PROJET DE LOI 60

Un grand pas vers l’égalité homme-femme

L’ex-juge de la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé s’inscrit en faux contre l’avis du Barreau sur la charte

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Coup de grâce aux pourfendeurs de la Charte !

Les femmes du Québec franchiront un jalon important dans leur longue marche vers l’égalité si les élus adoptent la charte de la laïcité, soutient Claire L’Heureux-Dubé. La juge à la retraite insiste : le projet de loi 60 — y compris l’interdiction du port de signes religieux pour les employés de l’État — ne porte pas atteinte à la liberté de religion.

« Rien dans le projet de loi 60 n’entrave la croyance religieuse et la pratique de la religion », souligne Mme L’Heureux-Dubé.

Elle a accepté de confier ses réflexions sur la charte de la laïcité à quelques jours de son passage à l’Assemblée nationale aux côtés des Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’État. « La religion est d’abord et avant tout un engagement intérieur, une croyance », explique-t-elle dans un entretien avec Le Devoir. Ainsi, « les signes religieux font partie de l’affichage de ses croyances religieuses et non pas d’une pratique de la religion », précise-t-elle.

Une infirmière contrainte de retirer son hidjab après l’entrée en vigueur de la charte de la laïcité pourrait difficilement dénoncer une atteinte à la liberté de religion. En contrepartie, elle pourrait montrer du doigt une atteinte à sa liberté d’expression. « Tous les employés de l’État sont soumis à des restrictions dans leur liberté d’expression politique. En quoi une restriction similaire quant à leur liberté d’expression religieuse serait-elle différente ? » interroge-t-elle.

« Toutes fondamentales qu’elles soient », les libertés civiles protégées par les chartes québécoise et canadienne « ne sont pas absolues ». « Elles sont sujettes à des limites raisonnables dans une société démocratique et — une fois le projet de loi adopté — laïque », argue l’ex-juge de la Cour suprême.

Gouvernement des tribunaux

La charte de la laïcité entraîne son lot de « conséquences pour la collectivité » comme l’interdiction du port des signes religieux ostensibles pour les employés de l’État, admet Mme L’Heureux-Dubé. « Elle n’en est pas moins légitime », soutient-elle vigoureusement.

Dénonçant les « diktats de la religion », Mme L’Heureux-Dubé tentera de dissuader les élus d’opposition de se rallier à la position défendue par le Barreau du Québec et la Commission des droits de la personne. À ses yeux, ces deux organismes proposent à l’État de confier un « choix de société » au « gouvernement des tribunaux ». « Le rôle des tribunaux n’est pas de gouverner ni d’entraver les choix démocratiques que se donne une société, mais plutôt de réprimer les abus, s’il y en a, au regard des droits fondamentaux que protègent les chartes », affirme Mme L’Heureux-Dubé qui a siégé au plus haut tribunal du pays de 1987 à 2002.

L’ex-juge de la Cour suprême conteste l’idée reçue selon laquelle une éventuelle charte de la laïcité serait à coup sûr invalidée par les tribunaux. Les juges appelés à se pencher sur la « loi 60 » pourront difficilement faire fi du contexte social propre au Québec dans lequel a été adoptée la charte, estime-t-elle.

Dans un Québec marqué pendant des décennies par une « symbiose » entre l’Église et l’État, les femmes du Québec ont entrepris une « marche ardue vers l’égalité » balayées par le vent des « diktats de la religion », raconte Mme L’Heureux-Dubé.

Du coup, plusieurs femmes ressentent aujourd’hui un « malaise profond » par rapport à des « manifestations de coutumes venant d’ailleurs qui offusquent leur vision d’égalité qu’elles ont mis tant de temps et d’énergie à obtenir ».

Balises

La juge à la retraite privilégiera en commission parlementaire l’établissement de principes directeurs afin de baliser les accommodements religieux comme le propose le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville. « Le cas par cas facilite une mosaïque de décisions souvent contradictoires qui créent plus d’incertitude », indique-t-elle.

Elle prendra ainsi clairement le contre-pied du président de la Commission des droits de la personne, Jacques Frémont, sur cette question. « Le mémoire [de la Commission] pèse des oeufs de mouche avec des balances de toiles d’araignée », déplore-t-elle.

Claire L’Heureux-Dubé n’est guère plus tendre à l’égard du mémoire du Barreau du Québec. « Le mémoire est décevant par son négativisme. »

Elle s’explique mal l’observation de la bâtonnière du Québec, Johanne Brodeur, selon laquelle le projet de loi 60 ne s’appuie sur « aucune donnée réelle ». Les coprésidents de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, Gérard Bouchard et Charles Taylor « ont entendu les représentations des citoyens, ont fait des études… » « Et, ils en sont venus à la conclusion qu’il y avait lieu pour le Québec de se doter d’une loi sur la laïcité. Ils ont eux-mêmes recommandé une limite au port des signes religieux pour certains employés de l’État », rappelle-t-elle.

Par ailleurs, la magistrate à la retraite juge curieux que le Barreau du Québec n’ait pas consulté ses membres avant d’y aller d’une « charge à fond » de train contre le projet de loi 60 du gouvernement Marois.

La membre de l’Ordre du Canada profitera de son passage à l’Assemblée nationale pour partager son « admiration » pour le « courage » de la députée Fatima Houda-Pepin, exclue du caucus libéral il y a près de deux semaines pour avoir refusé de se rallier à l’approche légaliste de son chef Philippe Couillard dans le débat sur la charte.

Mme L’Heureux-Dubé, qui a enregistré un nombre record de dissidences à la Cour suprême, se plaît à le rappeler : « les dissidences sont très souvent la voix du futur ». « À preuve, mes dissidences nombreuses qui sont pour un très grand nombre aujourd’hui devenues la loi », fait-elle fait remarquer.


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