La demande de pardon du gouvernement fédéral aux nations autochtones

Un geste imparfait mais capital

21 juin - Journée nationale des peuples autochtones


Peut-on croire sérieusement un gouvernement lorsqu'il demande pardon? La question se pose de manière aiguë alors que le gouvernement de Stephen Harper a offert récemment des excuses aux nations autochtones pour l'horreur liée aux pensionnats fédéraux. Encore une histoire politique, un mensonge organisé... De toute façon, comment pardonner ce siècle de souffrances? Ces familles dévastées, ces blessures inoubliables, impardonnables parce que consciemment voulues et accomplies?
L'impardonnable est par définition impardonnable. Et de plus, lorsque c'est un gouvernement qui demande pardon, celui qui parle représente une entité froide, anonyme, calculatrice, bien loin de l'humilité, de la générosité, de la sincérité, du remords, et je dirai du tremblement qui caractérise une vraie demande de pardon entre deux personnes. Fi du coeur à coeur! Fi des émotions et des sentiments! Le cadre et le décorum précis, réglés comme du papier à musique, les mots choisis, le ton employé et le fait même que ces excuses aient été exigées rendent cette demande de pardon officielle des plus suspectes aux yeux du grand public.
Ce geste, devenu maintenant transnational et, du coup, presque banal, est la plupart du temps perçu par l'opinion publique comme le règlement en désespoir de cause d'un vieux contentieux impossible à régler autrement, une façon de contourner une infinité de procédures judiciaires longues et coûteuses, une tentative de calmer les populations en colère, ou encore une mode internationale, une sorte de comédie juridico-politique qu'il est dans l'air du temps de jouer. On en rit, d'un rire sarcastique, on en sourit, d'un sourire ironique, on boude ou on marmonne, mais rarement dit-on que c'est bien...
Courant moral?
Mais s'il s'agissait de quelque chose de plus important? Si la grande vague d'excuses qui balaie nos sociétés modernes correspondait bien à un certain courant moral? C'est une incontournable réalité que les peuples, dans le cadre des revendications identitaires, nationales et même internationales, acquièrent aujourd'hui une conscience de plus en plus forte de leurs droits les plus fondamentaux.
Mais ce n'est pas moins une réalité que ce courant atteint aussi nos institutions politiques et publiques. Né de l'après-guerre, ce mouvement n'est pas en sens unique: les peuples colonisés, exploités, exclus, maltraités, infériorisés demandent qu'on restaure leur dignité bafouée. Et il y a des gens pour les écouter.
Ce désir de repentance publique pour les fautes du passé est le moteur qui pousse certains acteurs de cette sphère à la fois hautement protégée et hautement perméable qu'est un gouvernement démocratique à agir à l'intérieur de cette dynamique, pour y introduire une composante éthique. Le phénomène est issu d'une interaction réciproque. Sans quoi le mot pardon n'aurait jamais passé la barrière du politique.
Processus paradoxal
Mais lorsqu'un État demande pardon à une collectivité, on entre alors dans un processus incontrôlable de complexité. En effet, en aucun cas la demande de pardon exprimée par un État ne se suffit à elle-même. Pour être acceptée, elle suppose un certain nombre de conditions. Et le respect de ces conditions nécessite, à la fois de la part des gouvernements et de la part des peuples en exigence de pardon, un travail de grande ampleur et de longue haleine, basé sur l'échange et le dialogue à de multiples niveaux.
Dans une demande de pardon politique, comme dans un traité de paix, chaque partie doit faire des compromis: seul un contexte «froid», dépourvu d'émotions, permettra par exemple de calculer les réparations financières, de dire exactement ce qui doit être dit, de déterminer les responsabilités, de faire la part de la vérité historique et donc de réécrire l'histoire, de prendre des engagements nationaux, etc.
Pourtant, le paradoxe se trouve dans le fait que plus ce geste officiel revêtira les critères caractérisant le pardon interpersonnel (gratuité du geste, humilité, sincérité, générosité, face à face, repentir, justes réparations, engagement, etc.), plus il sera crédible aux yeux de la collectivité qui le reçoit, même si à partir du moment où il y a négociation et compromis il y a du même coup une prise de distance par rapport au pur pardon.
Il faut donc que la demande de pardon gouvernementale rejoigne à la fois les caractères d'une demande de pardon interpersonnelle et ceux d'un geste politique dépourvu d'émotions, devenant alors un geste qui, à travers cette dualité sacrée, marquera l'histoire. Cet objectif n'est pas évident à atteindre. On n'a pas encore vu de demande de pardon parfaite, c'est le moins qu'on puisse dire. Faut-il par conséquent jeter le tout dans la poubelle de la rancune ou de l'indifférence?
Politique et éthique
Peut-être pas. Il est vrai que nos peuples autochtones, encore sous le coup des terribles injustices, sévices et abus subis dans les pensionnats, dont certains racontent une véritable histoire d'horreur, ont du mal avec ce paradoxe, par essence inhérent à ce geste. Peut-on mêler, intégrer la politique et l'éthique? Ce que nous avons plutôt vu, c'est une fantastique remontée de mémoires dispersées, de grands rassemblements d'ex-pensionnaires autour d'une vieille souffrance en souffrance d'être entendue et reconnue.
