Québec bafoue la Charte de la langue

L'État communique en anglais avec des entreprises établies au Québec

Christine St-Pierre - la marionnette d'un gouvernement qui ne respecte pas la loi 101

Québec -- L'administration publique québécoise bafoue allégrement la Charte de la langue française en communiquant et en transigeant en anglais avec des entreprises établies au Québec.
En cette ère du gouvernement en ligne, Revenu Québec, Investissement Québec et l'Autorité des marchés financiers (AMF), sur leurs sites Internet respectifs, mettent à la disposition des entreprises des guides, des dépliants explicatifs et leurs principaux formulaires à la fois en français et en anglais. Dans les faits, les entreprises québécoises de langue anglaise peuvent transiger en anglais avec le gouvernement.
«Si on suivait vraiment la politique, les communications avec les représentants des personnes morales situées au Québec devraient se faire en français», a rappelé le porte-parole de l'Office québécois de la langue française (OQLF), Gilbert Paquette.
En vertu de la Charte de la langue française, dont l'application est balisée par la Politique gouvernementale relative à l'emploi et à la qualité de la langue française dans l'administration, qui remonte à 1996, le gouvernement et ses organismes peuvent communiquer par écrit dans une langue autre que le français, c'est-à-dire l'anglais, avec des personnes physiques mais pas avec des personnes morales établies au Québec ni avec leurs représentants. Par personnes morales, on entend les entreprises incorporées (les sociétés par actions), les individus qui exploitent une entreprise enregistrée, les sociétés de professionnels (comptables, avocats, etc.), les coopératives et les associations.
Pour obtenir des documents du gouvernement et remplir les formulaires, la quasi-totalité des entreprises utilisent les sites Internet des ministères et des organismes. Selon les directives de l'OQLF, pour accéder à la version anglaise des sites Internet du gouvernement, on doit obligatoirement passer par la page d'accueil du site en français, ce qui est le cas. En outre, le site en anglais doit être une version allégée du site en français. «Le site en anglais doit être un résumé et non pas un miroir», a dit M. Paquette en guise d'illustration.
Or, que ce soit chez Investissement Québec ou à l'AMF, c'est l'ensemble du contenu du site en français qui se retrouve dans la version anglaise. Dans le cas de Revenu Québec, c'est la quasi-totalité des guides et des formulaires qui sont disponibles en anglais.
Tant chez Investissement Québec qu'à l'AMF, on a fait valoir que cette grande place accordée à l'anglais s'explique par la clientèle de ces organismes, qui provient tant du Québec que de l'extérieur de la province. La Charte de la langue française permet en effet à l'administration publique de communiquer en anglais avec les entreprises établies à l'extérieur du Québec. Mais cette communication en anglais devrait être réservée aux entreprises hors Québec.
«Ce sont des documents qui sont disponibles autant pour l'Albertain, l'Ontarien ou le Québécois. C'est un site Internet qui est accessible à tout le monde», a signalé le porte-parole de l'AMF, Frédéric Alberro.
Même les formulaires de l'AMF destinés aux entreprises d'ici sont disponibles en anglais. «Les entreprises peuvent utiliser la langue de leur choix pour compléter les formulaires», a-t-il indiqué. En revanche, permis, avis et décisions ne sont diffusés qu'en français. De même, les informations destinées aux marchés, tels les prospectus, doivent obligatoirement être rédigées en français par les entreprises.
«Tout élément qui peut faire pencher la balance pour qu'un investisseur décide d'investir, partout où il y a de l'information, c'est important que ce soit disponible aussi en anglais pour toute notre clientèle anglophone. Et on en a beaucoup», a fait valoir la porte-parole d'Investissement Québec, Josée Béland. Dans 80 % des cas, cette agence gouvernementale fait affaire avec des filiales québécoises de sociétés étrangères, surtout américaines, a-t-elle précisé. Mais la Charte de la langue française s'applique aussi aux filiales d'entreprises étrangères, a signalé M. Paquette.
Pour sa part, Revenu Québec propose aux entreprises le service Clic Revenu en français et en anglais, ce qui leur permet d'accéder en ligne à leur dossier de retenues et de versements de taxes. On considère que les particuliers qui exploitent une entreprise enregistrée ne sont pas des personnes morales au sens de la Charte: ils ont accès aux services en anglais parce que, par ailleurs, comme individus, ils ont le droit de se faire servir en anglais, a-t-on expliqué.
En outre, la plupart des formulaires en ligne destinés aux entreprises sont traduits en anglais, selon la formule de la «traduction de courtoisie», autorisée par la Charte. En principe, ces traductions ne sont produites que pour les entreprises hors Québec, a rappelé M. Paquette. Revenu Québec ne fait pas cette distinction.
L'usage exclusif du français peut avoir de graves conséquences, a signalé la porte-parole de Revenu Québec, Linda Di Silva. «S'il y a une incompréhension de leur part à cause de l'usage de la langue [...], ça peut avoir des conséquences très lourdes pour les entreprises et pour le gouvernement.» Quoi qu'il en soit, Revenu Québec a l'intention de réduire graduellement le nombre de guides fiscaux en anglais à l'usage des entreprises.
Les entreprises peuvent remplir leur déclaration fiscale grâce à un formulaire électronique, mais celui-ci n'est actif qu'en français seulement. Qu'à cela ne tienne: des entreprises de logiciels d'impôt, dont la firme Dr Tax, permettent de contourner cette difficulté. Avec la collaboration de Revenu Québec et sa certification, des firmes comme Dr Tax offrent aux entreprises un logiciel leur permettant de remplir un formulaire électronique en anglais qui parviendra en français à Revenu Québec. Pour l'entreprise, c'est donc comme si le français n'existait pas. «Notre expérience avec Revenu Québec a toujours été extrêmement positive. Ils sont très innovateurs», a affirmé Joanne Birtch, vice-présidente au marketing et au développement des affaires chez Dr Tax.
Cette pratique suscite des réserves à l'OQLF. «Ça évite aux fonctionnaires québécois de recevoir le document en anglais, mais ça n'envoie quand même pas le message à l'entreprise que la langue de communication publique au Québec, c'est le français», a fait observer Gérald Paquette.
D'autres organismes gouvernementaux communiquent en anglais avec des entreprises établies au Québec. C'est le cas notamment de la Commission de l'équité salariale. En revanche, le site Internet du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, qui s'adresse pourtant à des entreprises hors Québec, est beaucoup plus fourni en français qu'il ne l'est en anglais.
«Nous avons maintes fois présenté la politique linguistique, mais à savoir si tout le monde la respecte dans son ensemble, ça, c'est autre chose. C'est pour ça qu'on est toujours là», estime le porte-parole de l'OQLF. «On est les directeurs spirituels linguistiques des organismes; il y a quelques rappels à faire régulièrement.»


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