Un deuxième juge unilingue à la Cour suprême

Si on veut rendre le processus vraiment transparent, ce n'est pas les pauvres juges qu'il faut questionner, c'est le premier ministre

Actualité québécoise - de la dépendance québécoise et du triomphalisme canadian

Brian Myles , Hélène Buzzetti - La nomination d'un nouveau juge unilingue anglophone à la Cour suprême a soulevé l'ire de l'opposition et relancé le débat sur le bilinguisme au plus haut tribunal du pays.
Tant le Nouveau Parti démocratique (NPD) que le Bloc québécois (BQ) dénoncent ce manque de considération pour les francophones du pays, d'autant plus qu'au moins trois des candidats s'étant hissés sur la courte liste des six finalistes étaient bilingues.
Le premier ministre Stephen Harper a confirmé en matinée la nomination de Michael Moldaver et d'Andromache Karakatsanis à la Cour suprême, en remplacement de Louise Charron et de Ian Binnie, qui ont pris leur retraite.
Mme Karakatsanis parle français, anglais et grec. Mais M. Moldaver ne parle pas du tout français, ce qui en fera le deuxième juge unilingue à siéger au plus haut tribunal du pays après Marshall Rothstein, lui aussi nommé par Stephen Harper, en mars 2006.
Selon le doyen de la Faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa, Sébastien Grammond, ces nominations marquent un recul pour le bilinguisme à la Cour suprême, une cause qu'il défend ardemment. «Le bilinguisme doit faire partie des compétences nécessaires pour être juge à la Cour suprême, parce que les juges entendent des causes en français, et parce qu'ils doivent interpréter des lois adoptées dans les deux langues officielles», explique-t-il.
À Ottawa, le NPD était outré. Avant les élections, le parti avait déposé un projet de loi exigeant que tout futur juge à la Cour suprême soit capable de comprendre les deux langues officielles sans l'aide d'un interprète. Ce projet de loi, adopté aux Communes en contexte minoritaire, avait stagné au Sénat jusqu'au déclenchement de la campagne.
«Il semble qu'il y avait des personnes complètement bilingues et que M. Harper était capable de choisir deux personnes bilingues, a expliqué la chef intérimaire, Nycole Turmel. C'est la décision de M. Harper. On [la] déplore. Notre position a toujours été la même et nous allons nous battre pour nous assurer qu'il y ait une loi pour protéger le bilinguisme.»
Le NPD se trouve dans une situation inconfortable parce qu'il a pris part au comité de sélection des candidats. Le député Joe Comartin, qui y siège, a entériné en totalité la liste de candidatures potentielles soumise au premier ministre. Pourquoi avoir appuyé les candidatures d'unilingues anglophones? «J'ai fait un serment, je ne peux pas vous le dire», a-t-il dit, expliquant que les rencontres s'étant tenues à huis clos, il n'avait pas le droit d'en révéler le déroulement. «Je ne suis pas d'accord avec cette nomination, ça, c'est vrai», a répété M. Comartin, amplifiant l'apparence de contradiction.
À la Chambre des communes, le Bloc québécois a été le seul parti à interroger le gouvernement à ce sujet. Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a expliqué — en anglais puisqu'il est lui-même unilingue — que le choix portait sur les compétences des candidats. «La Cour suprême du Canada est le pinacle de notre système judiciaire et nous continuerons d'y faire des nominations sur la base du mérite et de l'excellence légale», a-t-il dit.
Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, est plus mitigé. «Est-ce que les gens peuvent rapidement apprendre le français? Je ne sais pas, mais, pour moi, c'est toujours une grande préférence que les candidats puissent parler le français, mais je ne peux pas dire que les candidats qui ont été nommés ne sont pas qualifiés», a-t-il dit.
Des juges compétents
Michael Moldaver et Andromache Karakatsanis sont tous deux issus de la Cour d'appel de l'Ontario. Ils ont été choisis par le premier ministre Harper à partir d'une liste de six candidats approuvée à l'unanimité par un comité formé de cinq députés (dont deux de l'opposition). Ce comité disposait d'une liste de 12 candidats établie par le ministre fédéral de la Justice. La liste du ministre Nicholson provenait à son tour d'une banque plus large constituée par le Procureur général de l'Ontario et des représentants de la communauté juridique et du public.
«Ce sont des juges tout à fait compétents. Ce ne sont pas des nominations idéologiques, en ce sens que ce ne sont pas des gens qui se sont faits les [défenseurs] de positions extrémistes, marginales ou minoritaires, estime Sébastien Grammond. Mais il est possible qu'on ait choisi parmi les candidats des gens qui avaient plus d'affinités que moins avec les conservateurs.»
Andromache Karakatsanis a des affinités marquées avec les conservateurs. En Ontario, elle fut sous-ministre à la Justice et greffière du conseil exécutif (la plus haute fonctionnaire de la province) dans le gouvernement de Mike Harris. Quant à Michael Moldaver, criminaliste de profession, il a déjà affirmé publiquement que la Charte canadienne des droits exerçait une influence trop grande sur les procès, le genre de discours qui est de nature à plaire aux conservateurs.
Comparution demain
Les deux nouveaux juges comparaîtront demain devant un comité parlementaire spécial pour répondre aux questions des députés, une procédure mise en place par les conservateurs pour rendre l'exercice de nomination un peu plus transparent.
Selon Sébastien Grammond, cette démarche inspirée des États-Unis est de faible utilité. «Les juges vont donner des réponses évasives qui ne les engagent pas. On n'apprendra pas grand-chose sur leur philosophie ou sur les décisions qu'ils sont susceptibles de rendre. Si on veut rendre le processus vraiment transparent, ce n'est pas les pauvres juges qu'il faut questionner, c'est le premier ministre», dit-il.
Le professeur Grammond se demande notamment pourquoi le premier ministre n'a pas arrêté son choix sur le juge de la Cour d'appel Robert Sharpe, bilingue, dont la candidature faisait l'unanimité au sein de la communauté du droit.
Le bilinguisme serait facile à atteindre à la Cour suprême sans restreindre le bassin de candidats intéressants, estime-t-il. Dans une étude récente, M. Grammond est arrivé à des conclusions intéressantes. Le quart des juges des cours d'appel hors Québec (y compris la Cour fédérale d'appel) sont déjà bilingues, tandis que le tiers ont des notions de base du français.


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