On ne sait pas s'ils sentaient confusément que, derrière cette demande de pardon du gouvernement, il y avait effectivement autre chose, mais tous les témoignages entendus sur nos chaînes ou lus dans nos quotidiens ont montré qu'ils étaient touchés. Chacun a pu voir, en arrière-plan des paroles pourtant froides d'un premier ministre qui ne pèche en général pas par excès d'émotivité, les larmes et l'émotion des survivants marqués dans leur chair et leur âme.
On aurait pu toucher du doigt le renversement intérieur qui se faisait chez ces grands blessés d'une politique qui fut un jour ouvertement criminelle. Pardonnaient-ils vraiment, ont-ils pardonné? On ne le saura pas, car pardonner est une affaire personnelle, intime, secrète, et finalement incompréhensible à l'autre. Pardonner est même un geste si exceptionnel qu'on ne peut l'attendre d'une collectivité tout entière. Mais ce que ces larmes disaient, c'est tout simplement ce cri du coeur: «Enfin! Enfin! Oui, nous avons vraiment souffert et aujourd'hui on reconnaît notre souffrance, devant l'histoire, devant le pays, tous les habitants de ce pays.»
Geste perfectible
À la limite, il n'est même pas question de pardon, car l'important, c'est que le geste de demander pardon ait été fait. C'est vrai, on eût aimé que les personnes à qui l'on demandait pardon aient le droit de répondre sans avoir à l'obtenir comme une faveur de dernière minute, car c'était bien la moindre des choses. Si l'on n'a pas droit à la réplique, où est l'échange de coeur à coeur du vrai pardon?
On eût aussi aimé voir M. Harper à genoux, comme le premier ministre de l'Australie nous en avait donné l'exemple quelques mois plus tôt. On eût encore aimé qu'il prononce plus souvent le mot «apology», plus profond et plus significatif que celui de «sorries». Des milliers de coeurs à l'affût de ce genre d'indice guettaient dans l'ombre, d'un bout à l'autre du pays.
Alors merci à vous, M. Jack Layton, d'avoir été, même un court instant, débordé par vos émotions. Ce point de bascule nous a tous fait sortir de la glace du carcan étatique. Merci à vous, les chefs autochtones qui ont pu répondre, d'avoir tendu la main «à tous les Canadiens», et parlé de réconciliation, et merci aussi au chef de l'APNQL, Ghislain Picard, qui a rappelé en ce jour spécial que de profondes inégalités et injustices séparent encore nos deux peuples, et qu'en ce sens demander pardon ne suffit pas puisque tout reste à faire.
Reconnaissance du crime
Mais les bons mots ont été prononcés, les justes mots: «l'inacceptable», «abus sur les enfants sans défense», «arrachés à leur foyer, mal nourris, mal logés, habillés de façon inadéquate», «conséquences néfastes», «séquelles sociales aujourd'hui», etc. Voir le crime reconnu représente un geste capital. La transmission intergénérationnelle des traumatismes et des souffrances a aussi été reconnue. Et le gouvernement ne s'est pas exprimé d'une seule voix mais a aussi donné la parole aux chefs de l'opposition. Ça, on ne l'avait pas encore vu à l'occasion de ces demandes officielles de pardon.
La demande de pardon d'un État à un de ses peuples victimes un jour d'injustices, même incomplète, même terriblement insatisfaisante, correspond à une étape importante et nécessaire de notre histoire contemporaine parce que, en avouant officiellement les crimes du passé et en reconnaissant la responsabilité du gouvernement dans ces crimes, elle fait sauter un verrou de l'histoire et lui permet d'avancer.
La réconciliation
Personne n'aime les cauchemars. Que l'on pardonne ou pas, on peut regarder devant avec plus d'assurance, on peut cheminer plus légèrement, commencer à ouvrir son avenir. Demander réparation, aussi, car le pardon n'est pas le substitut de la justice. Le 11 juin 2008 ne renversera pas brusquement un siècle d'infinie détresse. Mais il marque un premier pas vers la réconciliation. Un petit pas, court peut-être, insuffisant sûrement, mais un pas nécessaire, et beau, et libérateur en lui-même.
On se souviendra de ce très beau tournant du film La Dernière Marche, lorsque le criminel s'effondre enfin et avoue son crime, et de la merveilleuse libération qui s'ensuit. La seule reconnaissance est une première délivrance. Il faut le dire, car partout dans le monde bien des demandes de pardon restent à prononcer, et bien des gouvernements font la sourde oreille, préférant balayer sous le tapis les injustices et les atrocités passées, afin de ne pas rendre de comptes. Or l'oubli n'est pas le pardon, pas plus que le pardon n'est l'oubli.
***
Annik Chiron de La Casinière, Doctorante en anthropologie à l'Université Laval rattachée au CIERA (Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones)

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Annik Chiron de La Casinière1 article

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Doctorante en anthropologie à l'Université Laval rattachée au CIERA (Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones)





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