On a appris au cours des dernières semaines à accepter ce qu’on pensait jusqu’ici inacceptable. Être confiné à la maison par décision gouvernementale. Recevoir une amende de la police pour avoir joué au soccer. Être dénoncé par son voisin pour cause de soirée entre amis.
Bien sûr, on comprend ces atteintes aux libertés dans le contexte hors norme de la pandémie. On suit même scrupuleusement ces règles au Québec plus que n’importe où ailleurs dans le continent. Soit.
Mais il y a une autre mesure exceptionnelle, beaucoup plus dangereuse celle-là, qui semble vouloir profiter de la crise pour s’insinuer en douce dans nos vies sans qu’on s’en formalise : le traçage des cellulaires et des données personnelles.
Cette technique soulève un nombre impressionnant d’enjeux liés aux libertés et à la vie privée, et pourtant, son recours est envisagé par la police et le gouvernement dans le contexte de la lutte contre la COVID-19.
« La Sûreté du Québec est en train de faire une analyse pour voir si on pourrait utiliser la géolocalisation, entre autres par les cellulaires », a reconnu François Legault du bout des lèvres quand les médias l’ont interrogé, en ajoutant que ce n’était pas pour tout de suite.
Or, là encore, on peut comprendre que l’État envisage des mesures extraordinaires pour venir à bout d’un virus mortel, surtout quand elles ont fait leurs preuves ailleurs.
Mais le traçage des téléphones et autres outils de surveillance technologiques sont bien plus inquiétants que les mesures de confinement temporaires.
Le confinement est public. Il a un début et une fin. Et il serait ainsi impossible pour le gouvernement d’en poursuivre l’application une fois la pandémie terminée.
Il en va tout autrement de la surveillance technologique, qui pourrait mener à la banalisation des atteintes à la vie privée.
On ne sait pas qui, au juste, fait du traçage de données. Dans quel but. Et avec quelles limites. Il est d’ailleurs inquiétant qu’on ait eu vent des intentions de la Sûreté du Québec par une fuite dans les médias…
On ne sait pas non plus quelles données sont utilisées. Où elles sont conservées. Et quand elles seront effacées.
Et, plus inquiétant encore, on ne sait pas comment on reviendra en arrière le jour où le gouvernement aura donné le feu vert à ces dispositifs de surveillance. On ne sait pas, autrement dit, si on sera capable de refermer la porte une fois qu’on l’aura entrouverte.
Prenez le plan Vigipirate en France, qui donne des pouvoirs accrus au gouvernement pour lutter contre le terrorisme. Il a été appliqué une première fois dans le cadre d’un état d’exception… puis rendu quasi permanent malgré un retour à une relative normalité.
Entendons-nous bien, le problème n’est pas l’utilisation des données en soi. Ce n’est pas nécessairement une atteinte aux libertés individuelles. Si la Santé publique se sert des données agglomérées des cellulaires pour comprendre les mouvements de population, pas de souci à première vue.
Mais soyons honnêtes : nous n’avons pas encore suffisamment réfléchi à l’utilisation de ces outils très puissants qui ont le potentiel de s’immiscer dans nos vies intimes, si bien qu’on ne sait trop ce que les autorités ont le droit de faire au Québec et où se trouvent les limites à ne pas franchir.
Est-ce que les forces de l’ordre pourraient suivre les cellulaires de personnes infectées, par exemple ? À leur insu ? Pourraient-elles s’assurer qu’une personne assignée à résidence ne sorte pas de chez elle ? Pourraient-elles identifier des attroupements de trois ou quatre personnes puis dépêcher la police sur les lieux ? Pourraient-elles, à force de recoupements, déjouer l’anonymat des données ?
Bref, où tout cela commence-t-il et où cela se termine-t-il ? Cette question mérite d’être posée… mais certainement pas en pleine période de crise ! D’où l’extrême prudence avec laquelle on doit permettre le moindre précédent sous prétexte de l’urgence du moment.