Talbot Papineau, une icône du Canada de Stephen Harper

Chronique d'André Savard

Je ne dirai pas un mot sur le conflit au Moyen-Orient. Je ne saurais rien ajouter de pertinent à [la lettre de Bernard Landry adressée à Stephen Harper.->1284] C'est la lettre d'un amoureux de la souveraineté des peuples. Il n'a pas dessiné un monde en noir et blanc. Trois nations ont droit à des conditions d'existence souveraine dans cette galère. Son propos n'en lèse aucune. Il se dégage de la vision de Bernard Landry une autorité sans prétention qui tranche avec l'envoûtement botanique de Stephen Harper. Tout bien pesé, vu les très faibles penchants de Stephen Harper pour l'écologie, c'est tout ce que le premier ministre du Canada peut faire pour se rapprocher de la botanique.
Je vais plutôt faire un saut abrupt dans le domaine du divertissement. Vous avez probablement entendu parler dans les médias du tournage de la biographie de Talbot Papineau, petit-fils de Louis-Joseph Papineau et héros de la première guerre mondiale. L'équipe a demandé à Justin Trudeau d'interpréter le rôle du protagoniste.
Talbot Papineau, dans l'imaginaire canadien, est une grande figure loyaliste qui aurait pu unir anglos et francos au Canada. Héros de la Première Guerre Mondiale, il appuya la conscription contre Henri Bourassa. Le point n'échappe pas aux activistes canadiens qui voient présentement leur pays engagé dans un effort de guerre. Ils veulent cette fois prévenir un clivage entre les deux foyers nationaux du Canada. Pour justifier l'implication du Canada dans le contentieux anglo-saxon, Talbot Papineau est le héros canadien français qu'ils cherchent à promouvoir.

On identifie Talbot Papineau comme étant le Trudeau de l'époque. Justin Trudeau corrobore cette version. Talbot Trudeau était biculturel, grand voyageur et esprit universel. On comprend très bien le message. Papineau a engendré un émule de Trudeau. La descendance du tribun nationaliste a culminé dans ce fin esprit, Talbot Papineau, biculturel et héroïque.
Comme tel, Talbot Papineau n'avait pas la tête très philosophique. Au moment où Henri Bourassa écrivait Que devons-nous à l'Angleterre, Talbot Papineau le contredisait en sa qualité de bon serviteur de l'empire. Suivre l'Angleterre ce n'est pas comme être dans les pas d'un âne. Si biculturel que Talbot Papineau fût, c'est l'Angleterre qui lui a trouvé son plein emploi.
À entendre Justin Trudeau qui a étudié à McGill, le biculturalisme remue en vous mille idées, un haut-fait qui rendait Talbot Papineau lecteur potentiel de Shakespeare et Chesterton. Les longs contacts, les osmoses entre les deux cultures lui ont fait embrasser la carrière des armes. Talbot Papineau avait des racines anglaises et françaises mais il faut bien admettre qu'il ne manifesta qu'un froid de racine par rapport au fait que le Québec n'était pas respecté dans ses volontés collectives. Au Canada c'est à ce précieux détail que l'on reconnaît les vrais universalistes.
Tout cet intérêt autour de Talbot Papineau vise à élargir la carrière de son illustre arrière grand-père, le mettre à l'ombre de son arrière-petit-fils, créer un glissement, mettre l'épicentre de la lignée du côté des loyalistes. On crée aussi un poussée pour la postérité des Trudeau. Si Papineau a comme descendant un émule de Trudeau cela signifie que les Trudeau comptent spirituellement dans sa descendance. Louis-Joseph Papineau, de haute lignée patriotique, donne naissance à un être biculturel. Dis-moi ta lignée et je te dirai qui tu es. La pomme ne tombe pas loin du pommier. Ainsi pensent les fédéralistes qui voient déjà Justin Trudeau briguer les suffrages au sein de la formation politique de son père.
Les journalistes ont rapporté la nouvelle de la participation de Justin Trudeau en se gardant bien de dénouer les fils du marionnettiste. Le téléfilm est commandité par Radio-Canada. Il leur paraît normal que le Canada raconte au Québec sa propre histoire. Après tout, c'est le fruit de la liberté et de la démocratie. Le grand Justin est un beau prince. A-t-il des talents d'acteur? Un des responsables du casting nous apprend que le beau Justin a parfaitement passé le test et qu'il s'est fait pousser la moustache pour jouer le rôle.
