Pour les Québécois, le Canada est un pays étranger

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« Un Québécois qui devient Canadien devient en fait étranger à lui-même. »


1er juillet. Pour le Canada, c’est jour de fête nationale. Il y a une ou deux générations, on parlait plutôt de la fête de la confédération. Mais quelle que soit son appellation, il faut dire que les Québécois n’y ont jamais porté une attention exagérée. Le 1er juillet, pour eux, c’est la fête du déménagement. Comment ne pas voir dans cette grève symbolique un formidable aveu : au fond d’eux-mêmes, les Québécois se sentent étrangers au Canada. Ils y sont associés politiquement de manière assez passive sans l’habiter mentalement, sans en faire leur demeure identitaire. Il représente, pour eux, un autre pays. La propagande fédérale cherche pourtant à nous transformer en Canadiens. C’est une manière comme une autre de reconnaître implicitement que le sentiment d’appartenance au Canada ne nous vient pas de lui-même. 


C’est pourquoi chaque 1er juillet, il faut en profiter pour démystifier le rêve canadien et révéler ce pays tel qu’il est véritablement: un piège pour les Québécois. Il faut surtout dire et redire que ce pays n’est pas le nôtre. Et cela pour une raison simple: depuis plus de 250 ans, le Canada a toujours travaillé, d’une manière ou d’une autre, à dissoudre le peuple québécois, au mieux pour le transformer en grosse minorité ethnique condamnée à la régression folklorique, au pire pour l’assimiler, tout simplement, en l’anglicisant intégralement, comme il l’a fait avec les minorités françaises hors-Québec. Et il ne faut pas croire que cette histoire est terminée. Le combat mené par le Canada contre le peuple québécois ne relève pas de l’histoire ancienne. Il a seulement changé de forme depuis la refondation du pays par Pierre Elliot Trudeau en 1982. Au mieux, il s’exprime plus subtilement. Et encore.


Le discours est connu: le Canada serait le meilleur pays au monde, et il serait non seulement sot, mais même criminel de vouloir s’en séparer, comme l’a déjà soutenu Pierre Elliot Trudeau devant le Congrès américain quand il voulait l’apeurer devant l’éventualité de l’indépendance du Québec. Le rêve canadien séduirait la planète au grand complet : le Canada aurait trouvé le secret de la diversité heureuse. Le Canada tel qu’il s’est refondé en 1982 à travers un nouvel ordre constitutionnel, auquel le Québec n’a toujours pas adhéré formellement, ne se présente plus comme un pays particulier avec son identité historique spécifique, mais comme le pays idéal, censé incarner la prochaine étape de l’histoire de l’humanité. Il aurait trouvé le moyen de renaître dans une adhésion intégrale à l’idéal diversitaire. 


Car au cœur du nouveau régime canadien, on le sait, on trouve le multiculturalisme, qui est une véritable idéologie d’État – pour ne pas dire une religion d’État – qui pousse le Canada à toujours pousser plus loin le modèle de la citoyenneté diversitaire. Le Canada serait un pays postnational, sans noyau identitaire fondateur. Il trouverait sa grandeur dans son caractère désincarné. Ceux qu’on appelait encore hier les Canadiens-anglais et les Canadiens-français ne seraient plus deux peuples fondateurs mais deux groupes parmi d’autres venus s’installer ici au fil des nombreuses vagues d’immigration qui auraient constitué la population du pays. Comme on aime dire, au Canada, nous serions tous des immigrants. Cela n’empêche évidemment pas le Canada de se définir concrètement comme un pays anglais, malgré son bilinguisme officiel d’apparat.


Évidemment, cette vision du Canada est fondée sur la négation du peuple québécois, dont l’existence vient troubler le grand récit canadien – le peuple québécois représente dans la fédération la trace du monde ancien, qu’il faudra une fois pour toutes effacer et déconstruire, ce qui n’a jamais empêché de le siphonner sur le plan identitaire (on lui a volé son nom, son hymne national, ses symboles culturels, et ainsi de suite). Toute la dynamique politique et idéologique canadienne consiste à déconstruire et à neutraliser le peuple québécois, pour en finir un jour avec lui. On ne lui reproche pas seulement d’avoir voulu se séparer et d’être tenté par l’indépendance. On lui reproche simplement d’exister et de vouloir exister. 


