Festival Étonnants voyageurs

Requiem pour la francophonie?

La polémique éclate chez les écrivains réunis à Saint-Malo

17. Actualité archives 2007


Saint-Malo -- Fini, la francophonie, vive la littérature-monde écrite en français! Tel est le mot d'ordre que lançaient récemment, en guise de pavé dans la mare, 44 écrivains du monde entier, dont Jacques Godbout, Dany Laferrière, Wajdi Mouawad et Nancy Huston. Depuis, leur manifeste, Pour une littérature-monde, publié dans le quotidien Le Monde (et dans Le Devoir du 24 mars), n'a pas cessé d'alimenter la polémique.
Cette initiative a provoqué de virulentes réactions de la part des milieux proches de la francophonie, qui s'estiment trahis par un tel mot d'ordre. Même le candidat Nicolas Sarkozy, aujourd'hui président de la France, avait tenu à y mettre son grain de sel en proclamant dans Le Figaro que «la francophonie n'est pas morte».
Pour la première fois, partisans et opposants du manifeste allaient donc s'affronter de vive voix. Le lieu proposé était idéal puisque le festival Étonnants voyageurs, qui se déroulait cette année du 26 au 28 mai, rassemble depuis 18 ans à Saint-Malo des écrivains du monde entier. Rendez-vous était donc pris dans la ville natale de Jacques Cartier où, comme le veut la tradition, on se rend par le «train du livre». Chaque année, écrivains, critiques et professionnels s'entassent pêle-mêle dans un rutilant TGV pour aller honorer les falaises et les galettes bretonnes.
Faire sauter la barrière
Selon Michel Le Bris -- créateur et directeur du festival ainsi qu'instigateur du manifeste --, il est temps de faire sauter la barrière qui séparerait les écrivains dits francophones des auteurs français. Pour son collègue, le romancier Jean Rouaud, le modèle à suivre est celui de la littérature anglo-saxonne, qui fait de Salman Rushdie, Kazuo Ishiguro et Yann Martel des écrivains de langue anglaise, peu importe d'où ils viennent.
«La nation n'a plus à avoir un droit de propriété quelconque sur la langue, dit Rouaud. Il n'est même plus moral maintenant de procéder à ce genre de discrimination.» Dans le même sillon, la Vietnamienne Anna Moï va jusqu'à trouver des relents de racisme à l'étiquette «littérature francophone», qui désignerait au fond «les auteurs de couleur», dit-elle.
L'affirmation a de quoi faire sursauter non seulement les Québécois mais aussi le Somalien Abdourahman Waberi. Ce n'est que dans certains milieux littéraires français que le mot «francophonie» pose problème, dit-il. «En Amérique du Nord et en Afrique, il n'est pas désobligeant.» Même qu'un grand nombre d'écrivains s'en réclament avec fierté un peu partout.
La colère semble gagner le Congolais Henri Lopez. «Quelle est votre cible?», demande-t-il. Le petit milieu littéraire de Saint-Germain-des-Prés ou ces centaines d'écrivains qui se réclament de la francophonie? Lopez met aussi en question l'admiration béate des auteurs du manifeste à l'égard de la littérature anglo-saxonne. La France n'est-elle pas un des pays du monde qui traduisent le plus les littératures étrangères, loin devant les Américains?
«L'exception culturelle n'est peut-être pas là où vous croyez, dit Henri Lopez. Ne vous trompez pas de cible. N'attaquez pas la francophonie, car vous ne serez pas compris. Même si vous dites que le terme "francophone" est devenu politiquement incorrect, je resterai un écrivain francophone.»
Même réaction outrée du Tunisien Samir Marzouki. «Je ne suis pas un écrivain français mais de langue française, donc francophone. Je comprends ce souci de sortir la littérature française de l'autocontemplation. Mais justement, moi, j'appelle ça la francophonie. En Tunisie, on parle de moi comme d'un écrivain francophone, et ça n'a rien de péjoratif.»
Le Québécois Jacques Godbout a signé le manifeste pour critiquer la fermeture du milieu littéraire parisien à l'endroit des écrivains venus d'ailleurs. Mais il s'en distance aussi. «La fin de la francophonie? En un sens, ce que vous avez amorcé, c'est le début de la francophonie, la vraie. Ce n'est pas non plus la fin des littératures nationales.» Faudra-t-il demain en effet, sous prétexte de littérature-monde, éliminer les sections de littérature québécoise des librairies du Québec?
«La France a du mal à imaginer que sa langue, qui n'a jamais pourtant été seulement la langue de la France, puisse être considérée comme une langue du monde, explique le Guadeloupéen Daniel Maximin. Pourtant, cette ouverture au monde est venue de la francophonie dès les années 50. Pourquoi s'en prendre à elle aujourd'hui?»
La littérature-monde aurait-elle des relents de world music? Difficile de ne pas constater la prédilection des instigateurs du manifeste pour les auteurs déracinés, métissés et souvent multiculturels, comme Nancy Huston, Wajdi Mouawad et Dany Laferrière. Quid donc de ces romans qui ne seraient pas suffisamment «bruyants, colorés, métissés» et qui n'exprimeraient pas «la rumeur de ces métropoles exponentielles» où se brassent «les cultures de tous les continents»? Lorsque Jean Rouaud sonne le glas des littératures nationales, on se demande où se retrouveront les auteurs coupables de ne pas être suffisamment cosmopolites.
«Il faut en finir avec cette francophonie isolée où on préfère le folklore d'Antonine Maillet à un Réjean Ducharme, dit d'ailleurs Michel Le Bris sans plus de détours. Il faut franchir une autre étape. La francophonie épuise son utopie. Il faut passer à autre chose.»
Pragmatique, Jacques Godbout rappelle que la difficulté des auteurs québécois, africains et vietnamiens tient d'abord à la résistance des éditeurs français qui contrôlent le marché hexagonal. D'ailleurs, demande-t-il, pourquoi les instigateurs de Pour une littérature-monde n'ont-ils pas pensé à faire coéditer leur livre avec des éditeurs québécois, belge et africain au lieu de le confier à Gallimard?
Comme quoi la littérature-monde retrouve une nationalité dès que vient le temps de chercher un éditeur.
Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, est invité par le festival Étonnants voyageurs.


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