Un débat sur un «Québec laïque» dérape

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Les esprits s'échauffent

Un débat public sur ce que devrait être un « Québec laïque » a dérapé samedi après-midi à l’UQAM et s’est conclu par le départ précipité d’Alexa Conradi, la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), et d’Amir Khadir, député de Québec solidaire.

Le Mouvement laïque québécois (MLQ) avait organisé ce débat pour les besoins du projet de recherche-action de la Commission citoyenne multimodale pour les droits et l’harmonisation des relations interculturelles de l’UQAM, qui vise à mettre en lumière et à débattre des différentes formes que pourrait prendre une charte de la laïcité.

Afin d’équilibrer les points de vue, le MLQ avait invité Djemila Benhabib, candidate péquiste défaite en 2012 à Trois-Rivières et fervente militante contre le fondamentalisme musulman, Paul de Bellefeuille, vice-président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, qui s’est prononcé en faveur de la charte de la laïcité proposée par le gouvernement, Alexa Conradi et Amir Khadir.

Les esprits s’échauffent

Si les quatre panélistes en sont arrivés à un consensus sur la définition de la laïcité et sur la nécessité d’adopter une loi, les opinions ont divergé quand ont été abordés le contenu du projet de loi et l’interdiction du port de signes religieux. Durant le dernier quart du débat toutefois, les esprits s’étant échauffés, des participants de la salle ont hué bruyamment Mme Conradi aux moments où elle tentait de s’exprimer.

L’animateur, Daniel Turp, a invité les auditeurs à faire preuve de respect envers les intervenants, sans succès. « J’ai jugé qu’il ne s’agissait plus d’un débat, mais d’une session de défoulement », a écrit hier Mme Conradi au Devoir. « Bien sûr qu’en acceptant l’invitation d’une organisation faisant la promotion de la charte des valeurs québécoises, alors que la FFQ a exprimé d’importantes réserves à ce sujet, je me prêtais à un exercice démocratique qui s’annonçait animé[…]. Toutefois, je ne m’attendais pas à ce que la salle hue, me coupe la parole. Ce qui s’est passé samedi n’est que l’expression ultime d’un débat qui pourrit depuis des semaines. »

Amir Khadir reconnaît que les organisateurs, dont Daniel Turp, ont fait tout ce qui était nécessaire pour inviter la salle à faire preuve de respect envers tous les intervenants.« Mais malheureusement, et c’est humain, certains propos incendiaires de Mme Benhabib, ont créé un climat tellement hostile, surtout à l’endroit de Mme Conradi, en houspillant ses propos, en l’interpellant à voix haute alors qu’elle prenait la parole, que je pense qu’à raison, par respect pour elle-même et pour ne pas s’imposer à une salle qui clairement ne voulait pas l’entendre, elle a quitté. J’ai quitté aussi par solidarité », a raconté au Devoir M. Khadir.

Selon Daniel Turp, Mme Conradi a « l’épiderme un peu sensible, mais il est vrai que l’attitude irrespectueuse des gens peut déranger un interlocuteur, mais une chaise vide n’est jamais utile ».

M. Turp confirme que la salle était plus favorable à la charte et moins aux positions défendues par M. Khadir et Mme Conradi, mais les intervenants se sont bien comportés les uns envers les autres, et ce, même si les « interventions étaient contrastées ». « Djemila Benhabib et Amir Khadir se sont bien sûr enflammés, mais on les connaît comme ça. M. de Bellefeuille était pour sa part très modéré et Mme Conradi était comme à son habitude, très calme. »

Malgré tout, certaines des positions de M. Khadir et Mme Conradi ont été appréciées et applaudies. Notamment quand Mme Conradi a affirmé qu’elle souhaitait la fin du financement des écoles confessionnelles privées. Le point litigieux était plutôt celui de l’interdiction du port de signes religieux prévu par la charte. « Mme Benhabib voit dans le port du voile quelque chose d’éminemment politique qui vise à implanter l’islam politique alors que les positions d’Alexa Conradi et d’Amir Khadir sont plus nuancées, car ceux-ci croient que l’interdiction n’est pas prioritaire pour régler des problèmes plus profonds touchant la condition des femmes et l’intégrisme religieux », résume M. Turp.
Manque de respect

Djemila Benhabib trouve pour sa part que Mme Conradi a manqué de respect envers l’auditoire en quittant le débat. « J’ai participé moi-même à des débats où la salle ne m’était pas vraiment favorable, comme à l’Université Laval où des personnes[…]ont prononcé des propos haineux à mon égard. Ce n’est pas pour autant que je quitte un débat. Mme Conradi ameute la planète entière pour dire qu’on a été irrespectueux à son égard. Or, je pense qu’elle aussi a été irrespectueuse à mon égard et à celle de la salle, en interprétant les propos de certains participants comme des perceptions[…]», dit-elle.

Même si elle regrette le départ de Mme Conradi, la présidente du MLQ, Lucie Jobin, est néanmoins satisfaite de ce premier débat contradictoire, réunissant des intervenants défendant des points de vue différents, à avoir lieu à Montréal. « Ce débat était attendu; la salle était pleine, et une trentaine n’ont pas pu y participer. Une vidéo du débat sera mise en ligne sous peu sur le site du MLQ et de l’UQAM. Tous pourront alors se faire leur propre jugement sur les événements », dit-elle.


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