Québec a annoncé son intention d’interdire le fameux «Bonjour-Hi» dans les commerces et services publics, une formule bilingue courante à Montréal. Bonne idée ou coup d’épée dans l’eau? Nic Payne, analyste politique et Claude Simard, linguiste et professeur honoraire de l’Université Laval, font le point sur ce projet pour Sputnik.
Vers une autre grande querelle linguistique au pays de l’érable?
Le 4 septembre dernier, le très en vue ministre québécois de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a annoncé qu’il comptait interdire la formule de salutation «Bonjour-Hi» dans les commerces et services publics. Le gouvernement Legault étudie donc la possibilité d’imposer le simple «Bonjour» à toutes les sociétés d’État et commerces privés du Québec accueillant des clients.
«Les gens souhaitent être accueillis en français dans les différentes entreprises, dans les différents commerces, mais aussi par l’État québécois. Alors, ça fait partie de la réflexion», a déclaré le jeune ministre lors d’un point de presse à l’Assemblée nationale du Québec.
La mesure viserait donc à renforcer le français au Québec et en particulier dans la métropole de Montréal, où son recul est observé au profit de l’anglais. Une mesure coercitive à laquelle le Premier ministre sortant, Justin Trudeau, hésite à donner son appui pour des raisons stratégiques et idéologiques. Rappelons que Trudeau n’écarte toujours pas la possibilité de faire contester la loi québécoise sur la laïcité, s’il est réélu le 21 octobre prochain. Le Premier ministre canadien semble de plus en plus entretenir une relation conflictuelle avec le gouvernement nationaliste de François Legault.
«Nous allons toujours défendre les droits, y compris les droits linguistiques, de tout le monde à travers le pays. […] On est curieux de voir comment le gouvernement provincial légiférerait sur une telle chose», a commenté Trudeau, le 6 septembre dernier, en pleine campagne électorale.
Selon Nic Payne, analyste politique et animateur de radio montréalais, la mesure apparaîtrait malgré tout comme un mal nécessaire. M. Payne anime notamment l’émission Sociétés sur les ondes de Radio VM, à Montréal.
«On est obligé de trouver qu’il s’agit d’une bonne nouvelle… Il est évident que cette mesure aurait quelque chose d’un peu désespéré et caricatural. C’est quand même étrange de devoir en venir à légiférer sur la façon dont les gens s’expriment. De l’autre côté, on est forcé de constater que le Bonjour-Hi est illustre l’emprise grandissante de l’anglais sur la métropole», a expliqué Nic Payne au micro de Sputnik.
Militant souverainiste de longue date, M. Payne estime qu’un Québec indépendant n’aurait pas nécessairement besoin de telles mesures pour protéger son identité. En revanche, il considère que l’anglicisation de Montréal est un problème sérieux auquel l’État québécois doit maintenant s’attaquer. Il reconnaît aussi que cette interdiction pourrait être très mal perçue ailleurs dans le monde:
«Bonjour-Hi ouvre la porte à Hi-Bonjour et à Hi tout court ensuite. En ce sens, le projet du ministre est cohérent pour les gens souhaitant protéger l’identité québécoise. […] Par ailleurs, c’est vrai que ce genre de projet pourrait envoyer une image négative du Québec à l’international: les médias vont s’en donner à cœur joie. Mais pouvons-nous faire autrement? Tous les peuples dominés qui essaient de prendre leur place dans le monde sont tôt ou tard confrontés à de sévères jugements», observe-t-il.
Linguiste renommé et professeur honoraire de l’Université Laval, à Québec, Claude Simard est plus critique face au projet. Ancien doyen de la Faculté des sciences de l’éducation de cette université, M. Simard a publié des grammaires et des dizaines d’articles scientifiques sur la langue française.
«Ce projet de loi est symptomatique d’une société qui n’a pas vraiment su affirmer sa langue dans l’histoire récente. C’est un aveu de faiblesse sociolinguistique de la part des Québécois francophones. […] Le ministre Jolin-Barrette est rempli de bonne volonté, mais ne prend pas les bons moyens pour parvenir à ses fins. Le ministre a des allures de Don Quichotte: il s’attaque à des moulins à vent», a tranché Claude Simard.
Cet expert considère aussi que la loi irait à l’encontre du fonctionnement même des langues, lesquelles reposeraient avant tout sur des «normes» et non sur la «coercition». Par le fait même, il estime que le projet serait concrètement inapplicable.
«L’une des grandes caractéristiques des langues est leur pouvoir de variation. Les langues reposent sur des normes, mais celles-ci ne sont jamais aussi rigides. On voudrait nous faire croire qu’il n’existe qu’une seule façon de s’exprimer et de saluer les gens. […] C’est une mesure futile et impossible à appliquer. Allons-nous mettre en place une police du Bonjour-Hi?», ironise le professeur honoraire.
Pour défendre le français, Claude Simard est plutôt d’avis qu’il faudrait le revaloriser à l’école et améliorer son image. Malgré son appui au projet, Nic Payne estime aussi que l’avenir du Québec français ne peut seulement dépendre de lois.
«Il faudrait plutôt essayer d’améliorer la relation des francophones à leur propre langue. Le français n’est pas synonyme de fermeture sur le monde. Il faudrait commencer par apprendre aux élèves et rappeler à la population que le français a toujours été une grande langue, notamment sur le plan littéraire […] C’est folkloriser la langue française que de la réduire à des interdictions», a conclu Claude Simard.
Le ministre Jolin-Barrette n’a pas encore dévoilé les détails de ce nouveau projet controversé. Les Québécois devraient en savoir plus dans les heures ou les jours à venir.
*12h30 UTC−05:00 - le ministre Simon Jolin-Barrette a annoncé qu'il renonçait finalement au projet.