Avec la mise en place de la Prestation canadienne d’urgence, le gouvernement offre un revenu de base à tous les Canadiens dont l’emploi est affecté par la crise de la COVID-19.
Plusieurs y voient la première étape de la mise en place d’un revenu minimum garanti (RMG), alors que les grandes innovations de politiques sociales se sont toujours réalisées à la suite de crises historiques majeures.
En principe, le RMG est une idée séduisante : tout citoyen, qu’il travaille ou non, reçoit un montant de base lui permettant de subvenir à ses besoins. Théoriquement, on élimine la pauvreté, la discrétion bureaucratique et on force les employeurs à offrir des conditions de travail décentes aux personnes à faibles revenus. D’ailleurs, la couverture médiatique envers le revenu minimum garanti semble particulièrement positive, surtout dans le contexte de la crise actuelle.
Pourtant, les obstacles financiers et constitutionnels à la mise en place d’un RMG sont nombreux. En fait, un RMG risque de ne pas réduire la pauvreté et pourrait même nuire à l’offre d’autres services publics.
Les transferts sont insuffisants
Un des principes de base d’un revenu minimum garanti est de regrouper l’ensemble des transferts publics en espèce sous une seule prestation, d’un montant égal pour tous les citoyens. Les transferts publics représentent les sommes d’argent qu’un citoyen peut recevoir de la part du gouvernement pour répondre à certaines situations, comme l’assistance sociale, les allocations familiales ou l’assurance emploi par exemple. Or, le niveau des transferts publics actuels demeure trop faible pour fournir un RMG qui parviendrait à atteindre ses objectifs de réduction de la pauvreté et de diminution de la dépendance au marché du travail.
En 2017, le Comité d’experts sur le revenu minimum garanti évaluait que de regrouper l’ensemble des transferts en espèce offerts par le gouvernement du Québec, sauf l’aide aux familles, représentait un total annuel de seulement 878 dollars par personne. Il est donc illusoire de concevoir un RMG financé à partir des transferts actuels, même en supposant pouvoir faire des économies en diminuant le nombre de fonctionnaires qui s’occupent de ces programmes.
Pire, égaliser l’ensemble des transferts augmenterait significativement les inégalités et la pauvreté. Les citoyens les plus vulnérables recevraient considérablement moins que ce qu’ils perçoivent actuellement (l’assistance sociale pour une personne seule est de 690 dollars par mois), faisant de la classe moyenne aisée la grande gagnante de cette mesure.
Puisque les transferts actuels sont insuffisants, augmenter significativement leur niveau est nécessaire à l’obtention d’un RMG adéquat. Malheureusement, toujours selon le Comité d’experts, un RMG d’à peine 6 000 dollars par année coûterait 27 milliards de dollars, soit plus de 25 % du budget du gouvernement du Québec, et plus que l’ensemble des sommes actuellement investies en éducation. Financer cette somme ferait tout simplement du Québec l’endroit le plus imposé au monde, et ce, même si tel RMG demeure plus de trois fois moins élevé que le seuil de pauvreté.
Des transferts mieux ciblés
Ces calculs ne tiennent pas en compte le rôle qu’Ottawa peut jouer. Toutefois, le fédéralisme canadien nuit à la mise en place d’un RMG, car les deux gouvernements financent déjà des transferts aux personnes. Créer un RMG sans l’accord de l’autre palier implique un fardeau financier trop lourd à porter pour Ottawa ou pour une province, mais la mise en place coordonnée d’un RMG relève d’une harmonie intergouvernementale inégalée dans l’histoire du fédéralisme canadien.
Même en supposant qu’une telle entente intergouvernementale soit possible et que l’on puisse augmenter les impôts au niveau requis, un RMG risque de nuire à la qualité des autres services publics, comme la santé et l’éducation.
Comment financer les autres missions de l’État si un RMG accapare plus de la moitié des dépenses publiques ? Comment convaincre les citoyens de soutenir un niveau d’impôt considérablement plus élevé qu’à l’heure actuelle ? Alors que l’on devrait s’affairer à préparer notre réseau de la santé à des chocs futurs, comme le vieillissement de la population et d’autres pandémies, je crains qu’un RMG soit tout simplement incompatible avec un État providence universel offrant des services publics de qualité.
Une étude de l’OCDE sur la question proposait des conclusions semblables : même des RMG financés par des hausses d’impôts importantes (en éliminant les montants personnels de base exemptés d’impôts) diminuent à peine la pauvreté dans la plupart des pays membres. De telles hausses d’impôts permettraient de réduire la pauvreté et les inégalités bien davantage si elles étaient investies dans des transferts mieux ciblés. D’ailleurs, l’expérience ontarienne de revenu de base, annulée par le premier ministre Doug Ford, visait à hausser les niveaux d’assistance sociale et d’assurance-emploi et à rendre ces programmes plus accessibles à l’ensemble des personnes exclues du marché du travail. Contrairement à une idée répandue, ce type de politique ne cherche pas à offrir un revenu universel à tous les citoyens, mais plutôt à mieux s’occuper des personnes sans emploi.
Profitons de l’élan de solidarité qui pourrait caractériser l’ère post COVID-19 pour tendre vers les objectifs d’un RMG, en bonifiant les dispositifs de revenus de base existants. Bonifions l’assistance sociale, l’aide aux personnes en situation de handicap, élargissons la couverture et la générosité de l’assurance emploi et éliminons la pauvreté chez les aînés en révisant le Supplément de revenu garanti. L’atteinte de ces objectifs est possible et permettrait de réduire bien davantage la pauvreté et les inégalités que la mise en place d’un revenu minimum garanti.
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