau mais à Kahnawake cette fois. Le but des Anglais sera alors d’établir un nouveau traité mais un traité d’alliance politique et militaire. Cet acte sera la fondation de leur nouvelle relation, entre la couronne d’Angleterre et tous les Amérindiens de la Vallée du Saint Laurent.

Les Wendat de Lorette,
Les Abénaquis de Wölinak et d’Odanak,
Les Algonquins de Trois Rivières
Les Iroquois, les Algonquins et les Nipissing de Kahnawake, Kanesatake et Akwesane
Et enfin les Iroquois d’Oswegatchie

Par ce traité de Kahnawake du 16 septembre 1760 ces peuples s’étaient définitivement liés au conquérant et étaient devenus les alliés du roi d’Angleterre… Avec quel enthousiasme et quelle chaleur les Anglais le soulignèrent alors, par des écrits, aussi nombreux que variés jusqu’aux autorités de Londres !…

Il ne fallait peut-être pourtant pas aller si vite !

A peine un mois plus tard, au mois d’octobre 1760, Daniel Claus, agent du département des affaires indiennes, soulignait l’importante dégradation de ces toutes nouvelles relations, Anglos amérindiennes. Cela n’avait pas mis bien longtemps !

Les Iroquois étaient particulièrement mécontents, loin de les considérer un tant soit peu, les soldats ou les officiers anglais les méprisaient ouvertement, sans respecter non plus les termes des traités.

Décidément cela ne passait pas !
Jamais les Français ne les avaient traités ainsi !

Ils récriminèrent, proférèrent même des menaces disant que la couronne anglaise n’était pas capable de les protéger correctement, d’ailleurs Thomas Gage, le gouverneur militaire de Montréal refusait même de leur autoriser la liberté de circuler pour pratiquer la chasse. William Johnson surintendant aux affaires indiennes arriva à les amadouer car les Anglais devaient maintenant, après avoir pris la Nouvelle France, faire face à des milliers d’Amérindiens qui s’étaient soulevés autour des grands lacs, aux côtés de ce grand chef Outaouais, Pontiac, ces nations semblaient fermement résolues à faire repartir définitivement les tuniques rouges dans leur pays d’Angleterre, espérant en les chassant voir revenir les Français !

Effectivement le besoin était grand de se faire aider par les six cent trente guerriers que représentaient les Iroquois et tous ceux de la vallée du Saint Laurent…Si les troupes anglaises parvinrent à soumettre in extrémis Pontiac et avec lui toutes les tribus amérindiennes rassemblées à ses côtés, cela a été principalement dû au machiavélisme du général Amherst et à son subalterne le colonel Suisse Henri Bouquet avec cette ignominieuse distribution de couvertures infectées. Elles terrassèrent immédiatement les Amérindiens dont les organismes n’étaient pas immunisés contre les maladies européennes !

Les Iroquois de la vallée du Saint Laurent et les Wendat/Hurons qui avaient prêté leur collaboration pour combattre le grand chef des Outaouais Pontiac, regrettèrent amèrement leur décision !

Ils revinrent « nus et affamés » car les Anglais les avaient envoyés sur le terrain se faire massacrer à leur place, cette première expérience aux côtés des tuniques rouges était des plus décevantes, d’autant plus que le colonel Bouquet leur refusa toute reconnaissance de leurs efforts.

« Nous n’avons jamais éprouvé de telles privations et d’aussi mauvais traitements, avec les Français ! » Les autres grands chefs l’avaient compris avant les Iroquois et les Hurons, en effet bien leur en avait pris, ils n’avaient envoyé personne se battre pour les Anglais, et surtout pas combattre leurs frères des grands lacs et de l’Ohio.

La paix signée avec Pontiac, les Anglais victorieux ne laissèrent aux Iroquois et aux Hurons qu’un rôle secondaire, ils ne s’en servirent que pour diriger les autres Amérindiens.

Ils firent encore appel aux Sept Nations au moment de l’appropriation de leurs terres puisque cela allait affecter tous les Amérindiens. Si les Iroquois de Kahnawake avaient accepté la « hache des Anglais » en septembre 1763 ce fut dans le seul espoir d’être ensuite favorisés. Ils reçurent en effet quelques honneurs et sans doute du prestige pour avoir collaboré plus que les autres !

