Quand trop c’est pire que pas assez

Chronique d'André Savard


René Lévesque a écrit son livre sur la souveraineté-association avec l’idée que la population québécoise souhaitait un voisinage pacifique, une transition sans turbulence et des accords spécifiques notamment sur la monnaie. On était en pleine guerre froide. Un pays nouveau était nécessairement intégré soit au bloc de l’Est, soit de l’Ouest car on doutait de la neutralité des non-alignés.
Dans la population, on se demandait quelles seraient les conséquences en cas de représailles de la part du Canada. Ce dernier allait-il faire pression sur les Etats-Unis pour entériner l’exclusion économique et politique du Québec? En un tel cas, le choix se bornait-il pour nous, Québécois, entre la domination anglo-saxonne et la domination russe?
René Lévesque avait comme défi de démontrer que le Québec pouvait devenir un pays intégré, accepté pacifiquement, tout en gardant les attributs de sa souveraineté. Le mot d’ordre chez les fédéralistes était de nier mordicus cette possibilité. Ce mot d’ordre n’a d’ailleurs pas changé.
Ils réitèrent fréquemment qu’advenant la séparation, c’est l’unique terme qu’ils utilisent, le Québec ne pourra pas compter sur l’amitié du Canada. Trudeau fut outré par la notion du Québec, partenaire amical. Il enjoignait les indépendantistes de ne jamais présenter le pays du Québec comme partenaire potentiel non seulement du Canada mais des pays civilisés. Quand le sénateur Jean Lapointe a écrit une chanson pour le compte du parti Libéral où il demandait « pourquoi des gens veulent faire de mon pays une Roumanie », il traduisait cette conviction que le Québec indépendant serait impuissant à se faire reconnaître comme partenaire acceptable.
Depuis très longtemps, on prend d’énormes libertés avec le passé. On écrit et réécrit que le partenariat est une notion introduite par Claude Morin. En fait c’est René Lévesque qui en a fait une des pièces maîtresses de son premier livre sur l’indépendance du Québec. Pour Lévesque, tant que les Québécois se feraient dire qu’il est impossible d’être à l’aise vis-à-vis des nations voisines hors de leur soumission actuelle, la crainte des représailles les rongerait et leur volonté de devenir enfin souverain s’en trouverait paralysée.
C’est tordre le cou à la vérité que de présenter le partenariat comme un effort de la Gendarmerie Royale pour contaminer l’idée d’indépendance. Dire que le Québec serait un partenaire responsable était un signe de capacité de liaison ouverte. Le but était de faire contrepoids aux commentaires unanimes du côté fédéraliste selon lesquels l’existence d’un Québec indépendant ne pourrait trouver son fondement que dans la marginalité.
L’indépendance du Québec ne peut pas se défendre auprès de la population comme s’il s’agissait d’une étymologie précieuse, un fleuron originel que l’on couve et que l’on met à l’abri des dilemmes. Lévesque a dit que le Québec serait indépendant et partenaire pour montrer que le pays du Québec existerait ouvertement dans le monde.
Autant le partenariat que le référendum font partie de l’avancée naturelle des idées pour répondre aux appréhensions de la population. Y voir des virus importés dans le but de contaminer la vérité indépendantiste, c’est oublier les remous d’opinion, les cheveux pris dans les grands courants d’air quand le parti Libéral faisait imprimer des dollars québécois à l’effigie de René Lévesque. Sera-t-on payé avec des pièces creuses qui valent encore moins que le zloty, se demandait-on?
Dans un tel contexte, le Parti Québécois ne savait trop s’il ne lui serait jamais possible de prendre le pouvoir. Josée Legault a déjà écrit qu’il avait été inutile de promettre un référendum dans l’intention de gagner des votes. Elle allègue que la simple règle de l’alternance aurait fatalement hissé le Parti Québécois au pouvoir. Elle oublie que l’étapisme a aidé le Parti Québécois a surclasser l’Union nationale. Rien ne dit que le Parti Québécois serait, sinon, parvenu à devenir le deuxième parti puis à s’imposer bien souvent par la suite comme le premier parti.