Dans les quelques reportages diffusés, j'ai l'impression de me faire servir un cours de bon hygiène de l'esprit humain. Justin Trudeau nous vante Talbot Papineau, son illustre prédécesseur biculturel. Deux cultures valent mieux qu'une. On le sait. Cela donne des êtres plus cultivés. L'arithmétique ne trompe pas. Si le Québec demeure entre chien et loup, il obtient tout en double. Mais à voir la biographie de Talbot Papineau, on constate que Talbot Papineau ne voyait pas en double. Le message du héros est clair. Feu dessus, feu dessous, faites partir la machine de guerre britannique. Nous avons un magnifique rôle à y jouer.
Avec ce grand modèle de héros biculturel fier descendant de Papineau, on revient encore et encore aux tableaux cubistes de Picasso : deux profils, un seul œil. Talbot Papineau en bon militaire dans la loyale armée de sa Majesté, n'aurait probablement pas changé une ligne au [discours du 14 juillet de Stephen Harper->1249].
Avec le passage du temps, nous avons connu Trudeau, Chrétien, Martin et maintenant Harper. Nous pouvons dire que par rapport à la cause québécoise, le Canada ressemble à un système à parti unique. Harper et Michael Ignatieff sont encore plus ouverts que les autres pour professer leur foi en faveur de l'Angleterre. Pas étonnant que la dernière fois qu'un député du côté du pouvoir à Ottawa a agi au nom de la nation québécoise, ce fut Lucien Bouchard. Agir au nom de la nation québécoise l'obligea à rompre les rangs.
Radio-Canada nous a concocté un grand héros biculturel parce que l'on souhaite un Québec entre chien et loup. Le Québec attend de signer la Constitution, une démarche d'ailleurs impossible puisque qu'il ne peut que l'approuver. S'il la paraphe, à côté de ceux qui ont signé pour lui, il contresignera un document qui dit qu'on peut se passer de sa signature. Comment voulez-vous signer cela?
J'ai lu quelques fois que si nous perdions le troisième référendum nous n'avions qu'à plier bagage et laisser la voie aux autonomistes. Autonomie? Quelle autonomie? Il faudrait d'abord demander à la Cour suprême de se pencher sur la nomenclature du cas. Michael Ignatieff y a d'ailleurs été de son bon conseil à Harper à propos de la patte de chaise à l'Unesco allouée au Québec. Attention de pas donner de l'eau qui donne soif au buveur. Créer un semblant d'autonomie pour le Québec et il s'ensuivra une nécessité urgente très peu naturelle dans un pays comme le Canada où on ne compte qu'un tout et ses parties. L'autonomie au Canada n'est qu'une idée. Ceux qui s'y adonnent laissent du sel sur la plaie, guère plus.
Les juridictions provinciales ne font pas classe à part. Les provinces sont mélangées dans le même pudding, un pudding anglais du reste. Il y a trop de préméditations nationales et unitaires pour même songer à l'autonomie. Le Québec envoie un délégué pour dire qu'il y faudrait une gousse d'ail, plus de thym ou de laurier. Il y a toujours un Stéphane Dion, une Josée Verner, un Pierre Pettigrew qui viennent figurer comme un blason québécois et assurer que le spectacle en valait le coup, le Canada en sortant plus fort.
Ils sont là pour rappeler que le Québec n'est pas tout. Il y a de grandes batailles historiques livrées à plus grande échelle. Le grand pudding vaut mieux que le petit pudding. La recette doit être goûtée par tout le monde. Talbot Papineau voulait le rappeler à Henri Bourassa au moment de la grande guerre.
