Rwanda: une école, un miroir ....

Un génocide aux couleurs de la justice

Tribune libre

En 94, pendant que les «Tutsi» subissait un génocide à ciel ouvert, le monde n'a pas bougé et s'est plutôt gavé de sensations fortes, genre fictions hollywoodiennes. Après 94, le monde s'est morfondu de n'avoir pas su décoder le silence des victimes et la rage des «machettes». Je cru un temps que ce même monde devait en apprendre pour grandir, et ne plus s'y faire prendre.
Hélas, voyez-vous, un génocide se consomme à grands pas, à petites doses. Et non seulement le monde assiste dans l'enthousiasme de l'inaction, mais aussi les rescapés restons de marbre tel des grenouilles bouillies dans de l'eau tiède.
Il y a un génocide qui s'achève au Rwanda, et ne dites pas que vous l'ignorez. Nous n'y sommes pour rien, direz-vous, mais de grâce ne dites plus que nous n'y pouvons rien.
Il y a un génocide malin, couvert par les odeurs d'un autre génocide qui heureusement lui c'est arrêté avec la victoire d'une machine à tuer sur une autre. Cette machine victorieuse est investie depuis en héros, ce qui lui a permis de poursuivre avec minutie et plein de munitions son macabre plan d'extermination de toute résistance à sa marche. Le FPR n'a pas arrêté le génocide, il a gagné les concours de tueries en 94, et depuis il a changé de logistique.
De 90 à fin 94, le FPR et le régime de Kagame ont massacré des hutu et des tutsi, pour conquérir et conserver le pouvoir. On estime à près de 1 million de personnes tués jusque là par la seule machine FPR, sans compter les victimes de l'autre machine dite «Interahamwe». Après sa victoire en juillet 94, le FPR a orchestré une savante campagne de massacres dits de «représailles» et de «vengeance». Les médias en ont tristement parlé, mais sans aucune condamnation, sans contestation aucune, sans en appeler à l’arrêt de barbaries. Quelques années durant, nous avions déjà oublié. Récemment à Montréal, en 2006, Kagame se venta d'avoir fait tuer des tueurs ! Saisissez donc cet état d'esprit ! Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été tuées, d'autres sont mortes en détention dans des mouroirs faits à cet effet. Ne perdons pas de vue les carnages de fugitifs sur le territoire de l'ex-Zaïre, voire au Rwanda même comme sur le site des parutions de la Sainte Vierge Marie à Kibeho.
Pour réussir ce macabre dessin, le FPR a fait croire qu'il rendait justice ! Parce qu’il y a eu l’autre génocide, chacun voudra tout permettre pour traquer les coupables et assurer que «plus jamais ça». Face à cette juste fascination, on oublie hélas que le FPR est l’une des machines génocidaires, si ce n’est la principale. Ce faisant, d'aucuns savent que les innocents parmi ses nouvelles victimes se comptent par centaines de milliers, voire en millions. En effet, jamais il ne pourrait y avoir au total plus de quelques dizaines de milles de gens aux mains souillées, coupables de crimes prescriptibles ou non, commis en 94 ou un autre temps. Le calcul est simple, il est plutôt difficile d'y réfléchir. Et tous ces coupables et suspects, quasiment tous, ont été tués. Pourtant, nonobstant la nécessité de sévir, la logique de bâtir commande de ne pas se substituer à l’oppresseur, au criminel. Mais, les destructions humaines ne finissent point. La machine écrase tous sans distinction, dit-on pour ne pas risquer d'échapper un seul coupable. Ainsi, on perd de vue la sagesse essentielle à l'esprit du juste et de la justice, soit de ne jamais faire subir une injustice à un innocent au nom de la justice.
