L'instrumentalisation politique d'un objet de culte est une profanation

Pour sortir de la confusion et d'une contradiction

L'Assemblée nationale n'est pas le lieux approprié au crucifix

Tribune libre

Un artefact qui est toujours objet de culte, donc approprié par un groupe religieux fut-il majoritaire, ne peut avoir valeur patrimoniale civique pour l’ensemble de la société. Aucune barrière symbolique ne doit être dressée entre l'État laïque et ses citoyens. C'est l'emplacement de ce crucifix qui brouille sa signification.
La reconnaissance de la valeur patrimoniale des croix de chemin qui ont perdu leur usage cultuel premier mais conservent une valeur mémoriale, poétique, artistique, religieuse et historique est donc indiscutable parce qu'elle ne s'interpose pas entre la neutralité de l'état et le citoyen. La croix du Mont Royal, qui rappelle l’épopée de Maisonneuve, n’est l’objet d’aucun culte religieux tout en évoquant la foi des fondateurs de Montréal. Elle constitue en tant qu'héritage collectif neutralisé, un patrimoine collectif qui fait partie de la géographie de Montréal comme le Christ de Rio auquel tous les montréalais peuvent s'identifier sans contredire leur appartenances religieuses diversifiées.
Le patrimoine est une valeur civique, profane et républicaine qui implique la reconnaissance - donc un changement de valeur - une mise à distance de la fonction première (et non pas nécessairement son élimination), d'un objet possédant une valeur symbolique telle, qu’au-delà de l’abandon de son usage premier, une société déciderait d’en assurer et d'en assumer la conservation pour le bien de l’ensemble de la collectivité et des générations à venir et non pas du seul groupe qui l'a érigé.
La plupart des églises patrimoniales peuvent abriter un culte comme des châteaux patrimoniaux peuvent accueillir à l’occasion des événements politiques mais leur valeur de monument civique est telle que personne ne songerait à en envisager la démolition si ce culte ou cette fonction cessait.
Dans le cas du crucifix de l’Assemblée nationale il y a une immense confusion sur la signification de l’artefact que certains ont qualifié de patrimoine. C'est bien son emplacement au point focal de cette assemblée qui embrouille les esprits. L'assemblée nationale n'est pas une église ni la maison du Christ. L'évangile établit cette distinction. (Marc 12, 16)
Le passage d’un objet de valeur cultuelle, donc sacrée, à la valeur patrimoniale, donc civique, suppose l’appropriation de cet objet par l'ensemble de la société qui prend en charge ou assure sa conservation parce que l’objet a pris une valeur élargie.
Après la révolution française, les châteaux de la noblesse déchue devenus inutiles peuvent être sauvés de la destruction parce qu’on leur accorde une valeur patrimoniale transcendante qui se situe au-delà de leur utilité première. Ils sont réappropriés par le gouvernement du peuple, pour le peuple.
C'est pourquoi, comme l'explique Chris Marker,dans “Les statues meurent aussi” les masques africains changent de signification lorsqu'ils qu'ils se retrouvent dans les musées parisiens parce que les civilisations qui les ont créés à des fins cultuelles ou ludiques se sont tues. Plus personne ne comprend le sens ni l’usage original de ces artefacts, il n'y a que des interprétations, des impressions contemporaines et un culte muséal, une mise en scène artistique qui n’a rien à voir avec leur usage premier. Ce n'est pas le cas du crucifix de l'Assemblée nationale.
Il est évident que ce dernier possède une valeur ambiguë et controversée alors que pour bon nombre de chrétiens il conserve une signification religieuse, donc sacrée. Le respect civique dû aux religions implique que l'on ne commette pas de profanation d'un objet sacré. En ce sens, l’usage du crucifix à des fins politiques comme le fit Duplessis et comme le suggère la charte des valeurs québécoises entraîne un débat qui expose cet artefact sacré à la profanation.
Au temps de Duplessis qui l'y a installé, l'exposition d’un crucifix à l’Assemblée nationale voulait exprimer l’adhésion pleine et entière d’un gouvernement à l’imbrication du religieux et du politique. L’Église assurait à cette époque l’enseignement et les services hospitaliers qui représentent aujourd’hui les plus importantes charges du budget de l’État québécois. La limite entre les pouvoirs religieux et politiques était alors ténues.
Les temps ont changé et le Québec de la révolution tranquille de même que l'Église ont pleinement adhéré à la séparation de l'église et de l'état. Force est de constater que le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale n’est pas dû à la pressions des autorités religieuses mais bien à la confusion de certains de nos politiciens et concitoyens peu informés des valeurs républicaines qui ne comprennent pas le principe de la séparation de l'État et du religieux.
Cette confusion démontre à quel point les Québécois entretiennent une relation ambiguë avec le religieux et aussi avec le politique. La dérive des discussions actuelles le démontre une fois de plus. De ce fait, bien qu’il ait acquis une valeur médiatique indéniable, il est donc bien trop tôt pour attribuer une quelconque valeur patrimoniale au crucifix de l’Assemblée nationale parce qu’il se trouve au centre d’une controverse politique et religieuse inachevée qui ennuie autant le gouvernement que l’Église et qui par la controverse qu'il suscite constitue la profanation d’un objet sacré.
Je suis d’avis que ce serait le moment pour l’Église québécoise gardienne du caractère sacré de son culte, de poser un geste historique d'apaisement qui démontrerait sa profonde sagesse et le respect de ses prérogatives religieuses et que l’évêque de Québec demande au président de l’Assemblée nationale qu’on lui rende avec les précautions requises cet objet de culte de façon à le soutirer à un débat profane.


