Qui a peur de Yves Michaud (1)

Tribune libre

Qui a peur de Yves Michaud 1-

Face aux nombreux avis qui ont été débattus sur Vigile et dans les autres médias depuis quelques semaines, je propose aux lecteurs et intervenants qui y ont participé ainsi qu’aux nombreux lecteurs qui s’y sont intéressés un retour sur ce qui est devenu « L’affaire Michaud ». Le seul intérêt qui ne guide est de tenter de démêler l’écheveau dans lequel se sont empêtrés les débats qui l’ont entourée et de permettre à chacun de se faire sa propre idée sur les conclusions qui peuvent en être tirées.

PREMIÈRE PARTIE

L’histoire de ce qu’on a appelé : « L’affaire Michaud » a commencé le 14 décembre 2000 alors que le chef de l’opposition officielle l’Assemblée Nationale du Québec Jean Charest présentait les faits qui allaient conduire à une motion qui serait présentée après la période de questions.

En voici le texte intégral :

S’adressant au Président de l’Assemblée nationale, le chef de l’Opposition officielle, M. Jean Charest, déclarait :

“Monsieur le président, ma question s’adresse au premier ministre, et c’est à regret aujourd’hui que je soulève une affaire qui ne devrait pas être soulevée, en l’an 2000, à l’Assemblée nationale du Québec, sauf que, hier, devant les États généraux sur la langue, un ancien député de surcroît de l’Assemblée nationale, un ancien délégué général du Québec à Paris, un candidat à l’investiture du Parti québécois dans le comté de Mercier, M. Yves Michaud, a tenu des propos qui sont de toute évidence inacceptables, qui ne laissent aucune place à l’interprétation non plus.

Et pour reprendre brièvement ce qu’il a dit hier devant la Commission, il parlait de vote ethnique contre la souveraineté du peuple québécois, des mots qui résonnent encore aujourd’hui suite aux déclarations de l’ancien premier ministre Parizeau. Il a même ajouté, en parlant de B’nai Brith, extrémistes, il parlait d’un mouvement d’extrémistes antiquébécois et antisouverainistes.

Alors, je fais appel aujourd’hui au premier ministre et je fais appel è celui qui est non seulement président du Parti québécois, mais également chef du gouvernement, qui a des responsabilités qui accompagnent également ces deux titres, et qui, je pense, aujourd’hui doit nous dire si, oui ou non, il approuve les déclarations faites par une personne qui est candidate à l’investiture du Parti québécois dans le comté de Mercier et s’il va sur-le-champ nous informer qu’il n’est pas question qu’il accepte qu’une personne qui tient de tel propos, qui les réitère, qui n’exprime aucune nuance dans ce qu’il avance ni aucun regret, s’il va nous infirmer dès aujourd’hui qu’il n’est pas question pour lui d’accepter ni ces propos ni la candidature de M. Michaud à titre de candidat pour l’investiture de son parti dans le comté de Mercier.”

À quoi monsieur Bouchard répondit :

“M. le Président, je suis en total désaccord avec les propos tenus hier par M. Michaud. Et je les déplore, je les condamne et je m’en dissocie totalement. Je rappellerai […] que M. Michaud, il y a trois jours, avait tenu des propos similaires qui ont été portés à ma connaissance par voie de communiqué. Je m’en suis dissocié immédiatement et j’ai exprimé le souhait que M. Michaud profite d’une prochaine occasion pour pondérer ses déclarations ; et j’ai constaté hier qu’il en a remis. Alors, je n’ai aucune hésitation à dire, au nom de mon parti, au nom du gouvernement, de la députation ministérielle, de tous les Québécois, que nous rejetons ces propos.”

Reprenant la parole, M. Charest ajoutait :

“Il y a la question de la candidature maintenant de M. Michaud. Puisqu’il se dissocie totalement de ces propos, je pense qu’il lui incombe maintenant au premier ministre, dans l’exercice de ses responsabilités, de son devoir, de très lourdes responsabilités, de dire aux Québécois et Québécoises qu’une candidature comme celle de M, Michaud, avec les propos qu’il a tenus, devient donc inacceptable pour son parti.

Et, M. le Président, c’est non seulement le premier ministre du Québec qui est interpellé lorsqu’une affaire comme celle-là se présente, c’est l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale qui doivent, je crois, parler. Et, pour cette raison-là, on a proposé une motion qui, nous l’espérons, sera à la fois présentée par le député de D’Arcy-McGee (Lawrence Bergman, Parti libéral) mais secondée, puisque c’est devenu un précédent, par le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques (André Boulerice, Parti québécois), une motion qui se lirait comme suit : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000. » Fin de la motion, M. le Président, et si le premier ministre peut nous confirmer que M. Michaud ne sera ni candidat, et qu’il acceptera qu’on débatte et qu’on vote sur la motion qui sera proposée après la période de questions.”

À quoi M. Bouchard répondit :

“Le texte de cette motion conjointe des députés de Sainte-Marie-Saint-Jacques et de D’Arcy-McGee a été porté à ma connaissance tout à l’heure. Je l’appuierai totalement, de même que toute la députation ministérielle, lorsqu’elle sera présentée tout à l’heure. Je ne crois pas qu’on ait prévu un débat; enfin, les leaders s’en parleront.

À 11h, Lawrence Bergman présentait la motion en ces termes :

“M. le Président, une motion sans préavis. « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000. »

Signé du député de D’Arcy-McGee et du député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

S’adressant alors au chef de l’opposition officielle, le président de l’Assemble nationale, M. Charbonneau lui demanda :

“Bien. Est-ce qu’il y a consentement pour d’abord débattre de la motion ? Adopté sans débat ? M. le leader de l’Opposition officielle.”

Le leader de l’opposition officielle, M. Pierre Paradis déclara, pour conclure :

“Oui, sans débat, M. le Président, compte tenu que le texte parle de lui-même et qu’il est présenté par des parlementaires de part et d’autre de l’Assemblée nationale, il y aurait lieu de procéder par un vole par appel nominal.”

La motion fut acceptée à l’unanimité par 109 des 110 députés, le 110e s’étant retiré pour ne pas enfreindre la ligne de parti.

Les propos de M. Michaud.

Quels furent donc les propos de M. Michaud le 13 décembre 2000 aux États généraux sur la langue qui lui méritèrent un tel traitement ?

Les voici reproduits intégralement :

L’an deux mille, ce treizième jour du mois de décembre :

Le président :
_ Il me fait plaisir d’inviter monsieur Yves Michaud, dont je ne déclinerai pas les titres anciens ni futurs, mais qui pourrait s’avancer pour partager avec nous un certain nombre de préoccupations.

