Une crise d'hommerie

Commission Bastarache


«Où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie.» C'est un de mes collègues politiciens qui m'a expliqué un jour, peu de temps après mon arrivée en politique, que le monde dans lequel je venais d'entrer était un monde d'hommes et qu'il allait falloir que je m'y ajuste, car autrement, j'allais trouver le temps long. Je lui avais répondu que j'étais justement entrée en politique pour changer ce monde politique et que mon rôle allait être de combattre l'hommerie sous toutes ses formes pour faire en sorte que le milieu politique devienne plus accueillant pour les femmes à l'avenir.
Je ne manquais pas d'audace, c'est sûr, mais j'avoue que le conseil de mon collègue m'a permis de reconnaître les «crises d'hommerie» quand elles se produisaient. Oserais-je vous dire que j'en ai vu quelques-unes au cours des années? Le monde politique est un lieu propice au développement de l'hommerie avec ses haines, ses rancunes, ses désillusions et le pouvoir, qui est son fonds de commerce, alimente davantage les confrontations que les amitiés.
C'est à cela que je pensais en regardant Me Marc Bellemare déballer ses cartes devant la commission Bastarache au début de cette semaine. L'homme avait des comptes à régler, c'était l'évidence même. Il paraissait surtout arrivé à un point où il estimait ne plus avoir rien à perdre. Le combat pour lequel il s'était préparé allait avoir lieu.
Les Chinois, comme les Japonais, qui sont de vieux sages, disent toujours qu'il ne faut pas humilier son adversaire. De là sans doute les courbettes, les hommages respectueux et toutes les attentions dont ils entourent les gens avec lesquels ils vont traiter d'affaires afin de faciliter l'acceptation par l'autre de contraintes, de conditions déplaisantes qui ne feront pas la joie de l'adversaire. Ils disent aussi que si par malheur on l'a humilié, il faut lui donner toutes les chances de reprendre le haut du pavé, de se refaire un honneur et jouer le jeu comme si c'était lui le gagnant. De bons conseils qu'on n'enseigne pas en droit dans nos universités.
Quand on imagine Marc Bellemare et Jean Charest face à face, on sait que le feu va prendre. Bellemare l'a dit souvent, il est entré en politique pour changer le fonctionnement des tribunaux administratifs et changer la Loi sur l'assurance automobile du Québec. Ç'a le mérite d'être clair. Il semble convaincu que Jean Charest l'a fait échouer dans les deux cas. Il a claqué la porte comme ministre de la Justice un an après sa nomination. Jean Charest a toujours semblé penser que Marc Bellemare n'était pas un ministre de tout repos.
Ce n'est un secret pour personne que Jean Charest a une très haute estime de lui-même. Je ne peux oublier [son sourire béat lorsqu'il a reçu la Légion d'honneur française des mains du président Sarkozy->17733], en présence (discrète, mais présence quand même) de Paul Desmarais en personne, le grand patron de Power Corporation. Quand Marc Bellemare dit du premier ministre Charest qu'il reçoit des ordres d'un certain monsieur Fava, collecteur de fonds du Parti libéral, c'est au tour de Jean Charest d'être humilié même si sa carapace paraît solide.
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Les protagonistes sont en place. Il n'y a plus rien pour empêcher que le duel ait lieu. Qui en sortira vainqueur? Ça, c'est une autre histoire. Il est possible que ce soit le peuple qui gagne la guerre. La commission Bastarache a été choisie par Jean Charest, qui espérait qu'elle serait le lieu pour laver son honneur. Il reste tout à fait possible que la Commission ne lui donne pas satisfaction. Par contre, pendant ce temps-là, le peuple, attentif, apprend comment les choses fonctionnent quand il ne s'occupe pas de la politique.
Il se trouve plein de gens pour s'en occuper à sa place, des gens moins vertueux parfois et qui finissent par penser qu'ils sont propriétaires des partis politiques. Le peuple finira bien par comprendre que s'il veut garder le pouvoir, l'empêcher de pourrir dans l'hommerie, son premier devoir, c'est d'aller voter. C'est aussi d'exiger des élections chaque fois que c'est nécessaire. Qu'on cesse de nous répéter qu'on ne veut pas d'élections...
Au bout du compte, la leçon à tirer des événements de cette semaine, c'est que Jean Charest aurait dû mettre sur pied une commission pour fouiller le lien entre le monde de la construction et le financement de la politique. Il a préféré détourner l'attention du public avec ce que des commentateurs ont appelé «un show de boucane». Il reste juste à souhaiter qu'ils ne meurent pas tous étouffés...


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