Pourquoi je ne porterais pas le voile

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«Pourquoi tiens-tu mordicus à afficher tes couleurs sur tes heures de travail?»

Aïcha Van Dun est enseignante au Cégep régional de Lanaudière. Elle s’adresse à Mme Elsy Fneiche, une psychoéducatrice montréalaise voilée dont les propos favorables au port de signes religieux dans la fonction publique ont été rapportés, au cours des derniers mois, par de nombreux médias québécois.
D’une éducatrice à une autre, j’aimerais te dire, Elsy, à quel point tes nombreuses interventions médiatiques entourant le projet de Charte des valeurs québécoises m’ont interpellée, notamment ton plus récent article intitulé « Pourquoi je porte le voile » (La Presse du 3 février dernier).
Ce titre, d’emblée, a piqué ma curiosité. J’ai tout de suite eu envie de comprendre ce qui te motive à porter le voile. Mais voilà, même en relisant attentivement ton article, je reste sur ma faim.
Tu nous dis que si nous t’avions posé la question à seize ans, tu nous aurais répondu « […] c’est pour Dieu, évidemment|! ». Tu nous dis aussi qu’aujourd’hui, le voile fait « surtout partie intégrante de [ta] personne », ce qui laisse entendre que tu ne laisserais jamais ton hijab à l’entrée de l’école où tu travailles. Tu nous rappelles aussi, à juste titre, que les justifications derrière le port de signes religieux sont variées. Enfin, tu termines en revendiquant le droit au « vivre et laisser vivre » et le droit « d’habiller [ton] corps au gré de [tes] envies ».
Mais au final, pourquoi tiens-tu mordicus à afficher tes couleurs sur tes heures de travail? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pas de la possibilité de faire ton jogging parée de ton stylé hijab aux motifs arc-en-ciel. Pas non plus de liberté d’expression, puisque tu t’exprimes régulièrement dans les médias.
Tu portes le voile par décence? Par pudeur?
« J’ai fait le choix de ne pas montrer mon corps par modestie. », expliquais-tu à Denis Lévesque, en t’empressant d’ajouter : « C’est moi qui définis ce qu’est la modestie. » Heureuse précision, parce que je t’avoue qu’en se basant sur la définition du dictionnaire Robert, on se disait que tu as, comme Dalila Awada, la modestie pas mal, comment dire… é-las-tique?
La seule de tes raisons qui me rejoint? Celle de tes seize ans. Et je vais sans doute te surprendre en te révélant que je crois en Dieu.
C’est dire qu’on trouve, dans le camp des procharte - preuve que la laïcité n’est pas une religion! – cette étrange bibitte que je suis :
une Québécoise de souche abitibienne par la mère, d’origine flamande par le père. Une croyante plus chrétienne que catholique au prénom arabe associé à l’Islam. Une féministe se rappelant souvent que si une religieuse sexologue comme Marie-Paule Ross peut s’exprimer librement au sein de l’Église catholique, tout n’est peut-être pas perdu pour les femmes au sein de cette Église. Une amoureuse du silence ravie de séjourner chez les moines. Une mère assez attachée à sa foi pour fréquenter une paroisse de Montréal, pour animer le parcours d’une dizaine d’enfants, pour prier avec une majorité de têtes blanches et, il faut le dire, d’un curé d’une ouverture rare.
Autant dire une espèce en voie de disparition.
Et puis je vais te faire un aveu : il m’arrive de porter une croix. Un signe discret, mais tout de même pourvu d’un sens religieux à mes yeux. Un signe qu’il m’est même arrivé de porter au travail. Une façon d’exprimer mon appartenance à une communauté de croyants. Après tout, cette quête du divin en moi et autour de moi, cette affection pour Jésus, cette identification aux valeurs évangéliques, n’est-ce pas une facette importante de mon identité?
Si j’étais née en Inde, je serais sans doute hindoue ou bouddhiste. Par soif de silence et d’introspection. Et si j’étais née en Afrique du Nord, je serais probablement musulmane. J’aurais alors à me questionner sur le voile et, ultimement, à me positionner puis à vivre, comme Natasha Ivisic (coréalisatrice du documentaire Je porte le voile), avec les conséquences de mon choix.
Je porte le voile ou non?
Si j’étais musulmane
Je pense que si j’étais musulmane, je serais d’abord engagée dans un questionnement. L’abbé Gravel, interviewé à Second regard, rappelait qu’« on ne peut être certain que Dieu existe comme on ne peut être certain qu’il n’existe pas. » Comme lui, je suis d’avis que la foi ne saurait être une certitude. La foi, c’est, intrinsèquement, une espérance. Et j’ajouterais que l’espérance n’est pas faite de dogmes, d’obligations de culte, de lois, de droits ou d’interdits. L’espérance est faite d’une grande part de doute. Ainsi, anti ou procharte, nous sommes habités de convictions, certes, mais nous faisons tous un pari. Cette prise de conscience ne force-t-elle pas l’humilité?
Cette question du doute me semble un enjeu central. Car l’affirmation de croyances religieuses rigoureusement strictes entraîne des dérives aux conséquences irréparables, ici comme ailleurs. Une personne dont la foi repose uniquement sur des prescriptions et des dogmes devrait nous inquiéter. Une peur réaliste (rien à voir avec la xénophobie) fondée sur des faits vérifiables (la multiplication des demandes d’accommodements par exemple) permet simplement d’anticiper ce qui pourrait se produire, dans un esprit préventif.
Je m’écarte? Pas vraiment. Car si j’étais musulmane, pour me brancher, il faudrait que j’évolue dans un environnement où le doute et les critiques sont tolérés. Pas évident. Supposons que j’aie cette chance, qu’est-ce que je ferais?
Pas si simple; exercer sa liberté intérieure n’est jamais une mince affaire. Se défaire de nos automatismes, de nos préjugés, questionner les idées reçues, prendre conscience de nos conditionnements et, j’ajouterais, interpréter le Coran, ça demande une sérieuse réflexion.
Si j’étais musulmane, je serais conditionnée par toutes sortes de choses et il faudrait m’arrêter pour évaluer ces choses : les idées de mon mari en matière de sexualité, l’héritage religieux de mes parents, les valeurs des voisins, de la famille élargie, l’enseignement religieux offert durant mes études (en supposant que j’aie eu accès à l’éducation), etc.
Suite à cet examen, est-ce que je porterais le voile?
Je ne pense pas, non.
Pour plusieurs raisons maintes fois formulées par les procharte.
Pour des motifs historiques (lire l’article de C. Le Moigne-Tolba, « Depuis quand les femmes doivent-elles porter le voile? », no 21 du magazine Ça m’intéresse Histoire).
Pour des motifs d’égalité hommes-femmes.
Pour toutes les raisons que nous donne l’une de nos grandes intellectuelles, Djemila Benhabib.
Mais surtout parce qu’en y réfléchissant bien, on comprend que la neutralité exigée est pleine de bon sens. Même mon fils de dix ans en a saisi l’essence, comme en témoigne son analogie :
« La neutralité de l’État, c’est comme au hockey. Quand on est arbitre, on ne porte pas le chandail de l’une des équipes. Même si on a une préférence. »
Elsy, quand je t’entends affirmer que si ton employeur exigeait que tu retires ton foulard, tu serais forcée d’abandonner ton emploi, je m’interroge. Est-ce que ton sentiment religieux est entièrement tributaire du signe qui l’exprime? Si oui, qu’est-ce que ça dit de ta foi? De la part de doute dans ta foi? Par ailleurs, serais-tu plus attachée à ton hijab qu’à tes collègues, qu’à ton milieu de vie professionnel? Plus attentive à ton image extérieure qu’aux besoins des jeunes?
Bien sûr que non.
Alors, dis-moi, si notre employeur nous demandait de retirer nos signes religieux sur nos heures de travail, ça menacerait notre foi?
Et si le projet de loi venait à passer, tu quitterais ton emploi? Vraiment?


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