Projet RENIR: l’argent public jeté par les fenêtres

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Un scandale qui couve depuis une décennie

Rien ne va plus avec le système de communication d’urgence RENIR, lancé en 2002 et promis pour 2008. Non seulement les coûts vont atteindre le milliard, mais la SQ a suspendu la migration depuis mars, a appris notre Bureau d’enquête.


En tout, 55 % des postes de la Sûreté du Québec n’ont pas encore migré sur le Réseau national intégré de radiocommunications (RENIR).


Pourtant, en novembre 2015 le Centre de services partagés du Québec (CSPQ) et la SQ s’étaient entendus pour compléter « en 2018 » le transfert de la desserte policière sur RENIR.


Les ratés ont coûté cher. Il a fallu garder fonctionnel l’ancien réseau de communication, ce pour quoi la SQ a dû payer plus de 160 millions $ à Bell Mobilité depuis 10 ans. Ces sommes ne figurent d’ailleurs jamais sur la facture globale du RENIR.


Montants astronomiques


Pour la première fois, en entrevue la semaine dernière, le CSPQ a admis que RENIR avait coûté 780,3 M$ jusqu’à maintenant. Ce chiffre comprend les coûts d’investissement et d’exploitation nets de l’amortissement, mais pas ceux du maintien de l’ancien réseau de communication.


Si on additionne les deux qui continuent de croître, on peut conclure que RENIR aura coûté sept fois plus que prévu, soit bientôt 1 G$. Compte tenu de l’ampleur du dérapage, RENIR se positionne parmi les plus gros bordels informatiques de l’histoire du Québec. Il se compare à une autre dérive informatique : SAGIR (modernisation des vieux systèmes de gestion de l’État), qui avoisine le 1,2 G$, soit 15 fois plus cher que prévu initialement.


Brouillage


C’est en raison de « problématiques avec le réseau » que la migration vers RENIR a été suspendue, ont expliqué des sources bien au fait du dossier à notre Bureau d’enquête. Récemment, le Tableau de bord du gouvernement du Québec confirmait d’ailleurs cette information.


En entrevue, le CSPQ a précisé que « ces problèmes sont associés à des appels manqués, notamment en raison de la présence de zones de brouillage (sans réseau) affectant localement les communications et cela principalement dans des secteurs urbains ». L’organisme assure avoir réglé une partie des problèmes avec son « partenaire Motorola », lequel a obtenu plus de 570 millions $ en contrats depuis le début du projet.


Malgré les nombreux ratés, le CSPQ maintient que RENIR est un actif « robuste ». Il soutient que le transfert des activités de la SQ est beaucoup plus avancé que ce qu’indique le Tableau de bord du gouvernement du Québec. Il l’évalue à 70 % au lieu de 45 %.




QU’EST-CE QUE LE RENIR ?


Réseau de radiocommunication sans fil soutenant les services de communication de groupe (voix) sur le territoire du Québec pour plusieurs services, ministères et organismes. Par exemple : radiotransmission de données, enregistrement de voix, opération de géolocalisation.




Tout ça pour moins de 10 ans


Alors que RENIR a aujourd’hui 10 ans de retard, notre Bureau d’enquête a appris que l’espérance de vie de ce nouveau système de radiocommunication d’urgence est également évaluée à moins de 10 ans. Le gouvernement a accordé un contrat de 210,5 millions $ au géant des technologies Motorola afin « d’exploiter » le RENIR au cours des 10 prochaines années. Un document consulté par notre Bureau d’enquête souligne que « la fin du contrat coïncidera avec la fin de vie utile de l’équipement et des systèmes et, par conséquent, amènera une perspective de renouvellement technologique ». Selon le CSPQ, il s’agit d’un problème universel. « Ça va être la même chose partout ailleurs où on utilise de la technologie de réseau de transmission. Ça, c’est connu dans le monde », souligne Guy Rochette, vice-président aux services d’infrastructures du CSPQ.


Des têtes doivent rouler, disait Caire



PHOTO D'ARCHIVES, JEAN-FRANCOIS DESGAGNÉS


Éric Caire


Des congédiements et une « vérification interne » : voilà ce qu’Éric Caire avait réclamé en 2017, la dernière fois où Le Journal avait exposé les problèmes du projet RENIR.