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9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2013

    Le problème que nous vivons au Québec et (même partout en Occident), dépasse le crucifix accrochée a l'Assemblé Nationale, ou ailleurs.
    Ce problème est l'islam politique qui veut détruire nos nations Occidentales et les remplacer par ses propres valeurs islamiques. C'est un devoir religieux qui incombe a tous les musulmans, de répandre l'islam a la grandeur de la planète. Cela fait 1400 ans qu'ils font cela. Regardez l'Égypte un ancien pays souches chrétiens Coptes, la Syrie est un ancien pays de souches chrétiennes, le Liban au début du siècle 1900 était plus de 90% chrétiens et aujourd'hui, ce Liban est a peine 50% de souche chrétienne. C'est une transformation lente, une tranche de salami a la fois.
    C'est comme la métaphore de la grenouille: Prenez une grenouille et essayez de la plonger dans une marmite d'eau chaude, celle-ci fera un saut et sortira d'un coup sec.
    Par contre, prenez cette même grenouille, mettez la dans une marmite d'eau fraiche et elle se sentira confortable et confiante. Mettez la chaleur lentement, celle-ci engourdira lentement, s'habituera et perdra ses sens, et finalement elle cuira et ne s'apercevra de rien, car le déroulement et la progression se fera très lentement.
    La France est laïque depuis 1905, et cette France est de plus en plus islamisée.
    Les musulmans ne sont pas venus ici au Québec pour s'intégrer a nos valeurs, mais pour transformer le Québec, et les Québécois, avec des valeurs islamiques.
    Il y a un auteur Québécois, M. Guy Durand, qui a fait un livre dont le titre est:
    "La culture religieuse n'est pas la foi"
    Le crucifix fait parti de notre culture identitaire Québécoise, comme tous les pays Occidentaux, qui est différente des cultures; Africaine, Chinoise, Japonaise, musulmanes, etc...
    http://www.lapresse.ca/la-voix-de-lest/opinions/courrier-des-lecteurs/201308/28/01-4684182-laicite-et-valeurs-quebecoises.php
    Il a répondu a l'éditorial de M. Mario Roi, de La Presse:
    "Je ne crois pas qu'il faille modifier; "Charte de Laïcité"
    "Charte des Valeurs Québécoises" car les deux se valent.
    http://www.lapresse.ca/la-voix-de-lest/opinions/courrier-des-lecteurs/201306/05/01-4658185-laicite-et-valeurs-quebecoises.php