M. Yves Michaud :
_ Monsieur le Président, Messieurs les Commissaires, contrairement à mon habitude, j’ai fait extrêmement court. J’ai mis beaucoup de temps à faire court, étant donné le délai qui m’est imparti pour m’adresser devant votre auguste magistère, puisque vous aurez à décider de l’avenir de la langue française au Québec au cours des prochains mois et à conseiller et à faire rapport au gouvernement québécois sur la situation de la langue française.

Je dois vous dire qu’il y a trente et un ans exactement, en novembre mil neuf cent soixante-neuf , on m’a rebattu les oreilles, là, tant et plus sur les vertus de l’incitation, de l’attentisme, de la gentillesse, de l’apaisement, de la persuasion et toute autre procrastination de même farine, alors que je fus le premier député à démissionner de mon parti, le Parti libéral du Québec à l’époque, pour combattre l’infâme loi 63, scélérate, assimilatrice, qui visait à bilinguiser le Québec.

J’ai entendu, j’ai lu des témoignages qui ont été faits devant vous. La ritournelle recommence. C’est-à-dire, ce genre de discours inspiré de la vulgate coloniale, fédéraliste et assimilatrice, nous reproche presque d’exister et nous culpabilise d’être ce que nous sommes. Il nous invite infailliblement à remettre à des lendemains incertains et toujours de plus en plus lointains des mesures d’urgence qui doivent être prises aujourd’hui.

Les assimilateurs se réjouissent de nous voir tomber dans le piège de la mollesse et de l’indifférence. Pour eux, l’avenir dure longtemps. Depuis Lord Durham, ça fait deux siècles qu’ils essaient de nous assimiler, puis ils continuent. L’histoire se répète, et elle bégaie.

Aux craintifs et timorés qui nous repassent le vieux film sans cesse, et vous l’avez entendu plusieurs fois, de l’incitation et qui rembobinent la cassette usée d’une mendiante et plaintive tolérance à sens unique, il faut rappeler que la minorité anglo-québécoise, représentant huit pour cent de la population du Québec, assimile encore aujourd’hui plus de la moitié des immigrants québécois.

C’est pour ça que je suis inquiet, pour ne pas dire angoissé, devant l’avenir de notre langue, devant la laborieuse et presque inefficace intégration de la majorité des immigrants au Québec, d’où, comme vous le savez peut-être sans doute certains d’entre vous, mes montées infructueuses aux barricades du Parti québécois pour revenir à la loi 101, affaiblie, effilochée, anémiée, clochardisée par des jugements de la Cour suprême du Canada et peut-être aussi, ce qui est plus désolant encore, par notre propre volonté… l’absence de notre volonté collective de préserver intact l’héritage de René Lévesque et de Camille Laurin.

Il faut revenir à l’esprit de la loi 101, oui, sans peur et indifférents aux reproches de groupes, personnes, coteries, coalitions, partis fédéralisant qui feront tout pour que nous ne soyons pas maîtres chez nous.

Notre situation de minoritaires, voisins de la plus grande puissance assimilatrice économique et culturelle du monde, commande courage, volonté et fermeté. C’est Lacordaire qui disait, et ça a été cité récemment à une émission de Pivot par Agège [Allège] : "Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, mais c’est la loi qui affranchit." Dans notre cas, la liberté de choix de la langue d’enseignement.

Alors, je ne suis pas peu fier, lorsqu’il s’agit de préserver l’essentiel de ce que nous sommes, c’est-à-dire le référant essentiel de notre nation, de me ranger dans ce que les chroniqueurs de la politique appellent les purs et durs, par opposition sans doute aux impurs et mous, velléitaires, frileux, pusillanimes, la plupart vivant en serre chaude dans des milieux relativement protégés contre l’envahissement de l’anglais et ne mesurant pas dans la vie concrète des Montréalais qui, eux, voient dans la métropole, dans la deuxième ville de civilisation de langue française du monde, la déchéance de leur propre langue.

Et je me dis qu’un peuple n’a pas le droit de se faire hara-kiri. L’action doit être prompte, ferme et vigilante. Pour jouir d’une tranquillité illusoire, pour ne pas ouvrir - on entend toujours ça - la canne à vers des débats sur la langue, comme ils disent, les apaisants nous préparent un Munich linguistique. Pour avoir la paix, ils sacrifient l’honneur. Ils subiront à la fois et la défaite et le déshonneur.

L’un d’eux déclarait récemment à Chicoutimi, un des intellectuels parmi les plus brillants de la génération actuelle des Québécois, il déclarait du même souffle que les néo-Québécois sont la clé du développement du français, mais qu’avant de prendre des mesures radicales, disait-il, écrivait-il, il faut encore donner une chance à l’espoir d’équilibre linguistique pour quelque temps, quitte à faire de nouveau le point dans quelques années.

Alors, il écrivait pour donner une chance à l’espoir d’équilibre. C’est donc que le constat est avéré dans son esprit qu’il y a déséquilibre, puisque il veut donner une chance d’équilibre. En somme, le cancer progresse, selon lui, entre parfois en rémission, mais l’on interviendra dans quelques années, alors qu’il sera dans sa phase terminale. Ce n’est pas une réjouissante perspective.

Les attentistes, et il y en aura beaucoup, hein, il y en aura, il y en a eu et il y en aura beaucoup qui viendront devant vous, sont les complices inconscients du coup de frein à l’intégration des immigrants.

Certes, certains néo-Québécois, dont le nombre est insuffisant, hélas, ont opté pour le Québec d’abord et enrichissent de manière brillante et exemplaire la patrie qu’ils ont adoptée. Au titre de leur contribution au patrimoine commun, ils mettent parfois, voire souvent, plus de générosité et plus d’ardeur et de ferveur que beaucoup de nos concitoyens dits de souche, mais de souche déracinée, indifférents ou étrangers au devenir de leur propre patrie.

Mes propres concitoyens devraient suivre l’exemple de ce que le chanoine Groulx disait à propos du peuple juif. Le chanoine Groulx disait et nous invitait, et je le cite, « à posséder, comme les Juifs, leur âpre volonté de survivance, leur invincible esprit de solidarité, leur impérissable armature morale ». Et l’historien donnait alors l’exemple du peuple juif comme modèle à suivre pour que les Québécois affirment leur propre identité nationale et assument, et assument pleinement, l’héritage de leur histoire, ajoutant que l’antisémitisme était « une attitude antichrétienne et que les Chrétiens sont, en un sens, spirituellement des Sémites ». Fin de la citation.

Ce chanoine Groulx, qui est un des maîtres à penser de deux générations de Québécois et dont on a voulu débaptiser la station Lionel-Groulx il y a quelques années, sans doute pour la remplacer par station Mordecai-Richler, le boulevard René-Lévesque par le boulevard, sans doute, Ariel Sharon, la Place Jacques-Cartier par la Place Galganov, et ainsi de suite. C’est un peu satirique, c’est en boutade un peu que je dis cela, mais je pense qu’il en est qui exagèrent et qui poussent le bouchon un peu trop loin.

Si on suivait l’exemple du chanoine Groulx, si mes concitoyens suivaient l’exemple du chanoine Groulx, on n’aurait pas à dresser le constat déplorable que cinquante-sept pour cent des jeunes immigrants québécois, malgré l’enseignement qu’ils ont reçu en français à l’école primaire et secondaire, s’inscrivent aux universités de langue anglaise après avoir exercé leur fameux "libre choix", entre guillemets, de fréquenter un cégep de langue anglaise. Voilà qui est proprement aberrant.

Au reste, et vous aurez à vous interroger là-dessus, en vertu de quelle perversion des mots, en vertu de quelle dérive pédagogique puis de quelle douteuse modernité assimilatrice nos collèges d’enseignement général et professionnel ne font-ils plus partie du réseau secondaire de notre enseignement national ?

Je suis d’une génération où il y avait le primaire, et le secondaire se terminait au bac, et après, on entrait à l’université. Alors, il en est qui prétendent que les collèges d’enseignement général et professionnel sont mutatis mutandis quelque chose d’universitaire. Cela est faux.

Il faut savoir raison garder et reconnaître que la première, et la principale, et la plus urgente mesure que le gouvernement devra prendre, c’est de modifier la Charte de la langue française pour que l’enseignement du français soit obligatoire jusqu’au cégep inclusivement.

Pourquoi ? Parce que c’est à ce moment-là, où on a seize , dix-sept , dix-huit , dix-neuf ans, que l’on choisit son conjoint, que l’on choisit sa conjointe, qu’on aura probablement des enfants qui vont parler anglais - et il y a tous les effets économiques induits dans tout cela, hein - qui n’ouvriront pas un compte à la caisse populaire, qui ne liront ni La Presse, ni La Gazette, et qui… ni La Presse et Le Devoir et qui liront plutôt La Gazette et etc.. Donc, ils seront assimilés par les huit pour cent d’Anglo-Québécois qui, eux, sont confortés par la très grande culture nord-américaine et les puissants voisins d’Amérique. Il faut commencer par là.

Et en parlant du libre choix, trouvez-moi, et j’aimerais bien que l’on m’en donne, un seul exemple au monde qui accorde à ses immigrants un autre choix que le système public d’enseignement qu’il s’est donné.

En vertu de quelle théorie fumeuse du libre choix le Québec accorderait à tous les habitants de la planète, virtuels candidats à l’immigration, de choisir la langue d’enseignement de leurs enfants ? Si cela était, ils choisiraient l’anglais, et en deux ou trois générations de Québécois, le français passerait l’arme à gauche. Lord Durham se retournerait dans sa tombe et ses descendants feraient chanter des Te Deum au parlement outaouais et l’Hymne à la joie couvrirait le Canada en entier, d’une mare à l’autre.

"Être ou ne pas être assimilés ?", voilà la question. La souveraineté du Québec est indispensable sans le soutien, l’apport et la volonté d’un nombre substantiel de néo-Québécois qui feront route avec nous et contribueront à l’édification d’une société de justice sociale et de liberté.

C’est sur des communautés humaines comme la nôtre, incrustées dans une même histoire et une volonté de vivre un même destin collectif enrichi de l’apport précieux de nouveaux citoyens, c’est cela qui constitue les nations, lieux privilégiés et irremplaçables de la démocratie, d’une solidarité d’hommes et de femmes qui veulent vivre ensemble un même destin collectif.

Des immigrants, nous en voulons, oui, le plus possible, et poussant jusqu’à la limite nos capacités d’accueil, des immigrants qui seront non seulement des ayants droit, mais des ayants devoir aussi à l’égard de l’une des sociétés les plus généreuses du monde qui les accueille à bras et portefeuille ouverts. Des immigrants ayant devoir, c’est-à-dire comprenant et parlant notre langue, ouverts à notre culture, à notre façon de travailler, d’entreprendre, d’interpréter le monde en français et de nous accompagner sur le chemin qui mène à la maîtrise de tous les outils de notre développement.

Si cela devait être, nous n’assisterions pas à des genres de résultats comme ceux du référendum de mil neuf cent quatre-vingt-quinze. Moi, j’habite à la lisière du Montréal français et du Montréal anglais, à Côte St-Luc, où, vous avez ça dans l’annexe en document, douze circonscriptions, deux mille deux cent soixante-quinze votants, aucun oui dans les douze circonscriptions. Aucun oui, deux mille deux cent soixante-quinze non. Il y a même pas un étudiant égaré qui a voté oui. Il y a même pas un aveugle qui s’est trompé, ou un mal-voyant. C’est l’intolérance zéro.

Il y a trois explications à cela ou bien d’un vote comme celui-là, alors que les Québécois, eux, votent, exercent leur liberté démocratique, soixante - quarante en faveur du oui, cinquante-cinq - quarante-cinq, là, c’est cent pour cent contre la souveraineté du peuple québécois. Je le répète, Côte St-Luc, vérifiez dans le rapport du directeur général des élections. Et ce n’est pas les seuls cas, hein. Je n’ai pas fait toute l’étude.

Alors, ça n’arriverait pas, ça. Pourquoi ? Il y a trois hypothèses quand ça arrive. Un, il y a un phénomène de rejet chez eux. Deux, il y a un phénomène de rejet et peut-être d’hostilité, peut-être de haine. Trois, ils ne nous ont pas compris.

Je privilégie la troisième hypothèse. C’est que les immigrants qui ont tous voté oui massivement, ces immigrants-là… et dans Côte St-Luc, ce ne sont pas des Anglo-Québécois ; la majorité, ce sont les fils et les enfants d’immigrants qui sont dits… que l’on appelle par un mot que je n’aime pas, des allophones. C’est la grande majorité des habitants de Côte St-Luc.

Alors, si c’est vrai pour l’intégration des immigrants, je terminerai là-dessus, c’est aussi vrai pour un sujet - j’ai voulu parler d’intégration des immigrants - pour un sujet qui concerne l’affichage.

Il s’est répandu des mythes et des légendes à ce sujet. Au congrès plénier du Parti québécois de quatre-vingt-seize, de hautes autorités de cette formation politique à laquelle j’adhère, et non des moindres, ont déclaré qu’elles ne pourraient plus se regarder dans le miroir si nous abolissions la loi 86, stupide sous certains aspects d’ailleurs, loi libérale votée par un gouvernement libéral qui vise à mesurer une prédominance du français, et etc. - moi, je trouve ça, mesurer au galon ou au mètre l’affichage, je trouve que c’est assez stupide - alors, dont d’ailleurs l’abolition de la loi 86 avait été réclamée à cor et à cri par l’opposition du Parti québécois à l’Assemblée nationale. Quand ils sont revenus au pouvoir, ils n’ont pas voulu le faire.

Et on a invoqué René Lévesque, qui est une des personnalités les plus brillantes, les plus respectées, et dont nous sommes inconsolables de sa disparition, à l’effet qu’il aurait été du côté des non-abolitionnistes, c’est-à-dire qu’il aurait été de ceux-là qui ne voudraient pas toucher, rappeler la loi 86 et revenir à la fidélité, à l’originalité, à la pureté de la loi 101.

Et voici ce que René Lévesque disait dans une lettre au président d’Alliance-Québec, monsieur MacDuff (?), et je cite :

"Il est important que le visage du Québec soit d’abord français, ne serait-ce que pour ne pas ressusciter aux yeux des nouveaux venus l’ambiguïté qui prévalait autrefois quant au caractère de notre société, ambiguïté qui nous a valu des crises déchirantes. Il y a deux langues ici, l’anglais et le français. A sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant : ’Il y a deux langues ici, l’anglais et le français. On choisit celle qu’on veut.’ Elle dit à l’anglophone : ’Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit.’ Ce n’est pas là le message que nous voulons faire passer. Il nous apparaît vital que nous prenions conscience du caractère français de notre société. Or, en dehors de l’affichage, ce caractère n’est pas toujours évident." Fin de la citation de René Lévesque.

Voilà ce que j’avais à vous dire. Je n’ai pas à vous rappeler les considérants qui ressortent du bulletin statistique du ministère de l’Éducation, qui prouvent hors de tout doute raisonnable qu’au sortir du cégep, il y a plus de cinquante pour cent de la majorité des néo-Québécois qui choisissent de vivre en anglais et qui ne nous accompagnent pas sur la route de notre destin collectif.

Période de questions :
_ Cette présentation fut suivie d’une période de questions dont voici le contenu intégral, moins les civilités et les redites inhérentes au langage parlé :

M. Dermod Travis :
_ Bonjour, monsieur Michaud. J’ai un problème avec annexe 2, le tableau…

M. Michaud :
_ Oui ? Bien, moi aussi, j’en ai un. On est deux à avoir un problème.

M. Travis :
_ Soixante-six pour cent de la communauté juive montréalaise sont bilingues. Est-ce que vous savez le budget pour le comité oui de Côte St-Luc pour le dernier référendum ?

Est-ce qu’il y avait une campagne pour le oui dans Côte St-Luc durant le dernier référendum ?

M. Michaud :
_ Je ne vois pas en quoi votre question est très pertinente au fait de voter oui ou non par rapport à des budgets qui sont alloués dans une circonscription et à une autre, ma démonstration étant à l’effet que si les immigrants - et ceux-là dans Côte St-Luc, là, c’est une bonne proportion - nous comprenaient quand on leur parle, s’ils comprenaient notre langue, s’ils comprenaient les enjeux de base d’un peuple qui a le droit à sa patrie, peut-être qu’il y en a quelques-uns d’entre eux qui voteraient oui, alors qu’ils ont massivement voté non.

Ma démonstration est celle-là. Moi, je rentre pas dans des budgets électoraux, là. Ça, c’est des questions vénales et mercantiles, et je n’aborde pas ça. Peu me chaut ces questions-là.

M. Travis :
_ Monsieur Michaud, pour la dernière élection, je peux trouver des sections de vote dans la circonscription Ste-Marie/St-Jacques qui ont voté contre monsieur Boulerice par soixante-dix ou quatre-vingts pour cent des sections de vote c’est francophone. Est-ce que c’est parce qu’ils n’ont pas compris monsieur Boulerice ?

M. Michaud :
_ Mais là, je ne parle pas du vote des élections. J’ai toujours dit que… je viens de vous dire que les Québécois enregistrent toujours des votes équilibrés de façon démocratique soixante – quarante. Là, vous parlez d’une élection pour élire un député, ce qui est très différent d’un référendum pour choisir le destin d’un peuple.

Madame Lopez :
_ Question de s’approcher un petit peu de la réalité en ce qui concerne les votes ethniques, vous avez dit : "C’est parce qu’il peut y avoir de la haine…"

M. Michaud :
_ Je n’ai pas dit "les votes ethniques", j’ai dit "des votes ethniques".

Mme Lopez :
_ Des votes ethniques, d’accord.

M. Michaud :
_ Oui. Et il faut se méfier des généralisations, là.

Mme Lopez :
_ Vous savez, mon français est pas tout à fait parfait encore.

M. Michaud :
_ Non, mais on a vilipendé Jacques Parizeau parce qu’il a dit "de l’argent et des votes ethniques". Il n’a pas parlé du vote ethnique.

Mme Lopez :
_ D’accord. Alors, vous avez dit qu’il y avait peut-être de la haine, du rejet. Je crois que pour se mettre un petit peu plus dans la réalité, peut-être qu’il faudrait tenir compte aussi de l’influence qu’il y a eu pour ces votes-là. Je cherche pas les coupables, mais il y a eu une certaine influence pour ce groupe-là. Il y a eu aussi une peur qui a été introduite, hein. J’ai entendu dire : "Bien, si vous votez de telle façon, vous allez perdre vos bénéfices aux personnes âgées. Toute votre pension va disparaître." Il y a eu une influence pour ce vote-là aussi et…

M. Michaud :
_ Oui, mais c’est sûrement pas les partisans de la souveraineté qui ont dit ça.

Mme LOPEZ :
_ Mais je cherche pas les coupables.

J’essaie de voir qu’il faut tenir compte de ces influences aussi. Je défends pas les votes quelconques, mais je crois qu’il faut s’approcher de la réalité pour voir aussi qu’est-ce qui fait que les personnes réagissent de cette façon-là.

Et autre petit détail, dans votre discours vous dites "qui nous accompagnent". C’est comme à quelque part on tenait pas compte que c’est pas de vous accompagner, c’est de prendre nos responsabilités et d’y aller, non pas en accompagnateurs, au même titre que vous. Dans le discours, il y a le "nous" et le "vous".

M. Michaud :
_ Oui, j’ai déjà entendu ça, madame. Là, vous entrez dans un piège linguistique. Quand on dit "nous", il y a un peuple au Québec, qui est un peuple… le premier peuple fondateur du Canada.

Hein, le deuxième, ça a été les Canadiens anglais. On les a… il est ici depuis quatre cents ans. Quand on dit "nous" comme peuple, "pour nous accompagner", ça n’est pas exclusif aux autres. J’ai parlé des néo-Québécois, hein, qui sont là et qui brillamment nous accompagnent, et nous accompagnent en ce sens qu’ils entrent dans notre façon de penser, de parler, de croire, d’aimer, d’espérer, d’entreprendre. C’est cela.

Tous les exemples en France, par exemple, de tous les immigrés qui viennent enrichir la vie française par rapport à des immigrés, bien, nous référant à nous comme un peuple, comme les Écossais se réfèrent à eux comme un peuple, comme les Gallois se réfèrent à "nous" comme peuple, toutes les nations du monde se réfèrent à elles comme peuple.

Alors, le "nous" n’exclut pas les autres, loin de là. Il est inclusif, au lieu d’être exclusif.

M. Richard :
_ Je note avec beaucoup d’intérêt le contenu de votre mémoire. Il y a certains aspects où il y a des fils qui sont avec d’autres représentations que nous avons eues, surtout dans le domaine de l’accessibilité à des cégeps anglophones.

Vous avez cité ou fait référence une couple de fois au Lord Durham. Ça nous arrive parfois qu’il y a des gens qui font référence au Lord Durham et concernant ses…

M. Michaud :
_ A Lord Durham, oui, oui.

M. Richard :
_ Oui, c’est ça, et ses paroles. Il y a beaucoup de Québécois qui ne savent pas que Lord Durham a aussi dit que la révolution de 1837, les Patriotes avaient raison.

Mais il y a une chose que la Commission essaie de redresser dans leurs travaux, et je suis sûr que vous serez très heureux de l’apprendre, c’est que ça serait un Québec inclusif de tout le monde, dont la langue commune serait le français.

Mais connaissez-vous dans vos lectures énormes de l’histoire Lord Dorchester ? Lord Dorchester, c’est l’anglophone qui a donné le droit, qui a convaincu les Britanniques de donner le droit aux francophones du Québec de continuer avec leurs institutions, parce qu’il ne voulait pas une autre Irlande du Nord au Québec.

Alors, un de nos projets en affirmant la présence française, c’est de reconnaître la vérité de tous nos travaux. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

M. Michaud :
_ Bien, là, si vous me demandez d’être un exégète de Lord Durham et de Lord Dorchester, je pense que vous allez épuiser notre temps, hein.

Ah, vous êtes là pour savoir. Il est évident qu’il y a eu… après la conquête, il y a pas eu que des effets maléfiques, il y a eu quelques effets bénéfiques. D’ailleurs, ça n’a pas été par grandeur d’âme, hein. Étant donné que la rébellion américaine commençait, que la chaudière commençait à bouillir au sud, il y a eu l’Acte de Québec, où on a reconnu, le conquérant a reconnu, parce que nous sommes un peuple conquis par la violence des armes, et c’est un bienfait du conquérant de nous avoir donné le droit de pratiquer notre langue et de pratiquer notre religion et de parler notre langue.

Alors, Lord Durham est venu par la suite. Mais Lord Durham, quand il nous a… il a écrit un excellent rapport. Il était britannique. Il est venu ici, il ne nous détestait pas. Il a constaté l’état du peuple québécois. Il a dit : "Je veux faire accéder les Canadiens français - à l’époque, ou les Français du Canada - au rang de la race supérieure, la race anglaise, qui a pour elle la supériorité de l’intelligence."

Il voulait nous sortir de notre condition de nègres blancs, de citoyens de seconde zone. Il nous a appelés "peuple sans littérature et sans histoire", et etc., mais c’était par bonté d’âme qu’il faisait ça. Il était en pleine époque victorienne, c’était "Britannia rules the waves", et voilà, c’était par bonté d’âme. Il voulait nous sortir de notre condition misérable, le fait que nous parlions français sur ce continent nord-américain, et nous faire accéder à la race supérieure, la race élue du peuple britannique.

Évidemment, il y a Lord Dorchester qui a fait des bonnes choses. Il y en a plein d’autres, hein, du côté du Canada anglais. Les Québécois à Trois-Rivières ont élu le premier député juif de langue française à quatre-vingt-dix-neuf point neuf pour cent (99.9%), de langue française, à Trois-Rivières, ce que le conquérant anglais ou le dominant anglais de l’époque a invalidé comme élection.

Alors, si on veut faire du révisionnisme historique, là, ou bien faire des positions historiques, il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus, hein. Les Québécois ont toujours été un peuple tolérant, mais tolérant jusqu’à… je dirais jusqu’à l’extrême.

Une minorité n’a pas à être tolérante. La tolérance, c’est la vertu du fort, du seigneur, c’est la vertu du maître vis-à-vis l’esclave. Il est tolérant vis-à-vis l’esclave. La tolérance, c’est la tolérance du plus fort.

Et c’est pour ça que Lacordaire disait : "C’est la loi qui opprime et… c’est la liberté qui opprime souvent, mais c’est la loi qui affranchit." Et j’espère que les commissaires recommanderont une loi au gouvernement québécois qui fera en sorte que le peuple québécois pourra s’affranchir par la loi et ne s’enlisera pas dans les méandres et dans les marais du libre choix, qui est une hérésie.

Je l’ai entendue il y a trente et un ans, je la combattrai toute ma vie. Il n’existe pas telle chose que le libre choix en matière d’enseignement. Il y a un système d’enseignement unique valable du primaire au secondaire. Quant à l’université, ça va. Et ce système d’enseignement doit être en langue française jusqu’au cégep inclusivement.

Mme Bouchard :
_ Oui. Et à part les jeunes, il y a aussi les adultes qui arrivent, les immigrants. Je veux revenir à la question d’intégration des immigrants, parce que, bon, vous l’avez rappelé, donc le référendum a été perdu par les souverainistes, et monsieur Parizeau avait dit ce soir-là effectivement qu’on avait perdu le référendum à cause de l’argent et des ethnies.

M. Michaud :
_ Des votes ethniques, oui.

Mme Bouchard :
_ Alors, moi, je me pose la question suivante. Est-ce que notre gouvernement a une réelle volonté politique d’intégrer les immigrants ? Est-ce qu’il a mis en place tous les outils, tout ce qu’il faut pour qu’ils s’intègrent bien ?

Depuis le début de nos audiences, nous entendons beaucoup de récriminations à l’effet que le système est déficient, on n’arrive pas rejoindre tous les immigrants, et justement, surtout les parents de ces enfants qui maintenant sont obligés de fréquenter l’école en français. On note effectivement un progrès… sûrement, le plus grand succès de la loi 101, c’est ça, c’est le fait que… c’est le coeur de la loi 101, cette obligation de fréquenter en français l’école.

Maintenant, qu’est-ce qui arrive avec leurs parents ? Est-ce que le gouvernement a tout fait ? Est-ce que, selon vous, il y a une réelle volonté politique de les intégrer ?

M. Michaud :
_ Vous voulez une réponse claire et nette ? C’est non.
Est-ce que le gouvernement a tout fait ? Non. Est-ce qu’il y a une réelle volonté politique d’intégration des immigrants ? C’est noui.

Mme Bouchard :
_ Parce que vous dites qu’ils ne nous comprennent pas, qu’ils ne…
M. Michaud :
_ C’est noui. C’est noui. C’est noui.

Mme Bouchard :
_ Parce que vous dites qu’ils n’ont pas compris le peuple québécois. C’est peut-être le gouvernement qui n’a pas tout fait pour se faire comprendre.

M. Michaud :
_ Vous avez raison, le gouvernement n’a pas tout fait pour se faire comprendre et devrait prendre toutes les mesures pour se faire comprendre, dont une serait peut-être d’étendre… serait sans doute d’étendre jusqu’à l’enseignement… le français jusqu’au cégep inclusivement. Ça en est une des mesures que l’on suggère pour que, enfin, les immigrants puissent nous comprendre.

S’ils parlent pas notre langue, n’en connaissent pas les paramètres, s’ils ne peuvent pas se référer au vocabulaire d’une langue qui reste quand même une des langues les plus intelligentes et les plus universelles du monde… on ne parle pas le… je sais pas, moi, d’autres langues tribales, là, hein, c’est une langue universelle, le français, donc, c’est… voilà.

La réponse à votre question, c’est non. Bien sûr que non. Il y a quantité d’entre nous… quelqu’un qui est dans cette salle ici vient de me donner un journal justement sur l’intégration des immigrants, hein, qui regroupe à peu près une cinquantaine, une centaine de groupes dans le Québec pour favoriser l’intégration des immigrants.

C’est évidemment que nous allons devenir un pays avec une mosaïque culturelle différente de ce que nous avons été il y a cent ans, et c’est pour cela qu’un pays, une société doit être assimilatrice. Si elle ne l’est pas, elle est assimilée par d’autres.

Et remarquez que quand… souvent on me traite d’extrémiste, mais pour les Anglo-Québécois qui nous accompagnent depuis des siècles, depuis des siècles, moi, je serai… je monterai aux barricades pour défendre leur droit à leur langue, leurs écoles, leurs institutions, leurs hôpitaux, parce qu’une qualité de la démocratie, une… une démocratie se définit comment ? Par la qualité qu’une démocratie accorde à ses minorités.

Il y en a deux minorités au Québec. Il y a les Anglo-Québécois et il y a les autochtones. Les allophones ne sont pas une minorité, mais par un curieux raisonnement, par une perversion de l’esprit, on a dit : "Il y a vingt pour cent d’anglophones ou d’allophones au Québec." Mais non, il y a huit pour cent d’Anglo-Québécois qui ont des droits, plus que nous d’ailleurs, hein, ils ont plus de droits que nous, parce qu’un anglophone, un Anglais, un Anglo-Québécois peut envoyer son enfant à l’école française. Moi, j’ai pas le droit.

Le Président :
_ Monsieur Michaud… j’aimerais ça qu’on puisse débattre effectivement un minimum de minutes sur l’approche globale. Bon. Vous semblez privilégier l’approche législative, l’approche juridique, mais plus on avance dans nos travaux, plus on se rend compte que ça a produit des fruits extraordinaires, faut le reconnaître, ça a permis d’inverser des courants historiques, mais on a peut-être atteint des limites en termes de production d’effets bénéfiques et qu’il nous faut peut-être avoir une approche plus large, et que la question de la langue, de sa qualité, de son rayonnement tient à beaucoup plus qu’une loi, fusse-t-elle une charte.

Vous avez fait allusion tantôt à un certain déficit de volonté politique, mais est-ce qu’il y a pas un déficit de stratégie ou d’orientation stratégique ? C’est-à-dire, pour faire écho à la présentation qui vous a précédé, je vais un peu vite en affaires peut-être…

M. Michaud :
_ Et à celle qui me suivra.

Le Président :
_ Peut-être.

M. Michaud :
_ Oui.

Le Président :
_ A mon avis, il y a deux faux débats. Je suis un peu carré, là, les gens m’excuseront.

M. Michaud :
_ Allez-y, je vous connais bien.

Le Président :
_ Le problème n’est pas un problème de droits. A mon avis, la communauté anglophone s’est vue reconnaître un ensemble de droits. J’avais cru pendant un certain temps qu’il y avait un problème de rapport social, au sens où une nouvelle majorité s’affirmant, la majorité francophone, l’ancienne majorité, pas numérique, mais politique et sociale, pouvant se sentir écartée, peut-être blessée, et donc vivait un certain repli, mais la présentation qui vous a précédé, ils sont venus nous faire la démonstration que très concrètement, le dispositif, notamment d’éducation, découlant de l’application des droits produit des candidats à la diaspora.

C’est-à-dire, le seul fait qu’ils ne puissent pas maîtriser suffisamment correctement le français, devenu la langue officielle, la langue nationale, mais aussi la langue du travail, la langue des échanges, les écarte d’une façon structurelle, d’une façon systématique, de la pratique économique, ou plutôt de la pratique du travail et de la pratique de la dynamique politique, notamment l’accès aux postes dans le secteur public.

Alors, je voudrais vous entendre dire, est-ce que la Commission devrait effectivement se pencher d’une façon très sérieuse pour qu’on puisse produire un ensemble de propositions que moi, j’appelle d’ordre stratégique ou un plan d’action ?

Peut-être pour vous allumer un peu, la langue n’existe pas en dehors de la culture. C’est quoi, disons, nos politiques culturelles ? Le rapport de force de cette langue en Amérique du Nord, mais aussi au Québec, n’existe pas en dehors de ses locuteurs. C’est quoi, la politique de population qu’on devrait avoir, etc. ?

Donc, est-ce que vous avez quelques réflexions là-dessus ?

M. Michaud :
_ Je n’ai pas à, vous connaissant et connaissant votre parcours, je n’ai pas à vous dire qui était Lacordaire. Et quand il disait : "C’est la loi qui opprime… c’est la liberté qui opprime, mais c’est la loi qui affranchit", la loi police les moeurs, c’est-à-dire qu’elle les adoucit.

