Sauvons le regard!

Il est tout à fait vrai que notre société, chroniquement en quête d’elle-même, détient là une occasion en or de se redresser avec intelligence.

Laïcité — débat québécois

Dans la controverse qui sévit actuellement autour de la question des signes religieux ostentatoires, se dégage l’évidence d’un cul-de-sac entre une ligne dure (nous sommes une société laïque) et une ligne molle (nous sommes ouverts aux immigrants), comme si ces deux positions se contredisaient. La première semble emporter l’adhésion de nombreux Québécois qui se font alors accuser de repliement chauviniste et de fermeture à l’autre. Le second groupe rallie les partisans du multiculturalisme canadien dont la plupart ignore la violence qu’elle risque de cautionner dans son apparente magnanimité.
Le penseur Michel Seymour (cité par Louis Cornellier, Le Devoir du 27-28 février 2010) note avec raison qu’il est demandé aux Québécois d’accepter la différence plus qu’ils ne le font déjà, alors qu’ils ne sont eux-mêmes pas reconnus dans la leur. Quant à Charles Taylor, il nous rappelle avec non moins d’à-propos que tout n’est pas dangereux dans l’acquiescement à la différence.
Cette tension entre les conciliants et les réticents restera aussi vaine que superficielle aussi longtemps qu’on n’aura pas défini les termes sur lesquels on discute et se dispute. La ligne de démarcation se situe ailleurs qu’entre ces deux camps. Il s’agit de se demander ce qu’est un signe religieux mais aussi si les coutumes dont il est question sont vraiment le fait d’une religion.
Porter une médaille dans le cou, qu’elle représente une croix, le yin et le yang ou une main de Fatma ne dérange personne. Le port d’un voile dissimulant la chevelure, s’il est porté par choix, n’est pas plus déstabilisant pour la société que le turban des sikhs, l’ancienne cornette des religieuses, le chapeau haut-de-forme ou la perruque des juifs et juives hassidiques contre lesquels personne ne songe à élever la voix.
Libre à vous, mesdames et messieurs, de « cacher ce cheveu que l’on se saurait voir »..., on peut encore tolérer que vous ne tolériez pas cette partie de vos attributs. Mais lorsqu’on est confronté à des gestes et coutumes qui viennent heurter de plein fouet les principes consensuels de notre société, et plus particulièrement ceux qui furent acquis de haute lutte, il ne s’agit plus d’ouverture mais de naïveté et de recul. Il faut avoir le courage de sortir des sentiers balisés de rectitude et ne pas craindre d’affirmer que toutes les traditions ne sont pas également bonnes sous prétexte qu’elles viennent d’ailleurs. Si certaines enrichissent notre patrimoine, d’autres ne sont carrément pas importables. Il s’agit de savoir lesquelles et pourquoi. Denise Bombardier (Le Devoir du 30-31 janvier 2010) souligne à juste titre que l’intérêt de ce débat est qu’il nous force à définir nos assises sociales et les principes fondamentaux de notre vie commune.
À propos du port du voile intégral (ou burqa) en France, la philosophe Élisabeth Badinter eut la remarquable idée de déplacer le centre de gravité de l’argumentation, laquelle tournait (en rond) autour de la sacro-sainte liberté (religieuse ou autre), vers le troisième principe de la devise française , la Fraternité. Notons que la Charte canadienne tient uniquement compte des droits et des libertés qu’elle applique sans nuance aux questions posées par le multiculturalisme, d’où l’impasse législative actuelle (soulignée dans Le Devoir du 27-28 février 2010). Il existerait donc, selon la philosophe, des revendications à la liberté ou à la diversité qui nuisent au principe de fraternité, lequel n’est pas moins essentiel pour le bien vivre ensemble. En quoi ces revendications briment-elles ce principe ? Par l’instauration d’une non-réciprocité dans les rapports sociaux. La femme intégralement voilée ne fait pas que se soustraire aux regards (qu’on sous-entend désirants et concupiscents chez tout individu de l’autre sexe), mais elle cache le sien. Elle rend l’autre vulnérable par le pouvoir de son regard invisible sur ce dernier, regard qu’il est interdit de croiser, de jauger, de saluer, soit de reconnaître comme subjectivité équivalente à la sienne. Il devient impossible d’installer un rapport humain minimal, réciproque et pacifiant, fondement de la civilité parce que garant de l’altérité. Dans nos sociétés occidentales, qui ne sont pas exemptes d’excès, d’impudeur et d’inconvenances vestimentaires, la coutume reste tout de même d’enlever ses lunettes de soleil pour s’adresser à quelqu’un. On s’offre bien des libertés, mais on ne supprime pas le regard. Parce que c’est par le regard que tous, à longueur de journée, se réitèrent la reconnaissance et le respect mutuel de leur humanité. De cela tout le reste découle, à savoir nos lois, nos normes de civisme, nos célébrations et… notre accueil à l’autre.
Alors cessons de parler de laïcité là où il n’y a rien de religieux, et d’ouverture là où il n’y a pas de refus d’autrui, mais le refus de son refus de lui-même en tant que personne à part entière. Nous nous opposons à la femme-ombre, dépossédée d’elle-même, et unilatéralement possédée. Nous ne nous opposons pas à l’accoutrement, mais à ce qu’il sous-tend d’oppression et de disparition. De même, nous nous inscrivons en faux contre la réduction des hommes à leurs pulsions sexuelles et récusons l’insulte perpétrée envers tout citoyen ou citoyenne interdit d’établir un rapport avec l’être humain par qui il ou elle peut être regardé(e), fixé(e), examiné(e) sans restriction. Idem pour le couteau à la ceinture. Serait-il fait de plastique ou de bois, même de chiffon, le symbole guerrier que le kirpan charrie est tout simplement inacceptable dans nos écoles. Le message de supériorité (et de non-fraternité) qu’il envoie aux autres jeunes étudiants et étudiantes est intolérable. Ces formes de rapports déséquilibrés bousculent et égratignent les fondements d’une société démocratique qui, tant bien que mal, s’efforce d’évoluer dans le sens du dialogue et de l’ouverture.
Il ne sert à rien d’inonder les médias de polémiques, potentiellement blessantes pour les anciens autant que pour les nouveaux venus, si on n’alimente pas le débat public de la connaissance des véritables enjeux.
Il ne s’agit plus de se rigidifier d’un côté ou de l’autre, mais de décider ensemble où il y a lieu d’être ferme et sans concession et où il est de bon aloi de se montrer souple, curieux ou accommodant. La ligne à tracer n’est pas entre les durs et les mous, mais entre les signes personnels d’adhésion à un culte et les habitudes irrecevables d’un groupe ethnique donné, comme le seraient les atteintes corporelles rituelles, la vengeance pour l’honneur ou le droit de vie ou de mort des parents sur leurs enfants. Faisons la différence entre un signe et une contrainte, entre un symbole religieux et une tyrannie institutionnalisée, serait-elle le fait d’un nouvel exotisme. Il est tout à fait vrai que notre société, chroniquement en quête d’elle-même, détient là une occasion en or de se redresser avec intelligence.
Nadine Gueydan, psychologue