Le plan de la machine FPR est de toute évidence tout autre. On se sert des fenêtres d'un génocide pour parachever un autre. Ce plan est des plus machiavéliques jamais élaboré, jamais mis en oeuvre. Quand le professeur belge Philip Reytjens qualifie Kagame d'un «Hiltler africain», j'ose dire qu'il manque de comparaison. Kagame a tout de Hitler, les armes, les cordes pour attacher les victimes avant de les assommer, les fours crématoires en container, les mouroirs, etc. Kagame aura su tromper la vigilance du monde et surtout avoir de puissants gouvernements comme complices. Ceci n’a heureusement pas réussit au führer Adolphe. Aussi, le seigneur de guerres Paul aura su étaler la mise en oeuvre de son plan sur plusieurs années, éliminant un à un ses victimes.
Après l'alibi de «représailles» ou de «vengeance» qui nous passe le savon sur les massacres de la rébellion FPR dans Byumba et Ruhengeri bien avant 94, l'on a fait avaler au monde la couleuvre du terrible «crime de voisins». Ainsi, considérant que des voisins auraient tué des voisins, que des maris auraient tué des épouses, que des mères auraient tués leurs enfants, que des bambins auraient charcuté leurs copains, l'on ne peut concevoir de limites à la folie, et partant à la chasse aux sorcières. Pourtant l'on sait, nous savons pertinemment que le crime de voisin est une criminelle thèse, que ceux qui portent échos de ces absurdités participent inconsciemment à un génocide dont personne n’osera dire le nom. Si des criminels ont de toute évidence tué des voisins, ce n'est pas parce qu'ils étaient leurs voisins, plutôt ces bourreaux étaient-ils fous, délinquants, manipulés. Ainsi, les voisins sains ont caché des voisins, au risque même de périr. Et ça, on le sait. Hélas personne ne le dira, par peur de représailles. Mais on n’a pas peur de dénoncer un suspect, au risque de diffamer, de commettre l’irréparable, parce que se dit-on il faut rendre justice. Pourtant, pourtant, je crois que l'acte de sauver une vie, de résister à l'ouragan de massacre est plus valeureux que l'acte de tuer ou punir. Valoriser la bravoure des voisins est de toute évidence aller contre le plan secret de la machine FPR. Peut-on me démontrer le contraire ? Je mets quiconque croit que ce n'est pas vrai, au défi d'éclairer ce qui se cache derrière des prisons pleines à craquer depuis 94, alors que la mort y est omniprésente. Je mets celui-la au défi d’éclairer autrement ce qui se trame derrière les accusations photocopiées et des condamnations copiées collées par les Gacaca, ce que signifient les peines de plusieurs années de TIGE( travaux forcés) couplées à plusieurs autres de tôles pour des gens de toute évidence innocentes.
Avec l'aide internationale, le FPR a mis en marche les Gacaca, pour des objectifs plutôt nobles à savoir juger et réconcilier. Savez-vous ce qu'il en a fait ? Une machine génocidaire. Et les Gacaca ont été mises à l'odieux ouvrage. Des intellectuels, des religieux, des politiciens, des commerçants, des paysans, y passeront, tous un à un. A chaque fois, nous auront dit: «pourquoi c'est lui ou elle, et pas quelqu’un d’autre!». Nous aurons alors accrédité la thèse d'une juste intention judiciaire. Et nous nous sommes tu, ignorants la triste réalité ou plutôt habitués à faire le mort pour survivre, à l’instar des rescapés de carnages et de fosses communes. Ainsi, nous n'aurons pas vu l'oeuvre du diable vidant une mère à l'aide d'une cuillère dans des trous à la manière des Gacaca.
Il y a quelques années, alors que les organisations humanistes en occident faisaient pressions pour exiger la régularisation des détentions abusives, le Rwanda a voulu désamorcer la bombe et a relâché au compte goutte d'innocentes victimes. En même temps, il clamait de libérer des criminels ayant passé aux aveux. Ce message était réfléchi, et il fallait attendre un temps pour en saisir la portée. Le crime de génocide étant imprescriptible, la machine sait quand elle peut rattraper et mâcher quiconque elle aura libéré, que ce soit sur base de procès réguliers ou sur simple constatation d'absence d'accusations.
