Qu’on me permette d’abord de citer un texte paru le 15 février dans Le Devoir à propos de la tentation apparemment de plus en plus populaire de provoquer une forme d’interruption volontaire d’humanité à l’échelle de notre civilisation. En gros, pour empêcher la planète de mourir, il faudrait que l’humanité envisage de ne plus se reproduire. L’auteure de ce texte parle de cette idée avec fascination, en cherchant à renverser les évidences convenues. «Et si cette sixième extinction exigeait que nous cassions le bail tacite de la reproduction ? C’est violent comme concept, j’en conviens, très postchrétien, néocatastrophiste ou simplement écopessimiste. Les trolls et les agents libres de La Meute me l’ont déjà fait savoir l’automne dernier: refuser d’engendrer ne fait pas partie du contrat socialement acceptable».
Premier observation: pour interdire toute remise critique du nihilisme radical dans lequel elle se complait au point d’en faire la promotion, l’auteure assimile dès le début de son texte toute critique à la Meute. C'est tellement grossier que c'est grotesque. Mais c'est ainsi qu'on fait taire dans notre société: on disqualifie moralement à l’avance son contradicteur en lui collant une étiquette pour le transformer en infréquentable. Vous n’êtes pas d’accord avec moi? Vous êtes avec la Meute ou du moins, vous n’en êtres pas trop loin! Je me demande s’il s’agit simplement ici d’un réflexe ou d’une stratégie consciente de diabolisation d’un contradicteur potentiel. En quoi l’adhésion spontanée à l’idée qu’une société poursuivre son aventure dans le temps en parvenant à se reproduire d’une génération à l’autre relève-t-elle de l’extrême-droite?
Et pourtant, on devrait avoir le droit de dire à quel point le nihilisme extrême de l’auteure mérite une vive critique. Qu’on me comprenne bien. Chacun fait ce qu’il veut de se vie. Certaines personnes ne sont pas faites pour avoir des enfants ou n'en veulent tout simplement pas et jamais, jamais, je n’aurais l’idée de les juger. Mais présenter l’extinction de l’espèce comme une option potentiellement désirable ne devrait pas aller de soi, et critiquer cette option ne devrait pas être assimilé à une position fondamentalement irrecevable. Il y a des limites à inverser ce qu’on pourrait appeler la morale élémentaire de l’existence. Notre civilisation semble hantée par le désir de son propre anéantissement et qu’elle était tentée d’anoblir théoriquement la tentation de la mort.
Qu’on me permette d’ajouter une dernière chose, au-delà du texte déjà mentionné: l’écologisme vire trop souvent au nihilisme. On y trouve une mouvance qui cultive une complaisance pour les discours les plus catastrophistes. Au fond, ils n’aiment pas l’humanité, ou du moins, la civilisation occidentale qui aurait entrainé sa déchéance. Et la jeune figure de proue du nouvel écologisme adolescent à la suédoise, Greta Thunberg, suscite moins chez moi un élan d’admiration qu’un immense malaise. Ce qui se dégage d’elle relève moins de la conviction politique réfléchie que d’une forme de fanatisme, mais nous n’osons nous l’avouer. Il faudrait toujours de méfier de l’endoctrinement des adolescents. Le messianisme politique n’est pas plus désirable parce qu’il brandit l’étendard de la lutte contre les changements climatiques.
Ce qu’il faut sauver, ce n’est pas la planète en elle-même, qui n’est pas, à ce que j’en sais, une entité consciente animée, mais les conditions de la vie humaine sur terre. Ce qu’il faut sauver, c’est la possibilité de l’humanité. C’est-à-dire la possibilité d’une humanité trouvant sur terre le milieu pour s’épanouir dans sa diversité, sans se fondre dans un magma mondial désincarné composé de citoyens du monde beiges et blasés. Et de ce point de vue, les Québécois, qui sont coupables de mille choses, je le veux bien, ne sont pas coupables de la surpopulation mondiale. Ceux qui s’imaginent que notre peuple doit prendre l’initiative d’une politique de dépopulation mondiale nous confirment peut-être, par-là, que derrière leur humanisme revendiqué, on trouve une bonne dose de haine de soi.