Stephen Harper et la droite religieuse

Droite chrétienne et gouvernement conservateur

Pendant que le Québec débat de laïcité, la religion serait en voie de s’installer à demeure dans l’espace politique fédéral. C’est en tout cas la thèse que défend avec acharnement la journaliste Marci McDonald dans un livre qui est rapidement devenu l’ouvrage politique canadien-anglais à lire ce printemps.
Intitulé The Armageddon Factor, ce livre attaque de front l’idée que la droite religieuse est un phénomène marginal au Canada. Selon l’auteure, cette conception ne tient plus la route, surtout depuis que Stephen Harper s’est installé au pouvoir.
Pour étayer sa thèse, Marci McDonald — ancienne chef de bureau de Maclean’s à Paris et à Washington — dépeint méthodiquement un gouvernement conservateur fédéral en symbiose avec certains des éléments les plus militants de la droite religieuse canadienne et américaine.
Elle souligne combien ces éléments sont omniprésents au sein du gouvernement Harper, y compris dans les rangs de la garde rapprochée du premier ministre. Elle raconte comment, depuis l’arri­vée au pouvoir des conservateurs, les lobbyistes de la droite religieuse ont leurs entrées dans les coulisses du pouvoir fédéral.
Au fil des 399 pages, elle place sous la loupe (parfois déformante) de l’idéologie religieuse les virages qu’on a fait prendre à la politique fédérale depuis quatre ans. Cela inclut le virage résolument pro-Israël de la politique étrangère canadienne, qu’elle relie au crédo, répandu au sein de la droite religieuse nord-américaine, selon lequel le rétablissement des frontières bibliques d’Israël serait une condition préalable à la résurrection éternelle.
Sur un plan plus terre à terre, elle démontre comment le désengagement fédéral du front des centres de la petite enfance au profit d’allocations directes aux parents peut constituer un début de réponse à la méfiance des lobbys ultrareligieux à l’égard de l’éducation publique et des valeurs qu’elle transmet. Le reste est à l’avenant.
Bon nombre des éléments que retient Marci McDonald pour étayer sa thèse sont des faits. Certains d’entre eux, par contre, sont matière à interprétation, à commencer par l’idée que la tournure actuelle des événements constitue une démonstration de la force du premier ministre actuel plutôt qu’un aveu de sa faiblesse.
Il est indéniable que le gou­ver­nement Harper est le moins laïque de l’histoire moderne du Canada. Mais si son jupon religieux dépasse de plus en plus, c’est notamment faute de matériel de rechange. Par exemple, Stock­well Day et Jason Kenney, qui sont identifiés dans le livre comme les chefs de file de l’aile religieuse du gouvernement conservateur, sont également deux des ministres les plus performants de Stephen Harper.
Leur influence, toujours grandissante, tient notamment au fait que ceux qui auraient pu leur faire contrepoids brillent par leur absence. Des pratiquants de la politique laïque, comme Michael Fortier et David Emer­son, qui avaient été recrutés personnellement par Stephen Harper à son arrivée au pouvoir, sont rentrés dans leurs terres. Le Québec — traditionnellement très réfractaire au cocktail politico-religieux — manque de plus en plus à l’appel du Parti conservateur.
Il y a quelques semaines, Stephen Harper a tenté, en vain, de rallier ses députés à une motion libérale qui stipulait que l’initiative canadienne pour promouvoir la santé maternelle dans les pays en développement devait inclure la contraception et l’avortement. Il a fini par se résoudre à se laisser porter par le courant dominant de son caucus.
Après quatre ans de succès très mitigé sur le front de l’élargissement de la base d’appui conservatrice, le premier ministre est-il vraiment encore un pasteur tenant ses ouailles bien en main, ou plutôt — et de plus en plus — un otage des militants religieux qui ont porté sa formation à bout de bras, pendant plus de 20 ans, dans bien des régions du Canada ?
Dans un cas comme dans l’autre, le fait est que la droite religieuse canadienne n’a jamais été aussi bien placée pour influencer la vie politique fédérale. Et ce n’est peut-être qu’un début.
Dans l’état actuel de l’opinion publique, la mobilisation tous azimuts de la droite religieuse pourrait être une condition essentielle d’une victoire électorale majoritaire des conservateurs. Et si le parti échoue au prochain scrutin, cette mouvance aura une grande influence sur le choix du successeur de Stephen Harper.
Joe Clark, Brian Mulroney, Kim Campbell et Jean Charest ne se reconnaîtraient pas dans le parti qui émerge des cendres de celui qu’ils ont dirigé, et la base militante actuelle de la formation de Stephen Harper ne les voudrait pas comme chefs.


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