6e École internationale d'été sur les Amériques (2)

Pour une intégration économique continentale coordonnée

Intégration économique continentale<br>5e Sommet des Amériques - 2009 - à Port d'Espagne à Trinité-et-Tobago


Nous publions cette semaine une série de trois textes à l'occasion de la 6e École internationale d'été sur les Amériques, présentée jusqu'au 16 mai par le Centre d'études interaméricaines de l'Institut québécois des hautes études internationales de l'Université Laval. Voici le deuxième texte.
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Le cinquième Sommet des Amériques qui s'est tenu à Port of Spain du 17 au 19 avril a donné lieu à des élans d'optimisme chez plusieurs observateurs des relations interaméricaines. Comme l'a dit avec emphase le secrétaire général adjoint de l'Organisation des États américains (OEA), il est permis de voir dans ce sommet le lancement d'une nouvelle ère de coopération sur le continent.
S'il est indéniable que des signaux encourageants ont été envoyés par plusieurs acteurs lors du Sommet 2009 et en marge de celui-ci, l'heure ne devrait toutefois pas être à l'emballement. Les divergences de vues entre plusieurs gouvernements de l'hémisphère restent importantes. Les programmes politiques et diplomatiques des chefs d'État des Amériques ne sont pas arrimés et des rapprochements restent à faire. Cela est particulièrement vrai en matière économique et commerciale, où l'architecture des accords impliquant les pays des Amériques se complexifie à un point tel qu'il deviendra peut-être bientôt impossible d'envisager un accord de coopération ou d'intégration économique à l'échelle continentale.
L'abandon de la ZLÉA
Le Sommet de Port of Spain s'est conclu par la signature d'une Déclaration d'engagement à laquelle 29 des 34 États présents ont donné leur assentiment. Or, les 29 États ayant fait consensus autour de ladite déclaration sont restés muets quant à une éventuelle relance des négociations devant mener à la mise en place d'une zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Pas un paragraphe de la Déclaration ne mentionne ni n'évoque la moindre volonté politique de profiter de cette soi-disant nouvelle ère de coopération pour explorer les possibilités d'un accord commercial hémisphérique.
Ce silence à propos du projet de ZLÉA est inédit. Depuis le Sommet de 1994 à Miami, toutes les déclarations émises à la suite de sommets des Amériques contenaient au moins un paragraphe par lequel les chefs d'État exprimaient leur souhait d'en arriver à un accord qui faciliterait et harmoniserait les relations commerciales entre les pays du continent. [...]
Aujourd'hui, le message des chefs des Amériques ne saurait être plus clair. Il est envisageable de parler à 34 de développement, de gouvernance démocratique, de sécurité énergétique, de développement durable, de sécurité publique, de connectivité et d'éducation, mais il n'est plus question de négocier à 34 un accord d'intégration économique. [...]
L'intégration des marchés dans la région
La création de la ZLÉA avait notamment pour but de rapprocher les économies nationales de l'hémisphère et, par un texte juridique unique, d'accorder entre elles les différentes approches du libre-échange préconisées en Amérique du Nord, en Amérique centrale et dans le cône Sud. À l'époque du premier Sommet des Amériques en 1994, l'ALENA, le CARICOM, le Mercosur, le Groupe andin, l'ALADI et le Marché commun centraméricain étaient déjà tous en vigueur. Ces accords sous-régionaux étaient plus ou moins exhaustifs quant aux secteurs d'activités qu'ils couvraient. [...] La ZLÉA aurait doté la communauté des États des Amériques d'un socle et d'un langage communs à partir duquel chaque gouvernement aurait pu appliquer sa politique commerciale en heurtant le moins possible les intérêts et la vision de ses voisins.
Mais les projets de textes devant mener à la ZLÉA étaient à ce point inspirés des dispositions de l'ALENA que les dirigeants de certains pays, comme le Brésil, ont réagi à l'imposition d'un modèle libre-échangiste venu du Nord. L'incompréhension absolue entre les présidents Lula et Bush et la préférence des républicains états-uniens pour les accords bilatéraux ont fait le reste. Au fond, l'échec de ZLÉA était prévisible depuis 2002.
Des accords
Les gouvernements de certaines économies moyennes des Amériques n'ont pas attendu les résultats des négociations continentales pour conclure des accords économiques. En fait, la libéralisation des marchés s'est faite à grande vitesse sur notre continent ces dernières années et plusieurs indices portent à croire qu'elle va encore accélérer.
Depuis 1994, au moins 35 accords d'intégration économique majeurs impliquant au moins un pays des Amériques ont été notifiés à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La moitié de ces accords étaient des accords de libre-échange entre deux ou plusieurs pays des Amériques. Et certains gouvernements des Amériques ont opté pour une libéralisation très rapide avec des partenaires costauds. [...]
De multiples accords sont aussi en chantier. Le tiers des 32 projets d'accords économiques notifiés à l'OMC au moment d'écrire ces lignes impliquent au moins un pays des Amériques et cinq de ces projets visent l'intégration économique entre deux ou plusieurs pays du continent.
Une erreur historique?
De toute évidence, la libéralisation des marchés ne fait pas peur aux dirigeants des Amériques. C'est plutôt la façon de faire cette libéralisation qui inquiète et qui les divise. Or, l'expérience nous a appris que pour que la libéralisation fasse un maximum de gagnants et ne néglige pas les enjeux non commerciaux tels que l'environnement, la santé, la démocratie, l'éducation ou la sécurité, il convient de se doter de cadres juridiques multilatéraux solides.
L'histoire récente nous a bien enseigné que l'ouverture des marchés doit se faire de pair avec la coopération sur les questions qui débordent le commerce. Il est paradoxal que les dirigeants des Amériques choisissent un ton coopératif pour toute une série d'enjeux et qu'ils abandonnent en même temps l'espoir de coordonner un peu l'intégration économique continentale. Il reste à espérer que les chefs d'État des Amériques ne font pas une erreur historique.
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Richard Ouellet, Professeur à la faculté de droit de l'Université Laval, membre de l'Institut québécois des hautes études internationales et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques

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Richard Ouellet1 article

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Professeur à la faculté de droit de l'Université Laval, membre de l'Institut québécois des hautes études internationales et conférencier à l'École internationale d'été sur les Amériques





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