Total : une « stratégie climat » en trompe-l’oeil

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Poudre aux yeux


Il y a un an, sous la pression de certains de ces actionnaires, Total rendait publique sa « stratégie climat », destinée à prouver que son activité était compatible avec la préservation de la planète. Une simple analyse de ce document, que nous avons effectuée en collaboration avec 350.org, suffit à montrer que cette publication relève surtout d’une opération de marketing. Cette « stratégie » passe sous silence les sujets qui fâchent et monte en épingle des engagements à la fois très marginaux et délibérément confus, puisqu’ils mêlent allégrement agrocarburants, capture-séquestration du carbone et énergies vertes. Au final, beaucoup d’effets d’annonce et aucune inflexion substantielle de la stratégie de Total. Face à l’enjeu climatique, un peu plus de sérieux ne serait-il pas de rigueur ?


Total est sous la pression de certains de ses investisseurs, qui demandent à l’entreprise de clarifier sa stratégie face à l’enjeu climatique. Lors de l’Assemblée générale annuelle 2016, la direction de Total a donc rendu public un document présentant les grandes lignes de cette stratégie climat. Intitulé « Intégrer le climat à notre stratégie », celui-ci entend montrer comment Total entend respecter et mettre en œuvre l’objectif international, consacré par l’Accord de Paris, de maintenir le réchauffement global des températures en deçà de 2ºC. Dans le même temps, la direction du groupe annonçait quelques acquisitions (Saft, Lampiris) censées refléter son engagement dans la transition énergétique.


Le présent rapport constitue une analyse de la stratégie climat annoncée par Total, en vue d’évaluer la réalité et l’ambition des mesures concrètement mises en œuvre par la direction du groupe, derrière les effets d’annonce.


Ce rapport montre notamment que la stratégie climat de Total :

— n’est pas à la hauteur face aux exigences de la crise climatique,
— n’implique pas d’inflexion significative de la stratégie poursuivie par l’entreprise depuis des années,
— et se caractérise par un grand nombre d’omissions ou de présentations trompeuses des enjeux qui font douter de la sincérité de tout l’exercice.


En particulier :


— La stratégie climat de Total légitime la poursuite d’investissements massifs pour développer de nouveaux gisements de pétrole et de gaz dans les années à venir, alors les énergies fossiles sont de loin les principales responsables de la crise climatique. Cette approche n’est rendue compatible avec l’objectif des 2ºC que par le truchement du recours massif à des technologies coûteuses, controversées et dont l’efficacité reste à prouver, en particulier la capture-séquestration du carbone. Ces technologies restent par ailleurs couplées à une utilisation intensive du nucléaire. Sans ces solutions hasardeuses, la conclusion devrait être exactement inverse : geler le développement de nouveaux gisements de gaz et de pétrole, et commencer à planifier la fin anticipée de l’exploitation des gisements existants.


— Les quelques engagements précis annoncés par la direction de Total en matière de transition énergétique paraissent très modestes, à la fois en termes d’ambition comme en termes financiers. Les sommes consacrées à la R&D sont marginales par comparaison aux milliards d’euros investis dans l’exploitation de pétrole et de gaz. En outre, ces engagements visent quasi exclusivement le gaz, les agrocarburants ou encore la capture-séquestration du carbone, par opposition aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique qui devraient être les piliers d’une véritable transition. Il y a là une stratégie de confusion délibérée de la part des dirigeants de l’entreprise.


— Comme la plupart des autres géants de l’énergie et du pétrole, la direction de Total insiste sur le rôle central joué par le gaz dans la transition énergétique, sans préciser qu’il s’agira en grande partie de gaz non conventionnel et que ses bienfaits réels pour le climat, par comparaison avec le charbon, sont très contestés. La direction de Total escamote ce débat en présentant de manière particulièrement cavalière les résultats d’une étude qu’elle a commandée sur la question.


— Enfin, Total continue parallèlement à investir dans des régions sensibles (Arctique) ou dans des pratiques très risquées et polluantes (sables bitumineux, gaz de schiste, offshore extrême).


Au final, la stratégie climat publiée par la direction de Total apparaît surtout comme un exercice de communication destinée à rassurer les salariés, les investisseurs et autres parties prenantes externes, ainsi que les pouvoirs publics, en mettant en avant des mesures dont la portée est extrêmement marginale.


Le positionnement public adopté par la direction de Total sur l’enjeu climatique la distingue certes positivement de celui de ses homologues nord-américaines (mais pas forcément de ses homologues européennes), mais le contenu concret de sa stratégie climat ne met pas l’entreprise à l’abri des accusations de duplicité qui lui ont été adressées dans le passé. Surtout, on ne voit pas en quoi il modifie concrètement la stratégie de l’entreprise. Le document élaboré par la direction de Total suggère plutôt que celle-ci cherche à évacuer le débat à peu de frais, pour continuer dans la même direction tout en faisant taire l’essentiel des critiques.


Télécharger le rapport complet (PDF, 1,5 Mo) : Total : une « stratégie climat » en trompe-l’oeil


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Photo : Dan Simpson CC



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