Redevenir une province?

2011 - Bilan et perspectives


L'année 2011 passera-t-elle à l'histoire comme celle où le Québec est redevenu une province? Vous me direz qu'il en a toujours été une. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai pourtant jamais perçu le Québec ainsi. Il m'a toujours semblé que cette terre avait toutes les caractéristiques, sinon d'un pays, du moins de quelque chose qui pouvait y ressembler. On ne savait pas quand on y arriverait, mais on savait qu'on y allait. Comme dans une chanson de Vigneault. Cette assurance nous suffisait. Même que de nombreux fédéralistes pensaient la même chose. Dans ma famille, on utilisait toutes les périphrases pour éviter de prononcer le mot «province». J'avais une mère un peu originale qui, au lieu du «P.Q.» de la chanson de Ferland, se plaisait à écrire «État du Québec» sur sa correspondance en guise de défi à tous les provinciaux dont elle avait horreur.
En survolant les grands et petits débats qui ont agité notre peuple en cette année 2011, on ne m'enlèvera pas de l'esprit le sentiment désagréable et diffus que nous sommes lentement en train de redevenir une province. S'il en fallait une preuve, une seule, je crois que l'élection d'une députée unilingue anglaise dans la belle région de Berthier, que je visite chaque année, en fournirait une. La preuve est si éclatante qu'il ne s'est trouvé personne, parmi ce peuple tétanisé où chacun est pourtant devenu chroniqueur, pour réclamer la démission d'un élu incapable de communier à la culture de ses commettants. Et donc d'être l'ombre d'un député!
Après avoir accepté l'inacceptable, on pourra bien pousser des cris d'orfraie parce que les patrons de la Caisse de dépôt et de la Banque Nationale parlent anglais dans leurs tours dorées. Ils auront beau jeu, demain, de nous baragouiner quelques mots dans un charabia combien plus méprisant que la langue de Byron et de Shelley, comme disait le poète. Mon ancien collègue Louis Fournier rappelait cette semaine que, pour la première fois depuis les années 50, les Canadiens auront un entraîneur-chef qui ne parle pas français. Cela en dit long sur qui s'accommode avec quoi au pays des «accommodements raisonnables». Nous voilà à nouveau renvoyés aux années 50, celles de l'«affaire Gordon» du nom du président du Canadien National pour qui il n'y avait pas de Canadiens français assez compétents pour en faire un seul de ses 17 vice-présidents.
L'actualité est un voyage permanent. Celle des derniers mois donne l'étrange impression de toucher du doigt une époque que je n'ai pas connue et que l'on croyait révolue. On peut ne pas croire au mythe de la Grande Noirceur et reconnaître que ces années avaient tout de même quelque chose d'étouffant.
En voyant notre premier ministre débarquer à Paris et à Londres cet automne pour vendre son Plan Nord, je n'ai pas pu m'empêcher de l'imaginer dans les habits du bon... curé Labelle. Lui aussi était venu en Europe. C'était en 1885, pour vendre sa chère colonisation dans les Pays d'en haut. 125 ans plus tard, ne serions-nous donc passés que du 46e au 49e parallèle?
Certes, le monde a changé comme le répètent à satiété les médias. Mais cette litanie incantatoire a elle-même quelque chose de louche. Comme si elle avait surtout pour but de nous faire oublier ces relents d'une autre époque qui transpirent des événements récents. Comme ces discussions interminables sur la reconstruction d'un pont, le raboudinage d'un échangeur ou le rapiéçage de tous ces petits bouts d'asphalte qui semblent devenus comme une triste métaphore de l'avenir du Québec.
Et je ne parlerai pas de nos débats sur la corruption. Je noterai simplement que ce qu'on nomme corruption est un thème récurrent qui revient dans tous les pays et à toutes les époques. Mais on n'en parle jamais autant qu'en période de vide politique. La corruption, c'est un peu comme la température dans les discussions du jour de l'an. C'est indémodable. Notons que le mot signifie «se rompre», «se décomposer».
Devant ce portrait désolant, la tentation est forte de se réfugier dans le rêve d'une démocratie abstraite toujours plus parfaite. Peut-être écrira-t-on demain sur nos plaques «La Belle Province démocratique». Aussi parfaite soit-elle, la démocratie ne saurait pourtant être un but en soi. Elle ne remplacera jamais l'action politique.
Ne faut-il pas voir une autre manifestation de ce même repli dans le moralisme pesant qui étouffe certains de nos débats? De l'étrange psychodrame québécois à propos de «l'affaire Cantat», qui a justifié la censure d'un théâtre (une première!), au multiculturalisme obscurantiste qui autorise une enfant de maternelle à se balader avec des écouteurs pour ne pas entendre les rigodons et comptines impies de son pays d'accueil.
Un peuple à qui l'on refuse la politique se réfugie dans la morale. C'est un peu ce que reprochait le philosophe français Pierre-André Taguief au mouvement des Indignés. Par son refus de la politique, disait-il, ce mouvement a remplacé «la réflexion par un moralisme sans perspectives». Or, en matière de morale, les Québécois savent faire. C'est à cette tentation qu'il ne faudra pas céder dans la période qui vient.
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Cette chronique sera de retour le 6 janvier.


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