Stiglitz et Yunus : le capitalisme contre la pauvreté

Par France-Isabelle Langlois

Crise mondiale — crise financière


Voici deux livres complémentaires et très éclairants écrits par deux économistes: Vers un monde sans pauvreté et Un autre monde. Contre le fanatisme du marché. Le premier est l'oeuvre du Prix Nobel de la paix 2006, Muhammad Yunus. Le second est le probable troisième best-seller de Joseph E. Stiglitz, ancien conseiller de Bill Clinton et ex-vice-président de la Banque mondiale. Deux livres qui démontrent de façon convaincante que la logique capitaliste peut servir à combattre la pauvreté et les inégalités.
C'est dans les années 1970, de retour au Bangladesh après de brillantes études universitaires aux États-Unis, que le jeune Muhammad Yunus commença à s'intéresser de près aux plus déshérités de son pays. Très vite un constat s'impose: pour s'en sortir, ces gens ont besoin qu'on leur concède des prêts. C'est ainsi que Yunus mit sur pied la banque Grameen, une sorte de Caisse populaire, mais plus ambitieuse, plus dynamique, plus fonceuse, plus courageuse, et qui à ce jour n'a toujours pas vendu son âme.
La banque Grameen s'est particulièrement intéressée aux femmes, qui doivent souvent exercer une activité parallèle génératrice de revenus. Pour acheter la matière première dont elles ont besoin, elles doivent avoir recours aux prêteurs usuriers. Les taux d'intérêt sont si élevés qu'elles ne retirent de la vente de leurs produits que de maigres gains, insuffisants pour ne pas avoir à emprunter de nouveau. C'est ce cercle vicieux que rompt la Grameen.
Aujourd'hui, plus de 10 % des Bangladeshi bénéficient de ses prêts, et pour la grande majorité il s'agit de femmes. Des personnes qui n'offrent aucune garantie de remboursement. La Grameen a grossi, s'est développée et offre plusieurs services autres que les prêts financiers, par exemple un service de téléphonie cellulaire dans les villages les plus reculés, que l'on pourrait qualifier de coopératif. La Grameen a aussi fait des émules ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis. Contrairement à ce qui se passe dans les banques privées qui ne prêtent qu'aux riches, le taux de remboursement y est de plus de 90 %.
C'est tout le travail acharné et les combats menés par Muhammad Yunus contre la pauvreté, les institutions internationales et autres grandes banques que Vers un monde sans pauvreté raconte agréablement. On regrette un peu l'empressement de l'éditeur à rééditer en l'état le livre paru d'abord en 1997. Dix années manquent au récit. Dans tous les cas, à l'instar du livre de Stiglitz, il s'agit d'un ouvrage très facile à lire, très clair et très utile pour comprendre, simplement, les rouages et les tentacules de l'économie mondiale du petit cireur de chaussures de Dacca à la Banque mondiale, en passant par le FMI, l'OMC.
Un capitalisme équitable et équilibré ?
Des initiatives comme la banque Grameen peuvent changer la donne. Et c'est ce que souligne Stiglitz dans son dernier ouvrage, qui prône une économie capitaliste, certes, mais néanmoins équitable et équilibrée. Ce que Stiglitz nous dit, c'est que le capitalisme a vaincu et est sans doute nécessaire. Seulement, il est malade et en l'état ne fonctionne pas.
Le lobby des multinationales est trop fort, influençant à tort et à travers les politiques économiques des gouvernements. Au final, seuls leurs intérêts à court terme sont pris en compte, tant au chapitre des politiques nationales qu'au chapitre des instances internationales. Ce qui donne des accords internationaux qui n'ont de libre-échange que le nom. L'économie et le commerce sont beaucoup trop importants pour être laissés entre les mains des seuls ministres du Commerce, nous dit Stiglitz.
Pour l'économiste, la mondialisation peut et doit amener la richesse à tous. Mais pour cela, il faut des règles. Il rappelle et démontre que l'Occident a prospéré grâce au capitalisme, mais combiné à l'intervention des États. De même, de nos jours, la Chine, l'Inde ou le Brésil s'en sortent mieux, car ces États interviennent dans l'économie, fixent des règles et font des choix. À l'inverse, le taux de pauvreté dans l'ex-Bloc soviétique est dix fois plus élevé qu'au dernier jour du communisme, en raison précisément des privatisations à tout vent qui n'auront eu pour effet que la fuite massive des capitaux.
Stiglitz insiste sur le fait que le savoir doit demeurer un bien public. Les brevets sur les PI restreignent l'innovation. Ces brevets mènent aux monopoles des compagnies, notamment pharmaceutiques. Ce qui tue sciemment des centaines de personnes tous les jours. La vie de millions de gens a moins de valeur que les profits indécents des compagnies pharmaceutiques. Selon la rhétorique utilisée par l'industrie, les prix élevés pratiqués serviraient à financer la recherche sur les médicaments vitaux. C'est faux. «La plupart [...] dépensent beaucoup plus en publicité [...]; davantage en produits reliés au style de vie (produits pour faire repousser les cheveux, ou contre l'impuissance masculine) qu'en recherche consacrée aux maladies; et pratiquement rien pour les travaux sur les maladies les plus répandues dans les pays très pauvres, comme la malaria.» Pour que ça change, il suffit de faire réglementer. Cela dépend de nous, de notre volonté.
Avec ce livre, Stiglitz avait pour ambition - et c'est réussi - de «démontrer que la mondialisation, telle qu'on l'a imposée, a empêché d'obtenir l'équilibre requis. [Mais] que rien n'oblige à ce qu'elle nuise à l'environnement, aggrave les inégalités, affaiblisse la diversité culturelle et favorise les intérêts des grandes firmes aux dépens du bien-être des simples citoyens. Une mondialisation choisie, bien gérée, comme elle l'a été dans le développement réussi d'une grande partie de l'Asie orientale, peut beaucoup apporter aux pays en développement comme aux pays développés.» Avis à tous les lucides de ce monde, qui ne pourront accuser Stiglitz d'être un altermondialiste utopiste, anticapitaliste et non réaliste.
Collaboratrice du Devoir
Un autre monde

Contre le fanatisme du marché


Joseph E. Stiglitz

Fayard

Paris, 2006, 456 pages
Vers un monde sans pauvreté

Muhammad Yunus, avec Alan Jolis

Éditions JC Lattès

Paris, 2006 (1997), 352 pages


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