Laïcité : le projet du PQ est nettement insuffisant

Laïcité — débat québécois



On ne peut que se réjouir que le Parti québécois et Québec solidaire aient chacun de leur côté conclu, le 22 novembre dernier, que la laïcité devait être établie comme l'une des valeurs fondamentales du Québec et que cela devait être inscrit dans une loi.
Le Parti québécois a même déposé devant l'Assemblée nationale un projet de loi à cette fin. Mais ce projet de loi est loin d'atteindre les objectifs visés et de répondre aux attentes de la population. D'une part, on est tout de suite étonné de constater que le mot «laïcité» n'y est même pas utilisé. Le document propose plutôt d'ajouter dans le préambule et dans l'article 50.1 de la Charte des droits et libertés de la personne que «la séparation entre l'État et la religion» est l'une des «valeurs fondamentales de la nation québécoise».
La séparation de l'État et de la religion n'est pas en soi une valeur, mais une règle de fonctionnement constituant un corollaire de la laïcité de l'État. C'est la laïcité qui constitue la valeur à affirmer dans la charte et c'est cette valeur qui doit guider l'interprétation de la charte.
Dans un récent colloque de l'Association du Barreau canadien, Me Julie Latour, ex-bâtonnière du Barreau du Québec, présentait la laïcité comme «une valeur publique fondatrice du Québec moderne et source de cohésion sociale». Voilà une définition citoyenne de la laïcité qui pourrait être incluse telle quelle dans la charte.
Mais même en inscrivant de façon explicite le caractère laïque de l'État et de ses institutions, cela ne saurait être suffisant puisque rien n'empêcherait les tribunaux d'interpréter cette laïcité dans le sens de la «laïcité ouverte», orientation qui aurait été, selon le rapport Bouchard-Taylor, adoptée par le Québec. Une telle interprétation de la laïcité ne ferait que maintenir le statu quo inacceptable aux yeux de la vaste majorité de la population. Soulignons que les deux coprésidents de la commission sur les accommodements raisonnables se sont dits favorables à l'inscription du principe de la laïcité dans une loi, ce qui ne les a pas empêchés de produire un rapport qui constitue la bible de la «laïcité ouverte».
Le meilleur exemple de l'insuffisance d'une simple inclusion du principe de laïcité dans une loi nous est donné par la France. Même si la Constitution française stipule que «la République est laïque», le gouvernement français a jugé nécessaire, en 2007 et après la publication du rapport Stasi, d'adopter une Charte de la laïcité dans les services publics qui établit les balises à observer et à respecter dans ses institutions. Cette charte précise notamment que «tout agent public a un devoir de stricte neutralité» et que «le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l'exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations». En clair, cela signifie l'interdiction de tout signe religieux de la part des employés de l'État.
L'adoption de cette charte a été rendue nécessaire parce que la France était aux prises avec le même genre de demandes d'accommodements religieux dans les écoles et les hôpitaux que ceux que l'on a connus au Québec. En plus d'inscrire le principe de la laïcité dans la Charte des droits et libertés, il faudra donc effctuer le travail en adoptant une véritable Charte de la laïcité qui ferme la porte à ce faux concept de «laïcité ouverte».
Quel patrimoine?
Le document du Parti québécois renferme une autre formulation malheureuse, et même dangereuse: il vise à ce que la Charte des droits soit «interprétée de manière à tenir compte du patrimoine historique du Québec». On sait à quoi nous a conduits une telle notion: au maintien du crucifix à l'Assemblée nationale apposé par Duplessis pour marquer son alliance avec l'Église catholique, mais présenté de façon révisionniste comme un objet du patrimoine historique!
Contrairement aux dates de certains congés ou au nom des jours de la semaine dont on peut faire abstraction du sens religieux originel et qui font partie du patrimoine collectif, il n'est pas possible de voir autre chose qu'un symbole religieux dans un crucifix, et cela ne peut être un objet du patrimonial national. Rien ne dit que la référence au patrimoine demandée par le PQ, qui n'a pas vraiment raison d'être, ne sera pas utilisée à des fins de même type qui conduiront à anéantir la portée de la laïcité.
Québec solidaire a lui aussi critiqué cet élément du projet du PQ pour la même raison. Mais Québec solidaire a aussi applaudi le rapport Bouchard-Taylor et sa notion de «laïcité ouverte». Aucun de ces deux partis ne semble donc avoir une vision claire et cohérente de ce que devrait être un État laïque. Même si l'idée horripile par ailleurs le gouvernement Charest, qui a jusqu'ici agi en naufrageur de la laïcité, on ne pourra donc faire indéfiniment l'économie d'un livre blanc sur la laïcité.
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Daniel Baril - Anthropologue et militant laïque

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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