Pour une vraie réforme de la gouvernance des universités

Université - démocratisation, gouvernance et financement



La campagne électorale terminée, le projet de loi n° 107 ou un frère jumeau risquent de réapparaître. Le projet soulève des réactions négatives dans le milieu universitaire, car il cerne mal les problèmes qu'il faut résoudre. Nombre des dispositions qu'il contient sont inappropriées, et certaines sont nocives.
Cela dit, l'intervention du gouvernement dans le fonctionnement des universités n'est pas à rejeter, car il y a d'authentiques problèmes que les pouvoirs publics pourraient contribuer à résoudre, pour peu que soient mis de côté les a priori, les simplismes et les recettes passe-partout. Nous verrons où le projet de loi fait fausse route et comment il pourrait être réaménagé.
Les universités doivent être responsables de la réalisation de leur mission spécifique et de l'emploi qu'elles font des deniers publics. Le devoir de responsabilité et l'exigence de reddition de comptes vont de pair avec la nécessité d'autonomie. Il n'y a pas d'incompatibilité.
Les réactions négatives qu'a suscitées le projet tiennent autant à ses présupposés qu'à ses propositions concrètes. On sait que le contribuable fera les frais des déboires financiers de l'UQAM, dus à des dérives immobilières. Telle est l'origine du projet de loi. Le problème est que le remède est sans rapport avec le mal.
Le projet de loi est un calque du rapport Toulouse, parrainé par deux écoles de commerce et issu de la pensée managériale. Au lieu d'aller à la source des erreurs commises à l'UQAM, le rapport impose un schème préconçu et fondé sur le mode de gestion des entreprises. Passant outre à la finalité des universités et la culture universitaire, il leur transpose le modèle du milieu des affaires. Greffe contre-nature, car le monde de l'enseignement et de la recherche ne peut fonctionner comme une usine de conserves.
Même si le journal Les Affaires assimile les universités à des sociétés cotées en Bourse (20 septembre 2008, p. 14), le concept de rentabilité y est inapplicable, les recteurs ne sont pas des p.-d.g. et les conseils d'administration ne sauraient détenir tous les pouvoirs, car l'université n'est pas la propriété d'actionnaires envers lesquels ils seraient comptables.
Il est regrettable que les mécomptes de l'UQAM soient exploités pour actualiser un projet idéologique. L'occasion devrait plutôt servir pour mettre en oeuvre une authentique réforme qui répondrait aux besoins de l'université.
Une analyse contestable
Le projet de loi repose sur l'idée que l'autogestion serait une cause de mauvaise gestion. La solution préconisée est de remettre la direction des universités à des administrateurs non universitaires. Ces externes (issus surtout du milieu des affaires) occuperaient les deux tiers des sièges des conseils d'administration. Les pouvoirs des conseils seraient très étendus, faisant d'eux le principal centre de décision. Une concentration sensible du pouvoir s'opérerait au profit d'une couche de cadres qui dirigeraient les universités sans en faire partie. Les instances représentatives seraient soumises à ces administrateurs tout-puissants venant de l'extérieur.
La disposition fait fi de l'expérience vécue des universités québécoises où les administrateurs externes ont déjà la majorité dans cinq conseils et constituent plus d'un tiers de quatorze. Leur présence n'a empêché ni les déficits ni les dérives immobilières. N'ayant pas le temps de suivre les dossiers, ils se fient aux dirigeants de l'université. Le contrôle et l'apport sont illusoires. À l'UQAM, les réserves au sujet des aventures immobilières sont venues des membres internes. L'expérience dément le préjugé voulant que les internes ne peuvent que défendre des revendications sectorielles. Elle démontre qu'ils sont aptes à agir comme fiduciaires de l'intérêt général.
La réalité est éloignée de la prémisse du projet de loi. Ce dont souffrent les universités est la faiblesse des mécanismes de contrôle par les instances élues. Chargées de définir les grandes orientations, elles demeurent essentiellement consultatives. Quand elles sont informées, c'est souvent après que les décisions ont déjà été prises par les dirigeants.
Parallèlement, le sous-financement par l'État induit les universités à s'arracher les «clientèles» étudiantes, à délocaliser des annexes sur les plates-bandes des «concurrents», à s'adonner aux fantaisies foncières comme atouts pour attirer, et à dévier vers la promotion immobilière. D'où la multiplication des chantiers «pharaoniques» et des Taj Mahal, décidés par les dirigeants, avalisés par des conseils où siègent des administrateurs externes et non soumis aux instances élues.
Remettre tous les pouvoirs aux conseils et rendre les externes prédominants dans les conseils n'est pas sans danger. La concentration des pouvoirs entre des mains externes à l'institution délégitimera entièrement le processus décisionnel. Les décisions seront vécues comme des diktats émis par des étrangers, et leur application donnera lieu à des tensions.
Appelés à gérer l'université comme une entreprise, les administrateurs externes la mettront sur la voie de la privatisation. De service public, elle deviendra une société d'État, comme l'entend le rapport Toulouse, puis une société tout court. Programmes «non rentables», disciplines fondamentales et recherches sans but lucratif passeraient à la trappe au nom d'une saine gestion. Approuvée par le Conseil du patronat du Québec et quatre recteurs, l'augmentation des droits de scolarité ne fait pas de doute.
Oui à une réforme
L'université est une institution dont la mission d'avancement et de diffusion des connaissances appelle des équilibres délicats et découle de valeurs qui lui sont propres. Toute remise en cause pourrait tarir la contribution que font les universités à la collectivité.
La gouvernance des universités mérite d'être soumise à un examen. Loin de concentrer davantage le processus décisionnel, il convient de l'élargir dans le sens de l'inclusion et de la collégialité. C'est ainsi que se réaliserait une véritable réforme.
Les administrateurs externes ont un rôle positif à jouer dans la mesure où ils accompagnent les instances internes. L'idée de les subordonner aux administrateurs externes rendrait l'université ingérable. Une gouvernance partagée entre les externes et les instances participatives réunirait le droit de regard que doit exercer la société sur ses institutions universitaires, et la connaissance intime du milieu ainsi que la bonne volonté des premiers concernés.
Les redditions de comptes doivent être fréquentes, transparentes et exhaustives. La collectivité a le droit de savoir si les universités accomplissent leur mission et comment elles utilisent les fonds publics. Le gouvernement doit surveiller étroitement les dépenses pour le développement immobilier et les infrastructures. Son droit de veto doit demeurer entier dans ces domaines. En contrepartie, l'autonomie des universités en matière d'enseignement et de recherche ne doit subir aucune intervention externe.
Le projet de loi deviendrait recevable dans la mesure où seraient amendés ses aspects néfastes aux universités et à la société. Pour un essai de bonification des articles inacceptables, voir www.webdepot.umontreal.ca/Usagers/sauls/MonDepotPublic/projet107.pdf
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Samir Saul, Professeur d'histoire à l'Université de Montréal


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