À l’époque, il était porte-parole de l’opposition caquiste. « Des têtes doivent tomber », avait-il lancé. Il réagissait à l’embauche par la SQ d’un consultant privé à 200 $ l’heure pour gérer la « crise » liée aux ratés du RENIR. « On a engagé un consultant à grands frais parce que nos incompétents du CSPQ n’ont plus la confiance de la Sûreté du Québec », pestait-il. Fait à mentionner : Éric Caire est aujourd’hui ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale.


Une succession de ratés qui dure depuis 10 ans


Le Journal a révélé des ratés importants depuis la mise en service graduelle en 2008 :



  • Le déploiement du système a été suspendu à certains endroits



  • Des matériaux informatiques sont toujours dans leur emballage, et ce, 10 ans après leur achat



  • Enquête administrative en raison de 51 M$ d’appareils de radiocommunication inutilisés



  • Des radios et des terminaux ne sont plus garantis sans jamais avoir été utilisés



  • Les signaux radio ne traversent pas certains murs, risquant ainsi de mettre la vie des gens en danger



  • En raison des dangers, des ambulanciers ont fait des plaintes à la CNESST



  • Embauche par la SQ d’un consultant externe à 200 $ l’heure pour tenter de régler la « crise »



  • Projet de migration de la SQ suspendu



  • Retard dans la migration des services préhospitaliers d’urgence


BIENTÔT UN MILLIARD $


780 M$


Depuis 2009 pour les coûts d’investissement et d’exploitation nets de l’amortissement, soit quatre fois plus cher que prévu. L’investissement devait coûter 144 M$ et dépasse maintenant les 344 M$. Le CSPQ avait prévu 24 M$ d’exploitation par année et fixe aujourd’hui cette somme à 80 M$ par année. Inclus : nombreux services de consultants, droits d’auteurs, licences et logiciels, entretien et réparations, des amortissements et frais financiers, frais d’infrastructure technologique, les serveurs et des dépenses nécessaires à la réalisation du projet comme des ordinateurs, des téléphones, etc.


+ 160 M$


Pour maintenir en vie le vieux système de communication de la SQ en raison des ratés


Total de 940 M$


Cette somme dépassera le milliard dans les prochains mois en raison des ratés de la migration de RENIR à la SQ.


160 M$ POUR LE VIEUX RÉSEAU PARALLÈLE


Les ratés du RENIR ont été profitables à Bell, membre d’un consortium qui a récolté des millions $ en contrats de gré à gré pour maintenir fonctionnel l’ancien système, le RITP.


En 2008, au moment où le Réseau national intégré de radiocommunications (RENIR) devait devenir opérationnel, il en coûtait 1,5 million $ par mois de retard afin de maintenir le Réseau intégré de télécommunications policières (RITP), selon ce qu’avait précisé un haut fonctionnaire du Conseil du trésor lors d’une étude de crédits à l’époque.


La SQ a changé de cap


Or, dix ans plus tard, la SQ paie encore le consortium Bell Mobilité, Telus et Télébec pour le RITP. Une opération qui, en une décennie, aura coûté plus de 160 millions $ supplémentaires à Québec, a confirmé la SQ.


Toujours utilisé par la SQ, le RITP devait atteindre sa fin de sa vie utile en 2016, selon ce qu’indiquent des documents du Centre de services partagés du Québec (CSPQ) consultés par notre Bureau d’enquête. Son démantèlement est loin d’être complété.


La SQ aurait une grande part de responsabilité dans l’explosion des coûts et des retards dans la migration vers le RENIR : « Les demandes initiales de la SQ en 2002 étaient complètement différentes » de celles d’aujourd’hui, opine, sous le couvert de l’anonymat, un ex-employé du CSPQ.


Partenaire


Les dirigeants actuels du CSPQ ne comptent toutefois pas jeter la pierre à son « partenaire » policier, malgré les demandes d’ajout de matériel et l’augmentation de la desserte sur l’ensemble du territoire québécois. La modification de la Loi sur la police a forcé ces ajouts, note le CSPQ.