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mars 2010

    [« Modification du calendrier scolaire Ministre de Charest accommodante, lettres compromettantes 24 mars 2010

    La réforme du calendrier scolaire annoncée le mois dernier reflète le contenu de lettres envoyées quelques mois plus tôt par des écoles juives privées au gouvernement Charest.
    Obtenues par Radio-Canada et La Presse canadienne en vertu de la Loi d'accès à l'information, deux lettres datées du 28 juillet et du 29 septembre 2009 font état de rencontres ayant réuni les deux parties au cours de l'été. Signées par les directions de sept écoles juives orthodoxes, qui offrent des cours illégalement depuis plusieurs années, elles sont adressées à la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne.
    Les documents suggèrent que la réforme a été taillée sur mesure pour répondre à leurs revendications. Les comptes rendus des entretiens font largement état des « exigences » religieuses des écoles juives, reliées au calendrier scolaire.
    Exrtait d'une des lettres envoyées par les directions des écoles juives
    « Compte tenu des exigences imposées par la religion des personnes fréquentant nos établissements », les matières obligatoires seront enseignées le dimanche ou au cours de l'été « tel que discuté » lors de notre rencontre, écrivent les directeurs d'écoles.
    Lorsque le calendrier scolaire sera modifié en tenant compte du fait que « les fêtes juives ne correspondent pas aux fêtes séculières », il ne constituera plus un obstacle au respect du régime pédagogique, poursuivent-ils.
    Ils se disent également prêts à respecter le « cadre légal » s'appliquant aux écoles privées « dans un délai maximum de deux ans ».
    Rappelons que le nouveau règlement autorisera l'enseignement le week-end, les jours fériés et l'été. La réforme viendra donc légaliser les ententes conclues avec ces écoles, qui, à l'époque de leur signature, étaient interdites par le Régime pédagogique en vigueur.
    Radio-Canada n'a cependant pas pu obtenir les réponses de la ministre Courchesne, ni les ententes conclues.»]

  • Archives de Vigile Répondre

    21 mars 2010

    Dans le sens d'un manque de respect à la fraternité, je ne vois aucune différence entre la burqua et l'érouve juive.
    La burqua est un petit ghetto perso ambulant.
    Les signes ou objets de cultes ne sont même pas présents dans l' ingérence actuelle des pouvoirs écclésiastiques sur les affaires d' État. Le pouvoir des Églises est actuellement en symbiose avec l'État et il n'y a aucun signe visible ou même apparent de ce fait, mais les politiques imposées sont bien là. La burqua et le voile sont une diversion.