Pendant que des gens innocentes comme Makeli Dominique quittaient la prison après 14 ans de tortures et de dénie de la dignité, nous avons entendu des voix faisant valoir un miroir de progrès d'une justice en marche ! Hélas, des Makeli sont des centaines de milliers dans les mouroirs, hélas un de moins nous fait oublier l'horreur de toutes ces années d'innocence dans l'enfer, la fureur des prisons et des cimetières qui ne s'humanisent jamais, l'horreur des odeurs de morgues qu'on ne permet de vider, des deuils confisqués.
Au Rwanda, alors que le dû respect des morts est rigoureusement observé pour les victimes du génocide «de tutsi», il est proscrit pour celles du génocide «de hutu». Les leurs survivants, lorsqu'il y en a, ne sont pas autorisés à récupérer les corps ou les restes osseux pour les ensevelir et, éventuellement, demander justice. Uwimana exilée en France, l'a appris à ses dépens. Ayant appris par son frère vivant au Rwanda que leur père a été jeté dans la latrine de la résidence familiale, elle s'est empressée de s'y rendre dans l'espoir d'accéder à la vitale responsabilité. Hélas, l'autorisation d'ouvrir la fosse lui fut refusée, à l'effet que son père n'est pas identifié comme «tutsi». Pire, elle dut repartir nuitamment et payer gros, pour échapper à une tentative d'assassinat. Des centaines de milliers de hutu ont perdu des leurs, et ne peuvent accéder à leurs restes, ou faire des recherches pour les localiser ou apaiser leur peine. Tel est mon cas et celui de mon épouse pour entre autres ses parents et mon frère, et c'est hélas aussi le cas de nombreux rwandais,dont des proches et amis vivant au Rwanda ou en exile. Une bonne partie de ces restes sont exposés dans les «mémoriaux du génocide de tutsi» comme celui des plus controversés de Ndiza, une façon bien cynique d'interdire aux leurs l'espoir du deuil, et d'alimenter chez eux les cancers autodestructeurs du chagrin ou de la paranoïa.
Alors qu'on parle de mettre fin aux Gacaca, on oublie les prisons et pire, on oublie la présence et la persistance d'une ingénieuse machine génocidaire. Il y a une année, le commerçant Ngarambe qui avait été innocenté et libéré en 2004 après 10 ans de prison, est convoqué par le Gacaca pour répondre de fallacieuses et gravissimes accusations d'«intentions génocidaires». Malgré sa certitude et sa totale conscience d'innocence, Ngarambe apprendra à ses dépens que la justice ne fait pas partie des intentions du régime. Des témoins l'auraient vu à Kabgayi, 60Km de chez lui, alors qu'il «pointait du doigt des fugitifs tutsi» à l'adresse des interahamwe. 19 ans de prison pour un homme de 60 ans, et 1 an pour un tutsi rescapé ayant tenté de plaider en sa faveur.
Les Ngarambe sont extrêmement nombreux et se retrouvent partout au Rwanda. Chaque jour, des noms distincts d'hommes et de femmes rallongent la liste, chaque jour des gens sont conduits à l'abattoir sous le couvert de notre silence ou de notre indifférence. Bientôt devrions-nous constater l’irréversible, un génocide consommé, l’extermination d’un groupe ethnique jadis «majoritaire», réduite à une minorité survivante comme cela fut le cas des twa depuis la création du Rwanda, ou des amérindiens depuis les origines du Canada.
On parle encore ces derniers jours d'une recrudescence de l'exilation. Des gens innocents continuent de fuir la machine, indistinctement de tout apparence ou appartenance ethnique, pendant que de cyniques imbéciles ou égoïstes chantonnent que le Rwanda est «sûr», que n'y seraient menacés que «des présumés criminel». Quand la présomption de criminalité corrompt la présomption d'innocence, quand on se croit fondé d'accepter et endosser des menaces à la vie des gens à l'effet qu'ils ne sauraient se prévaloir d'une présomption d'innocence, la folie a poigné dans la foule et les conditions d'un génocide sont réunies. Serions-nous fondés de nous prévaloir d'épithète d'humanistes, de nationalistes, de civilisés, et rester cloîtrés dans nos petites et vaines sécurités sans vibrer du vivant «plus jamais ça»?