  • Gérald McNichols Tétreault Répondre

    15 septembre 2013

    Chers amis je ne suis pas surpris de vous lire, je comprends maintenant pourquoi nous n'avons pas une charte de la laïcité mais plutôt une charte des "valeurs québécoises". Comme ça, c'est bien plus facile de se bricoler des valeurs sur mesure sans avoir à répondre de ses contradictions et en se gardant bien de recourir aux principes républicains et français que "personne ne comprend". Moi je vous dit qu'ignorance, nationalisme, rejet de la pensée intellectuelle, électoralisme et manipulation des signes religieux sont toutes des pratiques du duplessisme qui en effet savait bien gagner des élections. Alors retournez-y dans votre bon vieux temps de la grande noirceur, si ça vous chante avec votre Patente et vos contradictions. Ces valeurs vous confortent peut-être mais elles ne sont certainement pas celles qui valent la peine de construire un pays. Ce repli sur des valeurs communautaristes et des bouts de récits hagiographiques fut-il majoritaire,il ne fait rien d'autre que le jeu des défenseurs du multiculturalisme canadien qui vous décrivaient de cette façon. Vous êtes en train de leur donner raison. Qui sème le vent récolte la tempête.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    15 septembre 2013

    Histoire de l’Église catholique au Québec de 1608 à 1970 (éd. fides)
    Dans ce document on apprends que l'Église a remplis 3 missions, une intemporelle et deux temporelles. Et ce sont ces deux dernières missions qui en font une institution politique (cardinale) dans notre histoire.
    « l’union organique entre l’Église et l’État... », (p.15), l’Église le corps social le mieux constitué (p.17).
    Sans le rôle politique qu'a joué l'Église et ses institutions dans notre histoire, la nation que nous sommes n’existerait tout simplement pas.(je pense avoir fait cette démonstration dans mon texte : Crucifix : le passage du témoins)
    Tenant compte de l'histoire, ce crucifix appartient d'abord et avant tout au peuple.
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2013


    J'ai mentionné dans mon commentaire précédent, qu'il y avait la deuxième guerre mondiale durant le règne de M. Duplessis.
    Un article sur Wikipédia.
    L'article mentionne, que ce fut la première fois depuis 1812
    que des navires ennemis pénétrèrent dans les eaux intérieurs du Canada pour tuer.

    Bataille du St-Laurent durant la deuxième guerre mondiale.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Saint-Laurent

  • Grarlam Répondre

    14 septembre 2013

    La population du Québec souhaite majoritairement que le crucifix demeure à l'assemblée du peuple, l'assemblée nationale.
    Pour une fois que nos élus respectent la volonté de la population, de grâce n'allons pas la contredire.
    Le peuple n'a que faire d'argumentations savantes auxquelles il n'y comprend rien.
    Le peuple fonctionne avec le gros bon sens, ce qui est loin d'être le cas avec la politique et la bureaucratie.
    Donc, qu'on ne touche pas au crucifix à l'assemblée nationale et qu'on écoute le peuple lorsqu'il est question de charte des valeurs.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2013

    M. Marineau a écrit:"Je trouve ça dommage que, selon votre interprétation, la présence du crucifix, dans le débat qu’il suscite, en soit rendue à une décision purement "opportuniste et partisane" alors qu’il dénote une incohérence totale envers une réelle neutralité religieuse de l’État.".
    Tous les partis politiques, à Québec, savent que la majorité de la population veut que le crucifix reste là où il est.
    Et le fait que le crucifix reste là, à mon humble avis, ne dénote pas une incohérence avec la neutralité de l'État.
    L'Histoire ne commence pas en 1960. J.C. Pomerleau l'a très bien expliqué:LE PASSAGE DU TÉMOIN!
    Le crucifix rappelle à tout le monde, et en particulier, aux nouveaux arrivants qu'avant 1960, il s'est passé quelque chose..pis que sans ce quelque chose, vous pis moi nous ne serions pas là.
    Le crucifix n'invite personne à pratiquer une religion.
    Je connais des gens qui étaient du même avis que vous...pis qui, tranquillement pas vite, ont compris: 1-le réalisme politique 2-la notion de patrimone.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 septembre 2013