Il est vrai par ailleurs que Claude Morin a piloté le projet de référendum à la demande d’ailleurs de beaucoup de militants. En déclarant que le projet d’indépendance du Québec dépendrait du consentement de la population, on faisait obstacle à une croyance encore enracinée dans plusieurs couches de la population. Plusieurs redoutaient, dans les brumes de la guerre froide, de voir dans les rangs du Parti Québécois des communistes et des athées prêts à troquer la démocratie à la première occasion. On allait prouver que l’on était démocrate. On allait prouver que l’on sait gouverner une province avant de solliciter un mandat de faire l’indépendance.
Le fait était entendu. Ni Claude Charron ni Camille Laurin ne se sont sentis trahis dans ce processus. Les principales figures indépendantistes d’alors l’entérinaient. Le Parti Québécois n’est pas tombé dans la passe du magnétiseur. Il n’a pas été hypnotisé pour penser ce qu’il n’aurait jamais dû penser.
On a fait de Claude Morin une sorte monsieur Ratablavsky, ce personnage du roman Le Matou qui orchestre tout en cachette sous un nuage de poussières. Il ne lui manque que le feutre noir et la cape anthracite. Il aurait mené un cerveau collectif et manipulé tout le monde comme un chœur de sourds-muets. Dans un accès de sincérité, la Gendarmerie Royale du Canada l’aurait dénoncé parce qu’il aurait vraiment fait trop bien pour eux. Littéralement le monde à l’envers.
On peut être contre le référendum ou le partenariat, inutile cependant de l’entourer d’une ambiance de mystère subtropical, de sorcellerie et de danse vaudou. Les débats ont été menés dans les comtés, conduits dans les congrès régionaux et votés au grand jour. La façon très concrète de vivre la démocratie dans ce parti n’a pas changé d’un iota lors de leur adoption.
On devient pays indépendant pour agir par soi-même et pour ne plus être une nation contenue. Soit, nous sommes bien d’accord. Certains voudraient que l’on s’en tienne à cette charpente osseuse et que l’on dise que l’indépendance est une façon de totaliser son existence collective. On ne devrait plus parler que des effets de l’indépendance en soi et pour soi.
Parler des résultats des récentes expériences, le fait par exemple que Charest veuille faire du Québec une province modèle au sein du Conseil de la Fédération, équivaudrait à se transposer sur une scène qui n’est pas la nôtre. Bref, il faudrait occuper sa propre scène déduite logiquement. On passerait ainsi de la constatation de la situation présente à une explication autosuffisante de ce que l’on veut : l’indépendance et seulement l’indépendance. Pour cela il faudrait élaborer l’indépendantisme comme une connaissance exhaustive et l’exposer comme une matière supposée à nu devant notre esprit.
On en arrive à une sorte de scientisme censé remplacer la critique du Fédéral et les synthèses malvenues, lesquelles auraient poussé jadis les souverainistes à parler de l’insertion du Québec dans le monde. On ne devrait plus parler que des conditions initiales et terminales de l’indépendance comme d’une science qui dépend de son propre cadre expérimental et de ses propres principes. Il faudrait inventer un processus linguistique dissocié de l’état présent qui nous enserre; seulement traiter des conditions propres à être déduites de la logique indépendantiste.
L’ennui c’est que la parole a une origine expérimentale tirée du réel où on se trouve. Ce serait de l’indépendantologie qu’il leur faudrait inventer pour suivre un tel programme, du mot latin logos : discours. Il n’y a que des langages de pure forme qui partent de leurs principes pour ne plus parler que de leurs principes.
André Savard