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François Munyabagisha79 articles

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Psycho-pédagogue et économiste, diplômé de l'UQTR
(1990). Au Rwanda en 94, témoin occulaire de la tragédie de «génocides»,

depuis consultant indépendant, observateur avisé et libre penseur.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 février 2010

    François déplore : Au Rwanda, alors que le dû respect des morts est rigoureusement observé pour les victimes du génocide « de tutsi », il est proscrit pour celles du génocide « de hutu ».
    Si une telle attitude ne s’observait qu’à l’intérieur du Rwanda, il y aurait lieu d’endiguer la gangrène rapidement. Le comble de malheur, c’est que cette même attitude est celle de la fameuse « communauté internationale » qui passe en mode hibernation chaque fois qu’on lui parle d’une souffrance autre que celle des Tutsis.
    Bannir le mal de quelque camp qu’il vienne et reconnaître la souffrance de toutes les victimes quels que soient les bourreaux, voilà ce qui peut assurer « le plus jamais ça ! ». Autrement, le monstre en l’Homme continuera à croître et finira par phagocyter l’humanité en nous, pour toujours hélas ! Ainsi, l’Homme aura décrété sa propre fin, car comme dit l’adage rwandais : « Urucira muka so rugatwara nyoko », qu’on pourrait traduire littéralement par : « Tu décrètes la mort à l’intention de la concubine de ton père pour seulement la voir emporter ta propre mère ».
    Je garde espoir que l’Homme reviendra rapidement à la raison pour faire triompher ce qu’il a de plus précieux: l’humanité - « ubuntu ». Je salue le courage de ceux qui, à l’instar de Galilée, persistent à dire au sujet du drame rwandais : « ET POURTANT… »
    Vérène Mukandekezi

  • Archives de Vigile Répondre

    11 septembre 2009

    "Quand la présomption de criminalité corrompt la présomption d’innocence, quand on se croit fondé d’accepter et endosser des menaces à la vie des gens à l’effet qu’ils ne sauraient se prévaloir d’une présomption d’innocence, la folie a poigné dans la foule et les conditions d’un génocide sont réunies"
    Voilà une phrase qui devrait être écrite à l'entrée du palais des nations Unies. Mais, et c'est ici que l'impuissance dont parle Nicole atteint son paroxysme: qui des agents ou des diplomates des Nations Unies ne connaît pas ce qui se passe au Rwanda? Personne. Ils sont même plus renseignés que nous, que vous monsieur Munyabagisha! Pour moi la communauté internationale n'existe plus. Ce qu'il en reste (un ami me disait un jour: a-t-elle jamais existé?) est un agglomérat de prédateurs (par snobisme diplomatique on appelle cela les groupes d'intérêts, réseaux d'influence ou lobbyistes) dont on ne sait plus jusqu'où (eux-mêmes ne le savent pas) ils vont précipiter l'humanité. L'humanisme est morte comme Dieu est mort (nous dirait le philosophe Nietzsche), il ne nous reste que les "derniers hommes".
    Seigneur sauve-nous!!!!!
    Raphaël R.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 septembre 2009

    "Il y a un génocide qui s’achève au Rwanda, et ne dites pas que vous l’ignorez. Nous n’y sommes pour rien, direz-vous, mais de grâce ne dites plus que nous n’y pouvons rien."
    Nous sommes peu nombreux à vous lire. Quant à réagir!... Mais quoi dire?
    On reste sans voix! Avec un tel sentiment d'impuissance... quoi que vous en pensiez ! Dites-nous, peut-être...
    Nicole Hébert