Old Harry

Quand les grands esprits se rencontrent

Cela n'a pas empêché la vice-première ministre d'accuser le PQ de vouloir faire disparaître les 800 emplois de la centrale. Argument démagogique, s'il en est un.

Énergie nucléaire - Gentilly


Thierry Vandal

Photo : Jacques Grenier - Le Devoir


Robert Dutrisac - Dans notre système parlementaire britannique, l'usage veut que le gouvernement et l'opposition défendent des points de vue divergents. Le gouvernement propose ou impose et l'opposition s'oppose. C'est dans l'ordre des choses. Mais il arrive parfois que les événements forcent le gouvernement, sans qu'il veuille l'admettre, à donner raison à l'opposition. De même, il arrive que l'opposition obtienne ce qu'elle réclame du gouvernement. Pour les deux camps, c'est une source d'embarras, le gouvernement répugnant à changer d'idée et l'opposition se voyant contrainte d'approuver son adversaire. Or c'est exactement ce qui s'est produit cette semaine à Québec.
«On doit se réjouir de cette entente pour les Québécois et Québécoises», a déclaré Pauline Marois lors de la période de questions à l'Assemblée nationale jeudi. L'objet de cette joie, c'était bien sûr la conclusion de l'entente sur le gisement pétrolier d'Old Harry. À ces mots, la chef péquiste a eu droit à une ovation... de la part des députés libéraux, ce qui, on en conviendra, est rarissime.
Non seulement les astres sont alignés, pour employer l'expression de la ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, mais la prophétie s'est réalisée. La chef péquiste a beau rappeler que cette entente survient bien tard ou que la frontière délimitée en 1964 sera soumise à l'arbitrage selon le bon vouloir de Terre-Neuve, rien n'y fera. Pauline Marois voulait une entente calquée sur celle signée en 1985 par Terre-Neuve pour Hibernia, et c'est ce que le gouvernement Charest a obtenu. L'opposition se trouve à court d'arguments: quand la chef péquiste a tapé sur ce clou à l'Assemblée nationale, on sentait bien que le coeur n'y était pas.
En revanche, c'est le gouvernement Charest qui s'est retrouvé, bien malgré lui, à se rapprocher de la position du Parti québécois en ce qui a trait à la réfection de la centrale nucléaire Gentilly-2.
Le président d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, est Monsieur assurance en personne. D'ordinaire, rien ne semble démonter cet homme qui a réponse à tout. C'est rayonnant de confiance qu'il a défendu à l'automne 2009, en commission parlementaire, la décision prise par Hydro-Québec de procéder à la réfection de la centrale au coût de deux milliards. Devant cet expert, les parlementaires ont toujours l'air de dilettantes, dans le meilleur cas, et de minus habens, la plupart du temps.
«Maintenant, pourquoi est-ce qu'on fait ce projet-là? Parce que c'est un bon projet», répondait simplement Thierry Vandal. Quant aux problèmes qui affectaient la réfection d'une centrale semblable située au Nouveau-Brunswick, Point Lepreau, il n'y a pas de souci: Hydro-Québec en tirera des leçons. «On va pouvoir tirer, là, beaucoup d'enseignements pour être capable de réaliser le projet dans les délais et dans les budgets prévus», soutenait le président qui a réponse à tout.
Autre opinion
Toutefois, neuf mois plus tard, Hydro-Québec a annoncé le report de la réfection de Gentilly-2 en raison des pépins survenus à Point Lepreau. En effet, ce projet a pris trois ans de retard et la note a grimpé de 50 %.
Remarquez que c'est avec la même assurance que Thierry Vandal soutenait en 2004 que le Québec, menacé par une pénurie d'électricité, ne pouvait se passer de la centrale au gaz du Suroît.
Or quand Thierry Vandal exprime ne serait-ce que l'ombre d'un doute, c'est qu'il y a pas mal d'eau dans le gaz. C'est exactement ce qu'il a fait cette semaine. «Hydro-Québec va fournir toutes les informations au gouvernement pour qu'une décision éclairée, réfléchie, puisse être prise sur le projet de réfection de Gentilly-2», a-t-il affirmé mercredi, en pesant soigneusement ses mots. Pour ceux qui savent déchiffrer la langue de bois technocratique, cela signifie que la décision prise par Hydro-Québec et le gouvernement de procéder à la réfection de la centrale ne tient plus. Si jamais le projet va l'avant, c'est qu'une nouvelle décision interviendra, basée sur des faits nouveaux.
Nathalie Normandeau a cité deux de ces faits. Le premier, c'est l'incertitude quant à la vente au secteur privé de la seule société capable de mener à bien une telle réfection, Énergie atomique du Canada. Seule SNC-Lavalin est en lice, les grandes sociétés étrangères du nucléaire ne voulant pas prendre le risque. Le deuxième de ces faits, c'est la technologie du réacteur. La technologie CANDU «a eu son heure de gloire», a-t-elle affirmé avec une candeur qui l'honore.
Cela n'a pas empêché la vice-première ministre d'accuser le PQ de vouloir faire disparaître les 800 emplois de la centrale. Argument démagogique, s'il en est un. D'une part, il y aura presque autant d'emplois pendant la fermeture de la centrale, son «déclassement», comme on dit dans le jargon, une opération qui s'étend sur plusieurs années. Fermer une centrale, ce n'est pas une sinécure: il faut retirer et entreposer l'uranium et l'eau lourde, démanteler l'équipement et bétonner le coeur du réacteur. Pour Gentilly-1, une centrale plus petite, les travaux ont duré près de dix ans. D'autre part, si la réfection de Gentilly-2 n'a plus de sens sur le plan économique, faut-il quand même aller de l'avant afin de préserver les emplois? Poser la question, c'est y répondre.
En décembre 2009, le PQ a pris position contre la réfection de Gentilly-2 en raison de son coût exorbitant. Si, pour des raisons économiques, le gouvernement Charest renonçait à la réfection de Gentilly-2, il se rendrait aux arguments de l'opposition officielle malgré la rhétorique déployée par les libéraux ces jours-ci. Il est d'ailleurs bon de rappeler que, lors de la campagne électorale de 2003, Jean Charest et son parti s'étaient prononcés contre le développement de l'énergie nucléaire. La cohérence semble aujourd'hui rattraper le chef libéral.
Qu'il s'agisse d'Old Harry ou de Gentilly-2, les positions des libéraux et des péquistes se rapprochent par la force des choses. Il en est de même de leurs positions respectives sur le gaz de schiste, après que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement eut forcé la main des libéraux.
Gageons toutefois que l'opposition officielle trouvera autre chose pour prendre ses distances du gouvernement libéral. Dans une entrevue donnée au Devoir lundi, Pauline Marois a parlé d'une nouvelle politique énergétique pour le Québec, politique qui reposera sur une «hiérarchisation» des filières, allant de l'efficacité énergétique, à promouvoir, au nucléaire, à bannir. Jean Charest, qui soigne pourtant son image verte, ne va pas jusque-là.


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