Le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis, sous le regard de Jean Charest, continue à répondre aux questions des partis de l'opposition sur la pertinence d'une commission d'enquête sur la corruption dans le secteur de la construction. Photo: PC
***
La réticence de Jean Charest à déclencher une enquête publique dans le domaine de la construction est parfaitement compréhensible. Une commission d'enquête ternit inévitablement des réputations. La Cour suprême l'a expressément reconnu. Et quand on commence, on ne sait pas quelles sont les réputations qui seront ternies.
Certains politiciens y ont recours pour faire taire l'opposition, ou tout simplement pour éviter d'avoir à répondre aux questions étudiées, sous prétexte que l'affaire est sub judice. D'autres politiciens les décrient. Jean Chrétien, bien placé pour en juger après coup, écrivait qu'elles étaient généralement inutiles et qu'elles «viraient en téléfeuilletons».
Bien que leurs rapports finissent la plupart du temps par accumuler la poussière, les commissions d'enquête ne sont pas inutiles. Elles font effectivement la lumière sur un «problème préoccupant» ou une «catastrophe» d'une façon que ne peuvent le faire ni une commission parlementaire ni une cour de justice. La première est trop partisane et inutile dans la découverte de la vérité.
Le processus judiciaire est trop ciblé sur une partie pour permettre l'exposition d'un problème systémique. Les exigences de la justice criminelle empêchent d'aller au-delà des individus impliqués. La présomption d'innocence et le droit de l'accusé au silence exigent d'abord une enquête policière approfondie. La nécessité d'une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable rend la tâche de la Couronne exigeante. Quatre ans après le dépôt du rapport de la Commission Gomery (neuf à 13 ans après les faits), on parle encore de déposer des plaintes. Gilles-André Gosselin a plaidé coupable la semaine dernière.
Les dérapages des mégaprocès ont mis en lumière l'incapacité du processus pénal dans de telles situations. La justice civile est également réservée aux parties impliquées. Et elle avance lentement, à l'abri des regards du public. Les interrogatoires au préalable, où l'information s'obtient, se tiennent en privé. Au civil comme au pénal, les parties peuvent régler pour ne pas avoir à divulguer de l'information qu'ils considèrent préjudiciable.
La commission d'enquête évite ces écueils. Elle procède rapidement et en public. Tous les acteurs sont contraignables. Ils n'ont aucun droit au silence. Les entrevues avec les procureurs de la commission ont lieu dans les jours qui précèdent l'audition. Les gouvernements qui les déclenchent se voient obligés de renoncer à la confidentialité des échanges du cabinet.Les ministres doivent témoigner.
Elles sont drapées d'un encadrement juridique qui leur évite les dérapages partisans. Mais elles coupent les coins ronds. Très ronds.
La recherche de la vérité est tributaire des délais imposés. Si les avocats ont accès à la preuve disponible, c'est souvent quelques heures avant son dépôt. Les objections sont inutiles, sinon carrément contre-productives.Le témoin sera soupçonné de vouloir cacher quelque chose.
La mauvaise impression qu'un témoin fera dans le public sera difficilement réversible. Que le commissaire puisse éventuellement être convaincu du contraire ne changera rien au verdict immédiat de l'opinion publique.Que les commissaires répètent à satiété qu'ils ne sont pas là pour établir une responsabilité civile ou criminelle, comment les croire lorsque le tome 1 du rapport Gomery s'intitule «Qui est responsable?»?!
Les commissions d'enquête ternissent des réputations pour toutes ces raisons. Au déclenchement, on ne sait pas lesquelles seront ternies. À preuve la défaite des libéraux en 2006. M. Charest n'a aucune envie d'ouvrir la boîte de Pandore d'une commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Ses ministres seront sûrement appelés à y témoigner. Il sera difficile pour eux de sortir gagnants d'un contre-interrogatoire mené par un avocat d'expérience comme celui de la commission Oliphant.
Mais il sera difficile de résister à la pression populaire qui exige la tenue d'une commission. Car il n'y a pas d'autres moyens d'obtenir rapidement des réponses aux trop nombreuses questions que les enquêtes journalistiques et les aveux fracassants ont suscités récemment.
***
Sylvain Lussier
Associé au sein du cabinet Osler Hoskin
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé