Les récents événements auxquels on a pu assister sur la scène politique québécoise, autant fédérale que provinciale, nous portent à réfléchir sur l’éthique du passage d’un député d’une formation politique à une autre en cours de mandat. Tout n’est pas noir ou blanc dans de telles situations. Il faut selon moi éviter de mettre tous les transfuges dans le même panier.
En politique, on ne pourra jamais éviter que certains députés en viennent à la conclusion qu’il est temps pour eux de changer d’équipe. Que ce soit par convictions politiques et personnelles ou par opportunisme professionnel. Bref, il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée.
Changer d’équipe, certes, on ne peut empêcher quiconque de le faire. Cependant, la question qui tue est QUAND ? À quel moment cela demeure-t-il éthique. Toute l’éthique repose sur le moment selon moi. Et c’est autour de cette question qu’on doit se demander si on doit légiférer. Et si oui, comment?
Commençons en s’attardant à différents cas de transfuges qu’on a pu observer au fil du temps en politique au Québec.
Les fondateurs
Une espèce de transfuges nobles et qui pour moi ne me cause aucun souci. Ils sont même sains pour la démocratie. Je les trouve admirables de par leur courage, leurs convictions, leurs ambitions et leur volonté de représenter de nouvelles idées dans notre système démocratique. En démocratie, ne serait-ce que pour permettre l’émancipation de nouveaux mouvements politiques, je ne crois pas qu’on soit justifié d’empêcher quelqu’un de démissionner pour fonder son parti. Ici on peut penser aux René Lévesque (Parti libéral, fonde Parti Québécois) et Jean-Martin Aussant (Parti Québécois, fonde l’Option nationale).
Les opportunistes
Cette espèce de transfuges se caractérise par le fait de passer d’un parti dans le trouble à un parti plus prometteur qui, selon certains indicateurs et selon le principal intéressé, a plus de chances de remporter la prochaine élection. Notons que cette stratégie n’est pas toujours gage de succès, la politique demeure toujours un jeu de risque. Ce genre de transfuges peut déranger, mais à mon sens ça reste tout à fait légitime, mais bien sûr à certaines conditions. Parmi ce genre de transfuges, notons les ex-adéquistes qui se tournent vers la Coalition Avenir Québec : Éric Caire, Janvier Grondin, Marc Picard, François Bonnardel, Sylvie Roy ; les ex-péquistes qui se tournent vers la CAQ : Benoit Charette, Daniel Ratthé et François Rebello ; d’autres par le passé : André Riedl en 2008(ADQ vers PLQ) et Rodrigue Biron en 1980(UN vers PQ).
Les traîtres
Cette espèce peut parfois concerner les pires attributs de notre système démocratique comme les meilleurs. C’est celle-ci qui me permettra de préciser les lignes d’un début de suggestions législatives pour améliorer notre régime démocratique et mieux l’encadrer afin de s’assurer que la classe politique respecte l’électorat. Parmi les traîtres, concentrons-nous sur deux extrêmes, car un traître, c’est toujours extrême…
D’abord, Line St-Denis, ex-députée néo-démocrate passée au Parti libéral du Canada. Pourquoi traître ? Premièrement, parce qu’elle fait le transfert seulement 7 mois après l’élection d’un gouvernement majoritaire qui en a encore pour 4 ans à siéger. D’ailleurs, pour moi, le critère le plus important pour se définir comme un transfuge traître est la durée du délai suivant l’élection avant que la démission survienne. Un deuxième critère qui ajoute l’insulte à l’injure est le fait qu’on démissionne pour représenter un parti qui existait à l’élection précédente. Finalement, en représentant un parti aux idées complètement différentes cela fait de Line St-Denis une transfuge traître de première classe. Traître envers son ancien parti, mais surtout envers ses électeurs. Ici, je me passe de commenter la légitimité de sa candidature lors de l’élection fédérale du 2 mai 2011 et son absentéisme «circonscriptionnel» pour justifier qu’elle représente selon moi le meilleur exemple de traître parmi les pires attributs de notre démocratie. Dire qu'elle est un fruit de l'arbre néo-DÉMOCRATE...
Passons au traître modèle maintenant : René Lévesque. Pourquoi traître ? Parce qu’il a quitté son parti seulement 1 an et 3 mois après s’être engagé dans un mandat majoritaire avec le PLQ. C’était dans le but de fonder un nouveau parti qui sera éventuellement le Parti Québécois, parti qui est cependant diamétralement opposé à son ancien parti, ce qui ajoute à la traîtrise. Ces états de fait le classe toutefois dans la noble catégorie des fondateurs et contrairement à Mme St-Denis, il n’a pas changé pour un parti existant. Ce qui en fait le meilleur traître de l’histoire politique du Québec, d’autant plus qu’il a trahi le Parti libéral du Québec… Mais traître quand même, reconnaissons-le.
Légiférons !
D’où la délicate question : Comment légiférer ? Comment encadrer ces actions sans contrer l’émancipation de nouveaux partis politiques, sans contrer la liberté individuelle du député de pouvoir démissionner? Comment encadrer ces actions afin de respecter autant que possible la volonté des électeurs par rapport au mandat qu’ils nous ont confié tout en rendant la démission dissuasive?
Mes idées :
Dans un cadre de gouvernement majoritaire
1. Instaurer des élections à date fixe pour pouvoir se donner un cadre bien défini pour légiférer : Élections à date fixe au 4 ans.
2. Interdire à tout député de se joindre à une autre formation politique existante lors de l’élection précédente, et ce, dans les 3 premières années du mandat de 4 ans. Ce qui lui laisse la liberté de démissionner, mais devra siéger comme indépendant pendant la majeure partie du mandat.
3. Interdire à tout député de se joindre à une nouvelle formation politique qui n’existait pas à l’élection précédente, et ce, dans les 3 premières années du mandat de 4 ans.
4. Retirer le droit de vote du député pour la durée de tout son mandat lorsqu’il a démissionné du parti avec lequel il a été élu afin de dissuader une telle action et éliminer l’avantage dont le parti destinataire pourrait tirer profit.
Dans un cadre de gouvernement minoritaire
1. Interdire à tout député de se joindre à une autre formation politique existante lors de l’élection précédente, et ce, jusqu’au début de la prochaine campagne électorale. Ce qui lui laisse la liberté de démissionner, mais devra siéger comme indépendant pendant la majeure partie du mandat.
2. Interdire à tout député de se joindre à une nouvelle formation politique qui n’existait pas à l’élection précédente, et ce, jusqu’au début de la prochaine campagne électorale.
3. Retirer le droit de vote du député pour la durée de tout son mandat lorsqu’il démissionne du parti avec lequel il a été élu afin de dissuader une telle action et éliminer l’avantage dont le parti destinataire pourrait tirer profit.
Bref, si on légiférerait de cette façon, je crois que le respect de l’électeur serait accru sans pour autant brimer la liberté du député de pouvoir démissionner. Ainsi, on n’empêcherait pas à de futurs René Lévesque d’éclore ni à de nouveaux mouvements politiques comme la Coalition Avenir Québec ou Option nationale de prendre forme. Je pense que dans le respect de la démocratie, il faille demeurer élastique.
Bien sûr, un transfuge va toujours choquer…Ça choque assurément l’équipe délaissée et parfois son électorat. Tout dépendant de la proximité entre le député et son électorat et de la connaissance de celui-ci par le député. On en revient à la question : est-ce qu’on vote pour le parti ou pour le candidat ? Un équilibre des deux selon moi qui doit être considéré par la législation.
Somme toute, lorsqu’on regarde la situation globalement, on comprend qu’être un transfuge n’est pas nécessairement péjoratif ni toujours mauvais pour la démocratie même si c’est un traitre pour certains.
ÉTHIQUE DÉMOCRATIQUE
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4 commentaires
Jonathan Godin Répondre
13 janvier 2012@Philippe Legault La partielle est effectivement aussi une voie intéressante. La seule chose qui me faisait hésiter étaient les coûts s'y rattachant. Dans le contexte actuel et considérant les défections adéquistes devenues indépendantes avant de devenir caquistes, ça en aurait fait des partielles. Par exemple Éric Caire aurait été responsable de deux partielles à lui seul. Cependant, nous sommes dans un contexte politique exceptionnel bien sûr, en pleine redéfinition...Mais j'aime bien l'idée de la responsabilité monétaire induite par un changement de camp en plein mandat. La proportionnelle pourrait aussi apporter son lot d'éléments intéressants du fait que la représentation devrait à mon sens continuer d'être respectée. Une chose est claire, il faut faire quelque chose, notre médiocratie est malade.
Archives de Vigile Répondre
13 janvier 2012@ Marius Morin: Je ne crois pas que le fait de changer de parti politique après avoir été élu doive être considéré au même titre qu'un employé qui choisit de changer d'employeur pour diverses raisons et se contenter de considérer cela comme un banal reflet de la société d'aujourd'hui.
Le mandat politique est une responsabilité octroyée par une majorité d'électeurs qui ont cru au message véhiculé par le candidat. Celui-ci s'est présenté à eux en leur demandant de lui faire plus confiance à lui qu'à un de ses adversaires. Il les a convaincu qu'il était le plus méritant pour REPRÉSENTER LEURS INTÉRÊTS à la Chambre des communes ou à l'Assemblée nationale. Abandonner son électorat sans solliciter immédiatement un renouvellement de confiance par une élection partielle m'apparait comme une trahison, un mépris de la confiance des électeurs et une ignorance flagrante de la responsabilité politique.
Il faut légiférer pour qu'une élection partielle soit convoquée afin de légitimer le changement de parti d'un député. Quitte à ajouter aussi une nouvelle règle qui obligerait le nouveau parti du député transfuge à rembourser ses dépenses électorales à son ancien parti; remboursement fait au prorata du mandat restant avant les prochaines élections générales multiplié par un facteur compensant les responsabilités du transfuge avant et après le changement de parti...
@Jonathan Godin: Parlant de traitres pathétiques, vous avez oublié de mentionner David Emerson (élu libéral --> devenu ministre conservateur) et Belinda Stronach (élue allianciste --> devenue ministre libérale pour sauver le gouvernement de Paul Martin d'un vote que son gouvernement allait perdre en Chambre).
Archives de Vigile Répondre
12 janvier 2012Je suis en faveur d'une règle, une seule: obligation faite au transfuge de démissionner et de se présenter dans une partielle.
Contrairement à la petite madame St-Denis, Rebello est quelqu'un d'aguerri, reconnu comme ayant toute sa tête. Sa toute récente sortie publique pour prêter allégeance au PQ fait de Rebello l'archétype du traître.
Archives de Vigile Répondre
12 janvier 2012Vous semblez oublier que la société québécoise a beaucoup changé depuis les années trente. Avant quelqu’un entrait chez le Canadien national et y restait tout sa vie de travailleur. Un seul emploi à vie. Et on se remplaçait de père en fils. Aujourd’hui les emplois à vie sont presque tous disparus du radar socioéconomique du Québec. De plus en plus les jeunes et les moins jeunes sont appelés à changer d’emploi, au cours de leur vie. La société change et les emplois aussi. On constate le même phénomène dans la classe politique. Pour être supposément « éthique et démocratique» avez-vous besoin de vous défouler sur ceux ou celles qui changent de Parti politique, en les qualifiant de traites, de déserteurs, de transfuges, d’opportunistes, etc? Ces citoyens ne seraient-ils pas le miroir de notre société, rien de plus? On n’a pas assez de lois au Québec?