Le 8 mars 1768 aura lieu un nouveau traité de paix et d’alliance avec les Iroquois des Six Nations comprenant les Agniers (Mohawks) Cela signera désormais l’alliance de toutes les nations amérindiennes avec les Anglais par une « grande chaîne d’alliance » mais aussi les mêmes obligations.

Ils seront donc subordonnés et soumis aux traités de la Conquête puis assujettis à la couronne anglaise. Ces Amérindiens les auront aidés à combattre non seulement les Français mais également leurs frères amérindiens des grands lacs, leur permettant ainsi de finaliser leur projet d’Empire. Cf. traités de Jay puis de Gand

La seule chose que les Amérindiens ont essayé de faire en se mettant du côté du Conquérant, en faisant son jeu, a été d’essayer de survivre, ignorant totalement où allait les emmener l’Histoire.

Le documentaire" l’Empreinte" de Carole Poliquin et Yvan Dubuc, pose des questions primordiales, se demandant si tout autant que l’importance de la langue française l’influence amérindienne ne perdurerait-elle pas elle aussi? Ne la voit-on pas sous-jacente dans de nombreux exemples ainsi que comme seul exemple lorsque votre système judiciaire privilégie la médiation plutôt que la punition?

Après la Conquête, il fallait éviter d’être considéré comme «Sauvage», de leur côté les Acadiens avaient été déportés, et les Canadiens avaient été contraints de trahir leurs frères indiens, avec qui ils avaient pourtant créé une société totalement nouvelle et inédite en Amérique, une société dont ils pouvaient être fiers !.

L’indifférence ou pire encore le mépris ont remplacé les liens de profonde amitié pourtant si solidement ancrés entre les Amérindiens et les descendants des Français. Les auteurs du documentaire « l’Empreinte » ont souligné qu’il s'agissait sans doute là d'une sorte d’interdit un peu comme le serait un secret de famille.

L'extraordinaire et étonnante alliance de départ a donc définitivement pris fin avec l’arrivée de ce conquérant. Tout a été changé ! Chacun s’est retrouvé depuis lors séparés. Mais cela a continué tout au long des deux siècles suivants, vos propres élites vous ont trahis, elles se sont appliquées à réécrire l'Histoire en fonction du pouvoir, laissant de côté la véritable.

Pourtant deux peuples qui se sont ainsi rencontrés c'est quelque chose d'unique dans l’Histoire et particulièrement précieux dans la vôtre, dont tous vous devriez être terriblement fiers.

Vos différences avec tous les arrivants suivant sur votre sol depuis deux cent cinquante ans, viennent de la langue française bien sûr, de votre hiver sans doute, du poids de l'Église certainement, mais à toutes ces évidences ne faudrait-il pas ajouter une cause supplémentaire que personne n’évoque jamais, celle de l’influence amérindienne?

Votre aventure, votre histoire avec eux est complètement différente de celle des Anglais, ou des Espagnols en Amérique du Sud.

Vos deux peuples ont accepté d’être séparés pour des raisons afférentes, crurent-ils, à leur survie vis-à-vis du Conquérant alors qu'ensemble, ils avaient pourtant contrôlé l'Amérique !

Il est certain que vous êtes à l’opposé des autres habitants du Nord de l’Amérique et pas seulement à cause de la langue française. Cette partie fondamentale de vous-même, cette ancienne fraternité franco amérindienne totalement improbable, a été reniée puis enfouie au plus profond de votre Passé. De leur côté les Amérindiens ont fait de même !

En se référant à l’Histoire, votre belle aventure sur ce sol d’Amérique septentrionale a effectivement bien commencé avec l'arrivée des Français et de Champlain, mais elle s’est indubitablement agrégée à une autre Histoire de plus de 20 000 ans. Si on examine de plus près cette facette du Passé, il est facile de se rendre compte que vous êtes imprégnés aussi de cette autre Histoire. de même les Amérindiens ne sont pas ce simple folklore dans lequel ils ont été résolument cantonnés, ils n'ont pas hérité uniquement de problèmes sociaux dans lesquels ils ont été délibérément laissés? Cette société moderne d’aujourd’hui n’est-elle donc pas aussi une part d'eux-mêmes ?

Featured 9f80857c4f8cb8374a10579d275de8ea

Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

  • 303 414

Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé