Québec solidaire ose aller à contre-courant… de la modernité

Tous les conservateurs religieux ont en commun le refus de la modernité, alors qu’ils bénéficient de ses avantages économiques, démocratiques et technologiques

Laïcité et Québec Solidaire

C’est un véritable salmigondis que nous a servi [Benoit
Renaud->24906], secrétaire général de Québec solidaire, dans son article sur les
accommodements religieux publié dans Le devoir du 6 janvier.
Parmi les nombreuses lacunes et faiblesses de cet article, soulignons
celle qui consiste à réduire la religion à un droit individuel, vision
également au cœur du rapport Bouchard-Taylor. Si cela est exact sur le plan
juridique, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe pas de religion
individuelle : toute religion est par définition collective et est porteuse
d’une vision philosophique et politique de la société. Toute religion
cherche ainsi à influer sur la politique et les demandes d’accommodements
religieux ne sont que la méthode douce pour y arriver. Les accommodements
consentis à une personne sont par la force des choses reconnus à tous ses
coreligionnaires.
Benoit Renaud écrit qu’«il ne faut pas confondre politique et religion» et
que «aucune conviction politique ne demande à ses adeptes de porter un
symbole ou un vêtement particulier». Une telle séparation du religieux et
du politique n’existe pas chez les intégristes ou chez les religieux
conservateurs de toute religion. Le hidjab, par exemple, est considéré par
bon nombre de musulmans comme étant l’étendard de l’islamisme, c’est-à-dire
de l’islam politique.
Dans chaque religion, des croyants se distinguent des autres par leur
habillement et y accordent une importance si grande qu’ils veulent faire
prévaloir ce signe distinctif sur toute adaptation aux mœurs actuelles.
Quelle différence y a-t-il entre une musulmane voilée et une autre qui ne
porte pas le voile, entre un sikh qui porte le kirpan et un autre qui
accepte un symbole de kirpan, entre un juif qui porte la kippa et un autre
qui n’a aucun signe distinctif? Il faut y voir la même différence qu’entre
un catholique qui porte un béret blanc et un autre qu’on ne reconnaît pas
sur la rue.
Tous les conservateurs religieux ont en commun le refus de la modernité,
alors qu’ils bénéficient de ses avantages économiques, démocratiques et
technologiques. Pour eux, le politique doit être subordonné au religieux et
ceci constitue une vision politique de la société. On objectera qu’il se
trouve aussi des intégristes religieux qui ne portent aucun signe
distinctif. Soit. Mais ceux-là ne cherchent pas à planter leur étendard au
cœur de l’État en guise de symbole victorieux.
Il fut un temps où la modernisation de l’État a servi de locomotive aux
réformes religieuses, amenant de gré ou de force les religions à s’adapter
à la vie moderne. Les catholiques et les protestants, par exemple, ont
cessé de faire jeûner les enfants, ont assoupli la règle d’observance du
dimanche, ont abandonné les vêtements contraignants pour les religieux et
religieuses, etc. En cédant aujourd’hui aux demandes d’autres groupes
religieux, l’État se fait lui-même eunuque et renonce à être le moteur de
cette modernisation toujours à poursuivre. Les «accommodementalistes»
présentent ainsi le triste spectacle d’une classe intellectuelle qui
s’aplatit devant l’intégrisme politico-religieux sous le faux prétexte de
la défense de la liberté de religion. Jamais leur discours n’est-il
accompagné d’une mise en garde ou d’une critique à l’égard de croyances
religieuses bien souvent tout aussi ridicules qu’anti-humanistes.
Au nom de quoi, se demande Benoit Renaud, interdirait-on à un
fonctionnaire de porter un signe religieux? Au nom du même principe qui a
amené les commissaires Bouchard et Taylor à demander que ces signes soient
interdits aux juges, aux procureurs de la couronne, aux policiers, aux
gardiens de prison et au président de l'Assemblée nationale qui doivent
s’imposer un devoir de réserve quant à l’expression de leurs convictions
religieuses parce qu’ils représentent l’État. La réserve n’est ni pire ni
moins acceptable que celle demandée aux enseignants qui acceptent de mettre
en veilleuse leur liberté d’opinion dans le cadre de leurs fonctions
pédagogiques.
En définitive, les accommodements religieux déresponsabilisent les
croyants face aux conséquences de leurs propres choix. Si je décide de
devenir chaman et de porter un panache d’orignal, je ne dois pas m’attendre
à devenir pompier ni danseur de ballet.
Le secrétaire général de Québec solidaire associe par ailleurs le refus du
hidjab à de l’islamophobie. Pourtant, 90% des musulmanes de Montréal ne
portent pas de voile et de très nombreuses, qui savent y voir les couleurs
de l’intégrisme, réclament son bannissement des institutions publiques. Ces
musulmanes sont-elles islamophobes? Ce sont ces femmes progressistes et
courageuses qu’il faut soutenir et non celles qui sont envoyées au front de
la lutte anti-modernité et anti-laïcité.
On m’objectera que plusieurs musulmanes portent le voile par libre choix.
Mais comment ce supposé libre choix s’est-il instauré? Cette position
révisionniste est un déni de l’histoire récente et sanglante du hidjab dont
le port «volontaire» s’est imposé à coup de dizaines de milliers de femmes
assassinées pour le seul fait de ne pas l’avoir porté. On ne peut ignorer
cette réalité et se réfugier derrière la «polysémie du voile» comme le font
les défenseurs de l’accommodement.
Si le texte du secrétaire général de Québec solidaire représente les
convictions profondes du parti, on ne pourra compter sur ce parti pour
défendre les acquis de la modernité et de la démocratie ni pour établir la
laïcité au Québec.
***
Daniel Baril

Anthropologue, journaliste et militant laïque
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Daniel Baril46 articles

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 janvier 2010

    Concernant la branche radicale des conservateurs dits chrétiens aux États-Unis, on fait quoi contre? Elle est tout aussi épeurante, dominatrice et guerrière que le terrorisme dit islamiste. Ces gens-là demandent explicitement la guerre.
    Et que fait-on des conservateurs juifs qui veulent un grand Israël totalement juif, donc souhaitant que les Palestinien-ne-s quittent la région?
    M. Baril, *en principe*, dénonce tous les conservatismes religieux sauf que dans les faits bon nombre d'entre nous avons une poutre dans l'œil qui nous amène à critiquer l'Islam, pendant que nous sommes nous-mêmes dirigés par des Conservateurs dit Chrétien-ne-s. Je ne vise évidemment pas M. Baril ici, mais plutôt nous comme société qui peuvent trouver ça facile d'interdire aux autres leurs signes religieux.
    Ma position finalement : interdiction ou non des signes dans la fonction publique, cela ne change rien à la réalité, à part fort probablement aggraver la radicalisation des uns et des autres. Autrement dit, j'en ai assez de ce débat.
    Si M. Baril nous répond quelque chose qui témoigne d'une compréhension ou d'une analyse anthropologique, peut-être je regagnerai espoir que ce débat (partout sur Internet, dont sur Le Devoir actuellement) peut donner quelque chose.

  • Jean Archambault Répondre

    13 janvier 2010

    La notion d'individu ne peut être dissociée de la fonction lorsque une personne exerce son métier ou sa profession au sein de l'État. Qs tente de limiter les dommages en excluant les juges et d'autres agents de l'État. Or cette discrimination ferait que nous aurions deux types de fonction dans l'État: les fonctions excluant les signes religieux et les autres qui auraient le droit d'en porter. Imaginons le fouillis qu'une telle proposition produirait. Par exemple, l'intervenante de la DPJ qui évalue une famille suite à un signalement a des pouvoirs très importants et peut aussi se retrouver au Tribunal dans n'importe quelle situation. Peut-elle porter le voile lors de sa visite à la maison ? Peut-elle porter le voile lorsqu'elle se présente au Tribunal pour demander une mesure judiciaire?
    Qs base cette proposition sur une vision légaliste et individualiste des rapports entre agents de l'État, citoyens et femmes. En outre, si le hijab est acceptée, pourquoi pas la burka !! Celle qui le portera affirmera qu'elle le fait pour des motifs religieux et que ce choix doit être accepté au même titre que le hijab. Nous n'en sortirons jamais. Il est étonnant QS se fasse le défendeur des femmes à voile alors que de nombreuses musulmanes nous prient de ne pas céder aux exigences des conservateurs religieux.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 janvier 2010

    Bonjour,
    Certes, mais il y a une différence entre
    a) ses opinions/valeurs quant aux religions
    et b) imposer une interdiction par la force de la loi.
    QS ne dit pas, d'aucune façon, que l’hijab est sans problème ni que les religions conservatrices sont à tolérer sans critique. Les membres hésitent toutefois à appuyer des lois qui excluraient de la fonction publique toute personne portant des vêtements considérés religieux (hijab / foulard sur les cheveux, kippa juive, turban, etc.). (je partage les résolutions originales ci-dessous)
    Aussi, quand on lit les commentaires sur Internet, on ne peut pas nier qu'il y a des motivations ethnocentriques, de choc culturel (qualifiées, un peu de mauvaise manière, de racistes) et de peur derrière le fait de cibler l’hijab. Dans certains commentaires, parfois publiés dans les journaux, des gens déclarent (et je n'exagère pas leurs propos) que l’hijab est le fer de lance de l'islamisme (lire: théocratique) qui vise à «dominer le monde» (sic, opinion dans le journal Le Soleil de cette semaine).
    Ça va loin en maudit. Il y a des dérapages et oui les conflits États-Unis/monde arabe influencent nos perceptions. Sauf que M. Renaud a utilisé un style qui porte des jugements et a donc fait réagir les gens qui veulent interdire les signes religieux mur à mur dans la fonction publique; et c'est légitime de réagir. Ce n'était pas une lettre très diplomatique pouvant éclairer le débat (le point de vue de M. Renaud n'est pas si marginal non plus, mais il a manqué de compréhension quand à la position adverse).
    En conclusion, tant chez la position voulant interdire que la position voulant tolérer pour des raisons d'intervention sociale / intégration, il y a des gens honnêtes, féministes, progressistes, antiracistes, etc. La lettre de M. Renaud a accentué un peu le mépris entre ces deux groupes. Au-delà du débat honnête, il ne faut pas nier du coup qu'il y a des formes de racismes et de nationalismes ethniques exprimés parfois dans ce débat. Il faudrait réussir à retourner à un débat démocratique plus concret et respectueux sur cette question.
    * * *
    Dans les débats récents sur les positions de Québec solidaire concernant la laïcité, on a prêté bien des positions et beaucoup d’intentions à QS. Nous rappelons ici les positions réellement adoptées à son dernier congrès.
    «Décision1 : Nous voulons vivre dans un Québec laïque qui consacre la séparation des institutions religieuses et de l’État. Ainsi, Québec solidaire propose un modèle de laïcité conçu comme la combinaison de la neutralité des institutions publiques sur le plan des croyances (incluant le scepticisme et l’incroyance) avec la liberté pour l’individu d’exprimer ses propres convictions, dans un contexte favorisant l’échange et le dialogue. Le processus de laïcisation des institutions du Québec n’est toujours pas terminé. L’avancement de ce processus dépend autant d’une politique d’état claire que d’une volonté de l’ensemble de la société d’établir sans concession et de façon définitive la neutralité de l’État sur le plan de la religion. L’État étant laïque, les signes religieux ne sont pas admis dans les institutions publiques.
    Décision 2 : C’est l’État qui est laïque, pas les individus. Le port de signes religieux est accepté pour les usagers et usagères des services offerts par l’État. En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instruments de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. Le port de signes religieux peut également être restreint s’ils entravent l’exercice de la fonction ou contreviennent à des normes de sécurité.
    Décision 3 : Mettre en dépôt cette question (la proposition sur le non-financement des écoles confessionnelles ou de toute activité religieuse) jusqu’à un débat plus vaste lors d’un congrès à venir sur l’éducation ainsi que sur les politiques de subventions de l’État.
    »
    ( source: le lien ci-dessous )

  • Yves Claudé Répondre

    12 janvier 2010

    Je souscris entièrement à cet exposé très clair de Daniel Baril sur le point de vue de « Québec Solidaire » et … les accommodements déraisonnables.
    Il reste à opérationnaliser politiquement cette orientation :
    -En soutenant le Mouvement laïque québécois :
    http://www.mlq.qc.ca/
    -En amenant l’État québécois à légiférer pour instituer une modernité laïque complète dans la société québécoise. Ce qui apparaît très simple en principe, est stratégiquement complexe et ardu ! Face aux structures dominantes de l’État « fédéral », la laïcisation de l’État québécois apparaît d’emblée comme une entreprise de libération nationale.
    Il est évident que le gouvernement du PLQ est trop inféodé au communautarisme anti-laïc pour assumer une telle tâche. On se souviendra de l’affaire des subventions à 100% aux écoles privées juives à l’hiver 2005 …
    Dans une perspective de réélection du PQ, ce parti saurait-il mobiliser l’ensemble des forces progressistes pour mener à bien cette laïcisation de l’État québécois ? Cela impliquerait une situation nettement conflictuelle avec l’État « fédéral » (avec sa charte affirmant la « suprématie de Dieu » …), et il faudrait que la société québécoise impose sa propre légitimité : on se trouverait ainsi dans un processus clairement associé à celui de l’indépendance nationale.
    Il apparaît manifestement, dans les orientations du congrès de « Québec Solidaire », que cette organisation est opposée à une réelle laïcisation de l’État québécois.
    J’ai montré que la structure idéologique de QS est semblable à celle de certaines extrêmes-droites, et en particulier à celle d’un réseau néo-maccarthyste mondialisé à dominante sioniste :
    http://www.vigile.net/Contre-le-neo-maccarthysme-de
    … voir par exemple :
    http://www.upjf.org/incitation-haine/article-4504-109-1-diabolisent-israel-en-font-essence-mal-schecter.html
    La culture institutionnelle de QS, encore imprégnée d’un néo-stalinisme qui se manifeste dans la manière dont cette organisation gère actuellement sa crise interne du débat sur la laïcité, est de plus profondément marquée par une idéologie individualiste postmoderne qui se cristallise socialement dans un multiculturalisme communautariste. Ces fondements idéologiques contredisent absolument les slogans modernistes que QS agite par ailleurs.
    Cette postmodernité multiculturaliste révèle aussi sa dimension objectivement raciste lorsque des cadres du parti mettent de l’avant des normes légales relatives aux caractéristiques physiques des individus :
    « Nous proposons aussi que la Loi électorale contienne des mesures contraignantes et incitatives (financières et autres) pour accroître la représentation de personnes immigrantes et des minorités visibles. » (F. Saillant - S. Lessard)
    http://programme.quebecsolidaire.net/contributions/les_communautes_culturelles_et_l8217immigration_7
    Comme on le voit, QS a plus d’un « squelette dans son placard », et ses membres devront, soit couler avec le navire en chantant que « tout va très bien et que l’on suit la ligne juste », ou remettre en question radicalement à la fois un héritage néo-stalinien incapacitant, et une culture postmoderne multiculturaliste qui agit comme agent désintégrateur des mouvements sociaux et des sociétés.
    Yves Claudé - le 12 janvier 2010
    ycsocio@yahoo.ca