Un mépris évident envers les joueurs francophones

Sports et politique



Les trois frères Molson et leurs associés sont maintenant les propriétaires du Canadien de Montréal, une ancienne grande équipe et un excellent contenu pour la télévision sportive.
On connaîtra les détails de la transaction ce matin lors d'une conférence de presse. Il se peut que George Gillett lui-même transmette le flambeau de son bras meurtri.
Le Canadien, sous la propriété de Gillett, est devenu une formidable pompe à fric. Mais l'équipe n'est guère meilleure qu'à son arrivée et surtout, elle est dramatiquement loin de sa grande base de partisans dans le Québec que les médias de Montréal se font un devoir d'ignorer.
Il y a quatre ou cinq millions de francophones au Québec qui ne parlent pas couramment l'anglais et qui le comprennent mal. Évidemment, pour les intellos des médias électroniques à la solde du Canadien, ces cinq millions de Québécois font partie d'une race d'arriérés.
Soixante millions de Français ne parlent pas l'anglais, 70 millions d'Allemands ne le parlent pas non plus. Sans parler des Espagnols ou des Italiens. Ou des Chinois ou des Japonais. Ils ne sont pas arriérés, ils parlent leur langue nationale. Comme des gens normaux le font. Si, en plus, on peut ajouter l'anglais, l'espagnol ou le mandarin à sa culture, c'est évidemment un atout. Mais dans les faits, une société normale parle sa langue nationale.
Pendant les 95 premières années de son histoire, le Canadien a respecté sa clientèle canadienne-française, comme on le disait à l'époque. Depuis quelques années, le mépris est évident. Les arriérés de Roberval, de Québec, de Rimouski ou de Rouyn-Noranda n'ont pas à comprendre leurs joueurs favoris, ils ont tout juste à acheter les gadgets qu'on leur vend le triple de leur valeur. Peter Boivin et Ray Lalonde l'ont décidé.
J'espère que les frères Molson savent lire et compter. Ils vont lire les noms de Lapierre, Latendresse et Laraque et ils vont compter jusqu'à trois. Ils sauront qu'eux, les fils d'une grande famille québécoise, sont les propriétaires d'une équipe ordinaire qui ne compte plus que deux grenouilles et demie, puisque le gros Georges ne jouera qu'une quarantaine de matchs.
J'ai passé l'été à parcourir le Québec des arriérés. Je suis allé en Abitibi, je suis allé au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Dans l'Outaouais. À Québec. Je peux rassurer les frères Molson, les Québécois aiment toujours leurs Canadiens. Mais ils ont de la peine, certains sont en colère et surtout, ils ne comprennent pas. À quoi rime cette éradication des francophones de leur équipe? Pourquoi tenter de les faire disparaître? Pourquoi avoir tant négligé de labourer et de sarcler le terreau du Québec pour y dénicher les jeunes joueurs qui auraient pu constituer la relève?
Pourquoi ce comportement abominable envers les entraîneurs francophones qu'on a littéralement bannis des postes à Hamilton et avec le Canadien? Comme par hasard, c'est depuis que l'équipe a été mise en vente que Bob Gainey a redécouvert quelques grenouilles pour son organisation. Maudit gros hasard!
Les frères Molson ne sont pas obligés de se tourner vers les Québécois pour des raisons politiques. Ni pour des raisons culturelles. Mais ils doivent savoir profiter de la situation unique de Montréal et du Québec en Amérique du Nord pour redonner une grande équipe aux fans. Seuls le Québec et Montréal permettent de bâtir une équipe en se servant du lien privilégié entre des fans et des joueurs faisant partie de la même nation. Ça n'existe nulle part ailleurs. Il n'existe pas une nation suédoise dans la région de Detroit ni une nation cubaine à Sunrise. Alors que la clientèle du Canadien est francophone, que l'histoire de l'équipe est fondée sur ce lien sacré et que le passé de l'organisation a fourni la preuve que le Canadien gagnait davantage quand les dirigeants de l'équipe savaient utiliser cette synergie puissante entre la majorité francophone et ses joueurs.
De toute façon, les contribuables de cette société viennent de prêter une centaine de millions aux trois frères. On pourrait au moins leur faire la politesse d'observer la vieille règle de Sam Pollock et de Serge Savard. À talent égal, on prend un francophone. Et en corollaire, on s'arrange pour ne pas échapper un seul bon franco au repêchage. Ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des erreurs de parcours mais au moins, il y aura une pensée derrière les décisions.
Et cette pensée viendra contrer les tentatives de Bob Gainey d'expatrier tous les joueurs francophones des Glorieux. Sans doute pour avoir moins de problèmes avec les médias.
Dans quelques semaines, Robert Sirois, l'ancien joueur des Capitals de Washington, devenu un brillant homme d'affaires, va publier une bombe. Sirois a consacré des milliers d'heures à un travail de moine. Il a répertorié toutes les statistiques, à toutes les positions, de tous les joueurs francophones dans la Ligue nationale depuis 1970. Et les conclusions qu'on peut tirer de ces montagnes de chiffres glacent le dos.
La discrimination est absolue envers les grenouilles. Le pire, c'est que cette discrimination commence dès le midget AAA. Et que depuis quelques années, le Canadien a bêtement tourné le dos aux Québécois.
Allez vérifier. Combien de joueurs francophones Bob Gainey a-t-il repêchés pendant toutes ses années à Dallas? Un autre hasard, évidemment.
Et puis-je vous rappeler que Robert «Bob» Sirois n'est ni un politicien ni un méchant séparatiste. Il est juste un homme intelligent qui s'est passionné pour une situation qui lui semblait anormale.
Que les trois frères Molson n'achètent pas le livre de Sirois, qu'ils gardent leurs dollars pour embaucher un dépisteur à temps plein pour le Québec, je vais me charger personnellement de le leur faire parvenir.
Le changement à venir au sein de l'organisation commence par la prise de conscience. Et quand ce sont les propriétaires qui sont conscients, tout le reste suit.
DANS LE CALEPIN - Ne venez pas me dire que le Canadien peut bien aligner 20 Chinois «pourvu qu'on gââââgne». Le hic, c'est que justement, les 18 Chinois en place ne gagnent pas. Les vrais héros de cette organisation sont Boivin et Lalonde, ceux qui vendent la guenille aux passionnés.


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