La sécurité dans les Amériques

Un enjeu de première importance

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Nous publions cette semaine une série de textes dans le cadre de la cinquième École internationale d'été sur les Amériques, présentée jusqu'au 17 mai par le Centre d'études interaméricaines de l'Institut québécois des hautes études internationales de l'Université Laval.
Voici le dernier de trois textes.
La sécurité dans les Amériques est un phénomène dont on entend peu parler au Québec et au Canada. Paradoxalement, il s'agit d'un thème ancien et important de l'intégration politique dans les Amériques.
Les enjeux les plus connus de sécurité dans les Amériques sont sans doute la guerre civile en Colombie et l'instabilité politique chronique d'Haïti. L'actualité des six derniers mois, avec les libérations d'otages par les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) et les émeutes en Haïti, nous le rappelle avec acuité.
Toutefois, depuis quelques années, la nature des enjeux de sécurité a fondamentalement changé, de même que la définition qu'on donne justement à la sécurité. Dans les Amériques, depuis la Conférence spéciale sur la sécurité, en 2003, cette notion ne concerne plus exclusivement les menaces de nature militaire: elle englobe davantage les éléments qui favorisent la stabilité politique, sociale et économique des États et des populations.
Le calcul est simple à faire pour la communauté interaméricaine. Plus les États des Amériques seront stables d'un point de vue politique et économique, plus la sécurité régionale sera pérennisée. Cela se comprend mieux devant la nature transnationale des enjeux de sécurité régionaux. Devant ces enjeux de sécurité, les frontières nationales deviennent obsolètes et nécessitent une réponse coordonnée issue de la coopération des différents acteurs concernés par ce problème.
Types de sécurité
On peut classer l'ensemble des enjeux de sécurité en grandes catégories non exhaustives: en premier lieu, dans une catégorie dite de sécurité traditionnelle, viendraient certainement la lutte contre la drogue et son trafic, le terrorisme et les crimes qui y sont associés, la criminalité transnationale, la coordination des différentes forces armées pour atteindre une bonne interopérabilité, le maintien de la paix et les mesures de confiance, la sécurité collective, le désarmement et la non-prolifération.
Dans une deuxième catégorie d'enjeux de nature émergente, il est possible d'ajouter les menaces à la démocratie et aux droits de la personne, les mesures d'aide à la bonne gouvernance, les menaces à l'environnement et à la sécurité civile lors de catastrophes naturelles, la lutte contre le trafic illicite d'humains et d'organes humains, la pauvreté extrême et l'exclusion sociale, la cybersécurité et la cybercriminalité.
Au-delà de ces deux catégories, il y a aussi des aires géographiques dans les Amériques qui concentrent les problèmes de sécurité. Par exemple, il y a la frontière américano-mexicaine, la triple frontière Argentine-Brésil-Paraguay, lieu de tous les trafics en Amérique du Sud, Haïti, Cuba et les États insulaires fragiles. Il ne faut pas oublier aussi les Andes à cause des mouvements de troupes et des trafics des groupes de guérilla et de paramilitaires à travers des frontières plutôt poreuses entre la Colombie, l'Équateur et le Venezuela, entre autres.
Rapports entre pays
Plusieurs raisons expliquent ce changement de définition et la prise en compte de la nouvelle nature des enjeux de sécurité. Traditionnellement, les rapports entre les pays des Amériques étaient balisés par six normes qui, soyons honnêtes, n'ont pas toujours été respectées. Ces normes sont la non-intervention, le règlement pacifique des conflits, l'égalité juridique des États, la règle de droit, l'autodétermination, la démocratie et la promotion des droits de la personne.
Or, à la fin de la guerre froide, deux phénomènes d'importance ont été observés dans les Amériques. D'une part, les États-Unis ne sentaient plus le besoin d'intervenir politiquement et militairement comme auparavant en Amérique latine, car la menace communiste avait fortement diminué. D'autre part, la transition vers la démocratie de la quasi-totalité des États de l'Amérique latine favorisait la coopération régionale et la stabilité du continent. Or un renouveau institutionnel a été insufflé aux organisations régionales afin de les mettre en phase avec la nouvelle réalité du continent.
Ainsi, au Sommet des Amériques de 1994, à Miami, a émergé une nouvelle volonté régionale promue par les États-Unis de façon sincère où le respect mutuel des partenaires a joué un rôle central. La confiance et le désir de changement régnaient à l'époque. Ainsi, plusieurs initiatives et de nombreuses réformes ont été mises en oeuvre pendant cette période.
11-Septembre
Toutefois, un déclin lent mais certain de cet esprit de renouveau a été remarqué depuis les attentats du 11 septembre 2001. Depuis lors, les États-Unis ont d'autres priorités plus importantes que la sécurité dans les Amériques. Ce désintérêt du partenaire prépondérant en matière de défense et de sécurité a eu plusieurs conséquences, notamment la volonté d'obtenir une autonomie grandissante de la part des pays latino-américains.
On peut voir un exemple de cela dans les projets d'intégration politique soumis par le président Hugo Chávez ou encore dans la récente volonté du Brésil de créer un Conseil de défense sud-américain voué à la prévention des conflits et à l'harmonisation des politiques de défense. Une autre conséquence notable du désintérêt états-unien, conjuguée avec la lutte contre le terrorisme et avec l'échec du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), se perçoit à travers l'émergence de la forteresse nord-américaine. Celle-ci se manifeste non seulement par un resserrement des frontières états-uniennes mais aussi par un contrôle accru de tout ce qui transite par les États-Unis, personnes ou marchandises.
Principales institutions
Or, malgré ce désintérêt depuis 2001, le système interaméricain de défense et de sécurité continue de fonctionner. [...] Trois principales institutions fonctionnelles existent à l'heure actuelle. Il y a tout d'abord le processus des sommets des Amériques qui, à chaque rencontre des chefs d'État et de gouvernement, établit un ordre du jour et une déclaration englobant les enjeux de sécurité continentaux. Les sommets tracent ainsi la voie à l'ensemble des différents acteurs du continent (États, OIG, forces armées, etc.) en matière de sécurité.
Viennent ensuite les rencontres des ministres de la Défense des Amériques (CDMA), chargées d'assurer le suivi de façon bisannuelle des déclarations et des plans d'action des différents sommets des Amériques. Elles ont aussi pour mandat de proposer différentes initiatives en matière de défense et de sécurité sur le plan régional. Ces rencontres constituent en quelque sorte l'interface privilégiée entre le monde politique et le monde militaire. Le Canada sera d'ailleurs l'hôte de la huitième rencontre, en septembre prochain à Banff.
Enfin, le Comité sur la sécurité continentale (CHS) de l'Organisation des États américains (OEA) constitue l'organe qui tente de coordonner l'ensemble des actions entreprises par les membres du système interaméricain en matière de défense et de sécurité en vertu des normes régionales et des différents traités interaméricains. Il est le lieu de la coopération quotidienne entre les 34 États membres de l'OEA en matière de défense et de sécurité. Ces trois institutions forment le pivot central de la coopération en matière de sécurité dans les Amériques. Les enjeux sont donc nombreux, ce qui fait de la sécurité de tous et chacun un axe de première importance.
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Hugo Loiseau, Professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques

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Professeur à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques





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