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2 commentaires

  • Raymond Poulin Répondre

    19 août 2007

    Monsieur Savard,
    Le quasi-silence à propos de votre texte,publié voilà déjà une semaine, me semble probant. Il est parfois bien difficile pour des gens défendant une cause sacrée de ne pas se livrer à l'amalgame. Même Josée Legault, d'ordinaire plutôt raisonnable, n'a pas vu à quel point la thèse de Normand Lester comporte des trous, des approximations, des "preuves" souvent fondées sur des ragots ou des sources non retraçables.
    En ce temps maussade pour les indépendantistes, la tentation de séparer les "authentiques" des autres mène parfois à la purification historique et à la démonisation. Il est bien connu que les chevaliers d'une noble cause ne peuvent être, entre eux, en désaccord sur rien sans risquer de souiller la cause, et toute nuance constitue un désaccord. Le vrai chevalier sans peur et sans reproche doit être animé par le schème diaïrétique de la représentation. Je crains que nous en ayons pour plusieurs mois voire quelques années à supporter ce climat robespierrien (ou stalinien, au choix).
    Une histoire revisitée par les "authentiques" finira peut-être par être aussi bête et aussi niaise que la version épurée qu'on nous livrait autrefois à l'école primaire, où même les lucioles de la colonie contribuaient à notre mission catholique en terre d'Amérique. On remplacera alors les Iroquois par les "morinistes" et on finira par faire de Lévesque un Lafontaine, un Georges-Étienne Cartier ou même un porteur d'eau et un scieur de bois des Anglais.
    Comme quoi les agélastes de Rabelais lui survivront dans les siècles des siècles.
    Raymond Poulin

  • Raymond Poulin Répondre

    13 août 2007

    On a toujours tendance à récrire l'Histoire, à juger du passé en fonction de ce que l'on pense maintenant. On oublie que les catégories mentales et les motivations des acteurs d'un autre temps, et parfois lorsqu'ils vivent encore, n'étaient pas les mêmes que celles qu'on peut leur prêter en connaissant ce qu'ils ne connaissaient pas à l'époque, c'est-à-dire l'avenir, qui est devenu le passé; on fait de l'anachronisme. C'est en partie ce que Milan Kundera dit lorsqu'il parle des «chemins dans le brouillard» et de ce qu'il nomme «l'univers du procès», dans Les Testaments trahis. Beaucoup d'intellectuels du vingtième siècle ont passé la seconde partie de leur vie à faire cela: rien de plus pressé, par exemple, qu'un ex-communiste pour condamner tout ce qui a pu se faire à gauche, et rien de mieux qu'un ex-péquiste exalté pour prêter les intentions les plus malveillantes aux ténors historiques de son ex-parti, comme s'il y avait eu complot depuis le début.
    On peut, ainsi, n'être pas et n'avoir jamais été d'accord avec l'étapisme de Morin ou encore s'amuser de sa roublarde naïveté en ce qui concerne ses rapports avec la GRC, sans se croire obligé d'en faire un traître.
    Vous avez raison de rappeler, entre autres, que l'idée référendaire fut approuvée non seulement par ceux qui l'avaient proposée et par la très grande majorité des militants mais aussi par la population, qui revenait de loin. On oublie un peu trop facilement qu'en 1995, non seulement le référendum a-t-il obtenu un score de presque 50% (et 60% chez les Québécois français) mais également que, d'après l'estimé du DGE du temps, Pierre F. Côté, le score réel passe vraisemblablement le cap des 50%. Tous ceux qui ont suivi, depuis, les événements politiques ont leur petite idée là-dessus. Si, comme on dit, le référendum n'avait pas été perdu ou volé, ceux qui pestent aujourd'hui si fort contre le procédé référendaire le voueraient-ils à ce point aux gémonies? J'en doute fort. Au fond de tout cela réside le vieux réflexe primaire partagé par la plupart des humains: les perdants ont toujours tort; et s'ils font partie de ces perdants, ils cherchent des coupables et finissent par en trouver.
    Non qu'il n'y ait pas eu dans notre histoire quelques traîtres, vendus ou imbéciles, mais de là à tout fourrer dans le même sac, surtout lorsqu'on a vécu la période dont il est question, on se raconte des histoires pour se dédouaner d'avoir fait partie des perdants qui y ont cru. Un peu, au fond, comme ceux qui, enseignés, nourris et habillés par les Frères ou les Pères, ont pu ainsi se rendre à l'université mais n'ont cessé d'en dire pis que pendre depuis qu'ils se croient des affranchis, mettant dans le même sac le bon grain avec l'ivraie. Ceux-là devraient écouter plus souvent du Brassens, peut-être finiraient-ils par saisir que quelque chose de la condition humaine leur a échappé.
    Raymond Poulin