Si vous empruntez des sentiers parsemés de fourches caudines de l’incitation, la nouvelle stratégie, et qu’on ressasse toujours, je le répète, le vieux film de la soi-disant tolérance, de la persuasion… c’est monsieur Gérard Bouchard, hein, qui est l’intellectuel dont je parlais, qui dit : "On va attendre quelques années pour voir ce que ça va donner."

Nous sommes en péril. La langue française à Montréal est en danger. Et si la langue française à Montréal vient à s’étioler, qu’elle vient à mourir, toutes les régions du Québec assemblées ne pourraient pas soulever son cercueil. Nous entrerions dans un processus de folklorisation et de louisianisation.

Si les commissaires ne recommandent pas au gouvernement des mesures fermes pour revenir à l’esprit de la loi 101 - je ne dis pas "la lettre", ce qui laisse des accommodements stratégiques, si vous voulez - mais revenir à l’esprit de la loi 101, que la langue nationale du Québec - je dis pas "nous", là - la langue nationale, la langue de travail, la langue de culture, c’est le français, bien, si vous ne faites pas ça, les gouvernements qui se succéderont deviendront de plus en plus frileux, deviendront de plus en plus pusillanimes et ne feront pas en sorte que subsiste à la fois pour nos enfants et nos petits-enfants, ceux-là qui nous suivront, cette civilisation de langue française du monde qui est sur le continent nord-américain et qui est une richesse universelle.

Nous sommes les seuls à nommer l’hiver en français - prenez toute la calotte - à nommer l’hiver, mais ça, c’est une richesse de l’universel. Et quand le président Léopold Senghor disait : "Il faut affirmer nos spécificités nationales, parce que…"

Lui parlait de la négritude. J’avais osé dire qu’il était noir, puis il m’avait dit : "Non, non, moi, je suis nègre." Il m’a rabroué : "Je suis nègre." Il voulait pas se faire appeler Noir. Le discours politiquement correct fait que, aujourd’hui, on ne dit pas ça.

Il disait : "Nous savons que nous sommes appelés à l’universel rendez-vous du donner et du recevoir - comme le Québec pourrait être appelé - et nous voulons affirmer notre négritude, nos spécificités nationales, afin que nous n’y arrivions pas les mains vides."

Alors, pour participer à cet universel rendez-vous du donner et du recevoir, que les commissaires fassent donc des recommandations au gouvernement du Québec afin que nous puissions un jour arriver et que nous nous mettions à table pour apporter la singularité de notre jeunesse et de notre enrichissement pour l’universel.

Le Président :
_ Eh bien, je vais vous remercier, monsieur Michaud, de cette contribution. On a beaucoup apprécié que vous veniez discuter avec nous un bout de temps. Merci beaucoup.

M. Michaud :
_ Merci de m’avoir entendu.

5 ans et demi plus tard :

Après cinq ans et demi d’une lutte farouche et obstinée de la part de M. Michaud pour faire reconnaître ses droits et être exonéré de tout blâme en plus de voir son honneur et sa dignité lavés de tout soupçon, le 8 juin 2006, le juge Beaudoin concluait le jugement auquel la Cour d’appel du Québec en ces termes :

“ Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir ensuite la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria auraient dit les juristes romains !”

Fin de la première partie

Claude G. Thompson


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 décembre 2010

    À l'époque des événements relatés plus haut je suivais d'assez près les activités du PQ. J'avais été membre d'exécutif de comté et délégué à des conseils nationaux et congrès. Je connaissais de la mécanique du parti ce qu'un petit militant de la base peut comprendre. Je faisais la campagne de financement dans mon secteur et participais à diverses actions bénévoles.
    Quand la motion a été déposée à l'Assemblée nationale, j'ai fait le lien entre une sortie d'André Boulerice qui avait déplu à son chef, Lucien Bouchard, peu de temps auparavant lors d'un Conseil national et le geste pour moi incompréhensible que le gouvernement du PQ posait.
    Je ne me souviens plus de ce que M. Boulerice avait dit mais Bouchard en avait été choqué et l'avait fait savoir. Pour rentrer dans les bonnes grâces du PM et se faire pardonner son incartade, le député de St-Jacques-Ste-Marie a fait le travail sous-terrain qu'"on" lui a demandé, a agi de concert avec les libéraux et a collaboré au sabotage anti-Michaud.
    J'ai abordé privément M. Boulerice au dernier congrès du PQ, à Québec, en 2005, lui demandant s'il voulait discuter d'un éventuel pardon à accorder à M. Michaud. Il m'a regardé comme si je lui avais mis un pistolet sous le menton, a dit:"Jamais" et a tourné les talons.
    Voilà ce que je sais du comportement de M. Boulerice dans cette affaire.
    Je ne crois pas que M. Boulerice soit un défenseur du lobby juif, ni un anti-sémite évidemment. Je crois simplement qu'il a accompli la sale besogne qu'on lui a demandée pour apaiser le courroux du chef et lui plaire. Je ne sais pas pourquoi il a démissionné en cours de mandat.

  • Claude G. Thompson Répondre

    12 décembre 2010

    M. Barberis-Gervais
    Étant un lecteur assidu et un intervenant occasionnel de Vigile, il ne m’avait pas échappé, n’en doutez point, que vous aviez reproduit l’intervention de M. Michaud à la Commission Larose. Pas plus que vous n’avez d’objection à ce que je le la reproduise à mon tour, je ne saurais en avoir que qui que ce soit en fasse autant, les textes qui la composent étant du domaine public et n’appartenant ni à vous, ni à mois, ni à qui que ce soit d’autre.
    L’idée de revoir « l’Affaire Michaud » et de faire la genèse des événements qui en ont constitué le début me trottait dans la tête depuis quelques semaines, mais le temps nécessaire à la compilation, à la relecture et à la chronologie des événements et des interventions qui en ont constitué le cours me manquait. Heureusement, votre article pour Vigile du 4 décembre m’a été une source d’inspiration et j’ai commencé il y a trois jours à mettre ensemble tous les éléments dont je pourrais me servit pour arriver à mes fins.
    Bien sur, le livre de M. Gaston Deschênes contient tous les éléments qui nous permettent de connaître et de comprendre les tenants et les aboutissants du vote de l’Assemblée nationale du 14 décembre 2000. Ce qui m’intéressait concernait le déroulement des événements qui ont suivi la sortie du livre de M. Deschênes et ce qui m’est vite apparu comme un écheveau de commentaires, de prises de position, de discussions et de prises de bec entre plusieurs intervenants sur Vigile ou ailleurs quant au sens à donner aux réactions et aux déclarations de nos politiciens sur cette question. J’ai donc suivi la seule voie valable, en commençant par le commencement et en reproduisant l’intervention de M. Michaud à la commission Larose. Que vous en ayez parlé ailleurs est certes parfait du point de vue de votre approche. Du point de vue de la mienne, sa rédaction s’insère dans un document unitaire qui englobe l’ensemble des événements qui nous ont conduits au point où nous en sommes maintenant.
    Comme vous l’avez écrit vous-mêmes en réponse à M. Poulin dans son article sur Vigile : « Les circonlocutions politiciennes et leurs surprises » :
    “Je pense toujours que de reconnaître qu’on n’a pas traité un citoyen avec équité comme l’a fait Pauline Marois est l’aveu d’une erreur et que d’avouer une telle erreur équivaut à s’excuser.
    Comme ce n’est pas l’avis de M. Michaud et de plusieurs autres, moi qui ai été très affirmatif, je suis devenu perplexe. Je comprends pourquoi Claude G. Thompson veut reprendre le débat à partir du début.”,
    j’ai été moi aussi perplexe, mais contrairement à vous, depuis le début. Vous ne vous êtes pas gêné pour me faire connaître votre désaccord avec mes idées à ce sujet sur votre ton « prof. de cégep s’adressant à ses étudiants ignares », mais ça, c’est, comme vous l'avez déjà affirmé à mon sujet, une de vos « idiosyncrasies » que j’encaisse de bonne guerre. Nous intervenons sur un site de discussion et chacun est libre de dire les choses comme il l’entend. Comme je l’ai toujours dit, notre « webmestre » est le seul censeur de ce que doivent être nos limites.
    Vous avez raison de dire qu’il faut du jugement pour faire de la politique et j’ajouterais, sur le ton de la boutade, qu’il en faut encore plus pour en faire l’analyse. Vous avez, assurément, suffisamment d’expérience dans ce domaine pour savoir de quoi je parle.
    Merci de votre compréhension,
    Claude G. Thompson
    P.S. : N’ayez crainte pour moi, les influences délétères n’ont aucune prise sur moi.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 décembre 2010

    Est-ce que quelqu'un sait:
    1) Pourquoi c'était le plus sioniste des députés péquistes?
    2) Pourquoi il a démissionné pendant son mandat?

  • Archives de Vigile Répondre

    12 décembre 2010

    M. Thompson 

    Je n’ai pas d’objection à ce qu’on reproduise de nouveau les propos d’Yves Michaud devant la Commission Larose tenus le 13 décembre 2010.
    J'informe le lecteur que l’intégrale de ces propos avait déjà été mis à la disposition de tout le monde dans le texte suivant  dont je suis l'auteur:



    j’approuve Pauline Marois 


    les propos complexes et nuancés d’ Yves Michaud devant la Commission Larose 


    il faut du jugement pour faire de la politique


    4 décembre 2010; 531 visites 7 messages

    Ce qui avait visiblement échappé à M. Thompson. Je l'invite à aller lire un commentaire qui le concerne suite au texte de Raymond Poulin publié dans les textes les plus lus des 7 derniers jours : "Les excuses de madame Marois", 4 décembre 2010.


    Hors sujet, à la suite d'un article de Madame Morot-Sir sur la reconnaissance que nous devons à l'Eglise catholique du Québec, je recommande la lecture d'un texte de Claude Jasmin publié dans "La Presse" de samedi : "Diffamation malveillante" sous-titre: "Ça suffit. 93% des prêtres et des religieux n'étaient pas des pédophiles dangereux." Je corrigerais pour remplacer par 95% minimum.


    Avec mon amitié renouvelée et attention aux influences délétères.
    Robert Barberis-Gervais, Marie-Victorin, 12 décembre 2010





  • Archives de Vigile Répondre

    11 décembre 2010

    Je n’ai pas d’objection à ce qu’on reproduise de nouveau les propos d’Yves Michaud devant la Commission Larose tenus le 13 décembre 2010 ni qu'on dise merci à Claude G. Thompson de l'avoir fait.
    Mais l'intégrale de ces propos avait déjà été mis à la disposition de tout le monde dans le texte suivant:
    

j’approuve Pauline Marois 

    les propos complexes et nuancés d’ Yves Michaud devant la Commission Larose 

    il faut du jugement pour faire de la politique
    
Robert Barberis-Gervais 4 décembre 2010 531 visites 7 messages
    Ce qui avait visiblement échappé à Dupont et Dupont.
    On voudra bien tenir compte de mes analyses ne serait-ce que pour essayer de les démolir.
    J'invite M. Thompson à aller lire un commentaire qui le concerne suite au texte de Raymond Poulin publié dans les textes les plus lus des 7 derniers jours: "Les excuses de madame Marois", 4 décembre 2010.
    Salutations à mes ex-amis et ne vous acharnez pas sur moi, vous perdez votre temps.
    Hors sujet, je vous recommande un texte de Claude Jasmin publié dans La Presse de samedi: Diffamation malveillante.
    
Robert Barberis-Gervais, Marie-Victorin, 11 décembre 2010



  • Archives de Vigile Répondre

    11 décembre 2010

    Merci M. Thompson d’avoir mis à notre disposition l’intégrale qui est à l’origine de ce que nous sommes convenus d’appeler l’affaire Michaud. Je crois que ce dernier a suffisamment subi d’injustices, d’incompréhension et de mésinterprétations sans qu’un pompeux pisse-vinaigre vienne en rajouter une couche au grand plaisir des libéraux et autres ennemis de notre nation.
    À mon avis, il serait sans doute avantageux pour ceux qui recherchent la vérité brute, originale, sans interprétation malveillante, de faire un copier/coller de ces textes pour de futures références. Avec tout ce qui a été dit sur le sujet, il est assez malaisé pour beaucoup de personnes de se faire une idée juste des tenants et aboutissants de toute cette saga.
    J’ai beaucoup de difficulté à croire qu’un jour M. Michaud obtienne justice. Je n’ai pas l’habitude d’être à ce point négatif mais si les députés de l’Assemblée Nationale avaient à eu à afficher leur droiture ils l’auraient fait déjà. La proposition de M. Amir Kadir, en la lisant attentivement, n’était pas du tout un piège, c’était, en fait une main tendue à Pauline Marois mais elle l’a refusée et certains esprits chagrins péquistes et pro-péquistes, se sentant coupables de petitesse, tentent de réduire la portée réelle de la proposition M. Kadir. Pour ceux qui l’accusent de vouloir se faire du capital politique, c’est à Mme. Marois que ce capital aurait profité si elle avait su en saisir l’occasion.
    Jusqu’à maintenant, M. Michaud n’a pas répondu aux ragots de commères lus sur Vigile et c’est tout à son honneur. Avec les textes publiés par M. Thompson que chacun peut lire et garder, nous pourrons tous savoir exactement de quoi il en retourne, vraiment.
    Ivan Parent