Si le téléfilm a du succès, ce sera une véritable année commémorative. On publiera tous les restes de Talbot Papineau, les lettres où il décrit nos petits gars sur le champ de bataille, eux qui ont des poux à la tête et au thorax. On publiera la lettre où Talbot Papineau raconte que les militaires anglais comme français attrapent les mêmes balles, la même pluie, avant de sauter sur les mêmes mines. Francos comme anglos s'entendent pour libérer le monde au nom de la même patrie. Talbot Papineau, plus généreux de cœur grâce à sa double culture et à la haute lignée des Papineau, n'a pas hésité à laisser sa moelle, sa santé, finalement sa vie pour le royaume. Pendant ce temps, Henri Bourassa, sourd aux forces du printemps anglais, souhaitait que les francos pussent rester dans leurs maisonnettes. Quel manque de grandeur d'âme.
Évidemment il y aura ces sempiternelles entrevues où le réalisateur défendra son sérieux. Son intention est de laisser le public juger. Que le public en tire ses propres conclusions, ajoutera-t-il car le destin de Talbot Papineau est toujours actuel. Il nous rappelle qu'il faut une communauté humaine au-delà des intérêts égoïstes. Il fut un prophète car d'autres individus comme Justin Trudeau reprennent de nos jours le flambeau du biculturalisme. Deux cultures, puis toutes les cultures! En toi! En moi! En tous! Le destin de Talbot Papineau ne sera qu'un prétexte de plus pour entendre partout que comme Canadiens nous avons le contexte idéal pour réaliser l'individualité humaine totale.
Henri Bourassa et les nationaleux de l'époque étaient comme des aveugles qui ne voyaient pas encore. Mais nous, comme contemporains, nous avons la chance de ne pas commettre les mêmes erreurs, ajoutera-t-on. « Nous sommes toujours exposés aux mêmes risques » dira un analyste. Devenir authentiquement biculturel comme Talbot Papineau serait le remède pour qu'enfin nous soyons capables de rompre le fil des temps. Le biculturalisme laverait notre âme collective de la peur de la mort. Voyez Talbot Papineau qui ne craignait pas l'unité.
À travers Talbot Papineau se livrera tout un travail idéologique engageant journaux, revues, télévision. Des magazines offriront des posters de Justin Trudeau en tenue militaire, si joli avec sa moustache. Une jouvencelle bien roulée attendant derrière un cordon à la porte du studio pour avoir son poster griffé par l'acteur piaillera son admiration. Elle confiera à un journaliste son rêve de récolter du beau brumel un bizou sur la joue. Correspondants, journalistes et savants opèrent dans ce cadre. Ce qui est normal est normal après tout.
Si le Québec était indépendant, qu'est-ce que cela changerait? dit-on souvent. Rien n'est anormal au Canada, les représentations grandioses qu'il se fait de lui-même viennent de la libre adhésion de tous. Le Québec est la figure de l'idéologie contraire sur les plateaux de la représentation. Personne ne l'empêche d'être le principe de contradiction. Il a sa place toute désignée. À cet égard il est un puissant facteur de la vie sociale canadienne, l'autre versant de la lune, l'égoïste contre l'altruiste, le monoculturel contre le biculturel, l'enfant contre l'adulte, la partie contre le tout...
Le point de vue de Talbot Papineau arrange tout le monde dans le Canada de Stephen Harper, le même que celui de Justin Trudeau et Michael Ignatieff. Le processus d'édification qui s'est mis en branle pour soumettre Talbot Papineau à l'admiration des foules s'inscrit dans les chaînes idéologiques qui nous appartiennent tous à force d'ouvrir télé et journaux pour les consommer. L'arrière petit-fils de Papineau, officier dans le Princess Patricia's Canadian Light Infantry, s'est porté à la défense de la politique de guerre du gouvernement. C'est le pain qu'on nous propose aujourd'hui encore.
Le destin de Talbot Papineau démontre que pour faire carrière au Canada il faut être l'allié du système de direction de la colonie. Il démontre que la sélection des candidats favorise les biculturels plus aptes à l'acoquinement avec les castes dirigeantes anglophones. Son destin démontre qu'on a beau mourir, tant qu'un système idéologique persiste, on peut compter sur la relève des hommes de paille. Son destin démontre que si chacun est libre de s'opposer à la politique de guerre du Canada, le résultat est pitoyable, le passé étant garant de l'avenir.
Ces leçons ne seront pas tirées officiellement. Justin Trudeau répétera en entrevue que Talbot Papineau voyait grand et qu'en bon apologiste du système de direction de son peuple, il voulait lui éviter une voie de garage.
André Savard


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