    Vous avez fait un tres bon article, M. Tétreault.
    Cependant, malgré la controverse, j'abonde dans le sens de M. Le Hir, car les Québécois ne sont pas prets pour enlever ce crucifix et ce serait un choc et c'est pour cela qu'aucun parti politique n'y touchera. Il faut laisser le temps faire son œuvre, je suis a peu près certaine que les descendants, n'y verront pas d'objection de l'enlever, car ils n'y verront tout simplement pas l'utilité.
    DOMMAGE, que notre histoire ne fut pas enseignée.
    Je voudrais revenir sur notre histoire nationale ici au Québec. Je suis pas assez âgé pour des souvenirs clairs, peut-être qu'il y a des lecteurs qui sont plus connaissants que moi.
    J'ai vu l'histoire de M. Duplessis avec le film qui a été fait ici au Québec.
    Il faut essayer de se situer a cette époque pour comprendre.
    Souvenez-vous en 1936, c'était la guerre mondiale, et tout le Québec; Le clergé, ainsi que nos politiciens étaient très inquiets, que cela déborde jusqu'ici, car il y avait les Italiens qui étaient tres touchés par les violences de Mousselini, d'ailleurs nous avons recu ici au Québec une grande vague d'immigrants italiens qui fuyaient les violences. Il y a eu un sous marin Allemand qui c'est aventuré jusqu'ici dans le fleuve St-Laurent et il y avait une torpille qui a servi longtemps pour des visites touristiques en Gaspésie; St-Yvon, d'ailleurs les résidents de la Gaspésie plus agés, racontent des récits sur cette guerre.
    Le crucifix fut accroché a cette époque, a l'Assemblée Nationale, nos ainés avaient confiances que cela les protègeraient.
    Je ne crois pas, que cet incident se résume a une raison simpliste, que le clergé voulait tout contrôler.

  • Henri Marineau Répondre

    14 septembre 2013

    @ Richard Le Hir,
    Je trouve ça dommage que, selon votre interprétation, la présence du crucifix, dans le débat qu'il suscite, en soit rendue à une décision purement "opportuniste et partisane" alors qu'il dénote une incohérence totale envers une réelle neutralité religieuse de l'État.
    Quant à votre argument de comparer la politique au coeur, il m'apparaît souffrir d'une certaine contradiction puisque, dans le cas présent, "la politique a ses raisons que la raison connaît bien", que vous avez très bien décrites, à savoir "qu’il en [au gouvernement] coûterait électoralement s’il le retirait".

  • @ Richard Le Hir Répondre

    14 septembre 2013

    Votre approche est très séduisante et mériterait certainement d'être retenue si nous étions dans une situation oû le gouvernement cherchait à se débarrasser d'une patate chaude, si vous voulez bien me pardonner cette analogie sacrilège.
    Mais, à moins que ma lecture de la situation soit entièrement erronée, ce n'est pas celle dans laquelle nous nous trouvons. En effet, disposant de données sur ce que pense la population de la présence du crucifix à l'Assemblée Nationale, et sachant qu'il lui en coûterait électoralement s'il le retirait, le gouvernement a déjà décidé de ne pas y toucher.
    Le crucifix va donc demeurer à l'Assemblée Nationale parce que c'est le souhait d'une grande majorité de la population. Et devant une expression aussi claire de la volonté de celle-ci, je suis convaincu que ni le PLQ ni la CAQ n'oseraient non plus le retirer.
    N'y verront une incohérence que ceux qui ne comprennent pas que la politique, comme le coeur, a ses raisons que la raison ne connaît pas.
    Richard Le Hir