D’ailleurs, dans cette perspective, dès que les Québécois rappellent qu’ils se voient comme un peuple ou comme une nation, on les accuse de suprémacisme ethnique – c’est qu’ils refusent alors de n’être qu’une minorité parmi d’autres et prétendent fonder une communauté politique distincte à partir de leur expérience historique. On l’a encore vu ces derniers jours avec la réaction fondamentalement hostile du Canada officiel à la loi sur la laïcité du gouvernement québécois. Il n’est pas permis aux Québécois de vouloir fonder sur leur expérience historique et leur identité une légitimité politique spécifique, consacrée naturellement dans leur droit à l’autodétermination politique. Pour le Canada, les Québécois sont racistes dès qu’ils ne jouent pas exactement le rôle qu’on leur réserve. De même, le Canada refuse fondamentalement de considérer le Québec comme une société de langue française. S’il feint de tolérer la loi 101, c’est pour mieux la déconstruire discrètement, en menant contre elle un travail de sape permanent, et cela au nom d’un bilinguisme idéologique adossé sur la loi fédérale sur les langues officielles qui réduit le français au Québec au statut d’une langue sur deux. 


Tout le monde en convient, l’idée d’indépendance pourrait mieux se porter, mais elle demeure quand même soutenue par une portion considérable de notre peuple. Plus largement, les Québécois semblent engager dans une aventure autonomiste à travers laquelle ils réaffirment leur droit à une pleine existence nationale, ne se définissant plus dans les paramètres constitutionnels et idéologiques du régime canadien, mais à partir de leur réalité historique propre. C’est un nouveau cycle historique qui s’ouvre. Il porte en lui plusieurs possibilités, mais il semble s’inscrire sous le signe d’une affirmation nationale qui tôt ou tard, pourrait être tentée d’aller au bout d’elle-même. Dès lors qu'ils redécouvriront pleinement la question du régime, les Québécois redécouvriront que la souveraineté est une «vraie affaire».


Le Québec ne survivra et ne s’émancipera qu’en se décanadianisant. C’est ce qu’il faut dire et redire, en ce 1er juillet 2019. L’identité québécoise et l’identité canadienne ne sont pas compatibles. Quand l’une progresse, l’autre régresse. Et inversement. On ne peut pas être Québécois et Canadien en même temps. Quand l’identité canadienne progresse chez les Québécois francophones, on peut y voir le symptôme d’une certaine aliénation identitaire ou l’effet psychologique d’une domination politique que nous parvenons de moins en moins à concevoir. Un Québécois qui devient Canadien devient en fait étranger à lui-même. On ne saurait le lui reprocher sur une base individuelle mais on fera sans cesse le procès de ce régime qui déracine mentalement notre peuple pour reprogrammer son identité dans des paramètres qui pousseront à sa dissolution.  


Alors il faut se défendre contre le Canada, pour l’empêcher de nous neutraliser, de nous néantiser, de nous digérer dans ses catégories administratives, idéologiques et constitutionnelles. Il faut lutter contre la propagande fédérale qui cherche à nous canadianiser mentalement de force. Il faut poursuivre la construction de la nation québécoise, en sachant que nous ne la construirons jamais grâce à lui, mais malgré lui. Il faut défier son cadre constitutionnel, en sachant que ce dernier a été mis en place pour nous étouffer progressivement et nous amener à renoncer à notre propre identité pour nous fondre dans la sienne. Le nationalisme québécois est d’abord un réflexe de survie pour permettre à notre peuple de demeurer lui-même. Le Canada n’est pas notre pays et il faut le lui dire, surtout aujourd’hui. Il faut en profiter pour lui dire que tôt ou tard, le Québec sera indépendant. 


Vive le Canada? Certainement pas! Vive la fin du Canada au Québec! Vive la décanadianisation du Québec!