Pour le Québec français, il en va de la suite du monde

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Nous finançons notre anglicisation


Le réseau collégial français est mal en point, en particulier sur l’île de Montréal. Il est mal en point parce qu’il est victime de la dynamique linguistique actuelle. Si le récent palmarès des cégeps a montré une chose, c’est bien celle-là. Les cégeps anglophones débordent et écrèment les meilleurs étudiants, non seulement les anglophones, mais aussi les allophones et les francophones. Le problème est autant quantitatif que qualitatif. Les effectifs sont en baisse constante et accélérée dans le réseau français, au moment même où son « élite » étudiante se rue vers le réseau anglais. Et tout ça, remarquons-le d’emblée, se fait à même les fonds publics.


En désespoir de cause, les directions se tournent vers la solution à leur portée : angliciser l’offre de services dans l’espoir de séduire la « clientèle ». Les manchettes récentes sur le comptoir montréalais uniquement anglophone du cégep de la Gaspésie-et-des-Îles et le projet de cégep bilingue de Vaudreuil ne représentent que la pointe de l’iceberg. Il s’agit d’une tendance de fond. La plupart des cégeps francophones de l’île de Montréal ont essayé, essaient et essaieront de se tourner vers l’anglais pour sauver les meubles. Le MEES vient d’ailleurs d’autoriser de nouveaux devis de programmes en sciences humaines et en sciences pures avec « langue seconde enrichie » : on devine laquelle. Il semble que le réseau collégial français, du moins sur l’île de Montréal, soit en train de se bilinguiser sous nos yeux.


On sait pourtant depuis longtemps que le bilinguisme institutionnel est un cul-de-sac. L’anglais et le français ne peuvent pas cohabiter durablement à l’intérieur d’un même établissement. L’anglais est la langue la plus attractive au monde, tandis que le français est, en Amérique du Nord, une « fleur de serre », comme disait André Laurendeau. Le rapport de force est trop inégal. La bilinguisation du réseau postsecondaire sur l’île de Montréal ne pourrait donc bien être que le prélude à son anglicisation pure et simple — le cas de l’Université « bilingue » d’Ottawa est éloquent à cet égard : y donner des cours en français relève de plus en plus du parcours de combattant.


Vitalité du Québec français


Le réseau collégial français sur l’île de Montréal serait-il donc en train de s’écrouler ? La situation est en tout cas plus que préoccupante. L’éducation supérieure française est déclassée par l’éducation supérieure anglaise dans la métropole du Québec, une province dont 78 % des habitants ont le français comme langue maternelle. La chose est surréaliste. Comprend-on bien que c’est l’outil même qui nous permet de faire notre travail, notre langue, qui est en train de perdre son statut et son prestige ? Comme professeurs francophones, nous commençons à avoir un arrière-goût de langue morte dans la bouche. Une langue n’est pas un moyen de communication neutre, qui peut être changé indifféremment pour un autre, c’est une expérience située du monde, unique et irremplaçable. La dynamique actuelle ne nous demande pas simplement de nous « adapter » : elle invalide notre rapport — français — au monde. Elle nous tasse de côté. Nous, nous ne trouvons pas cela « emballant ».


Il ne s’agit toutefois pas que des intérêts des professeurs de cégeps francophones. Tout d’abord, les intérêts des professeurs d’université sont aussi en jeu, car le choix du cégep anglais est en même temps, pour la plupart des étudiants, le choix de l’université anglaise. Mais laissons de côté ces considérations, disons, « corporatistes ».


Ce dont il est vraiment question ici, c’est de la vitalité du Québec français. L’actuelle poussée vers la bilinguisation n’augure rien de bon à cet égard. Un véritable Québec français est difficilement imaginable sans un réseau d’éducation supérieure francophone complet, intègre et assuré de lui-même dans sa métropole. Comment pourra-t-on continuer à penser et dire le réel, à chercher et à découvrir, à évaluer et à critiquer, à imaginer et à rêver en français, puis passer aux suivants, si les établissements au sein desquels se font prioritairement ces activités basculent vers l’anglais ? Qu’adviendra-t-il de la vie culturelle et intellectuelle au Québec ?


Un point capital est que cette transformation linguistique du réseau postsecondaire engage le trésor public. Il ne s’agit pas seulement des préférences des jeunes Québécois qui choisissent de s’angliciser ; il s’agit aussi de décider si, collectivement, nous voulons subventionner ce choix. Ne serait-ce qu’en tant que contribuables, nous avons notre mot à dire. Le fait est que les Québécois sont en train de financer la marginalisation de leur propre langue dans leurs établissements d’enseignement supérieur. Faut-il vraiment accepter cela ? Au nom de quoi ?


Le droit à une éducation supérieure subventionnée par les contribuables est un droit positif, qui n’est pas du même ordre que le droit à la sécurité ou encore à l’expression. Ce droit peut tout à fait être assorti de certaines conditions si un intérêt public supérieur l’exige. À ce titre, l’intégrité et la continuité du réseau postsecondaire français se qualifient très certainement.


Le gouvernement est précisément en train de réactualiser la loi 101. Le moment n’est-il pas opportun de lui envoyer le message que des mesures cosmétiques ne suffiront pas ? Nous pensons qu’il faut remettre sur la table la question de l’extension des clauses scolaires de la loi 101 au collégial public (ou une mesure équivalente). La situation est critique. Pour le Québec français, il en va de la suite du monde.


*Ce texte est porté par une centaine de personnalités:

Sébastien Mussi (Maisonneuve);

Céline B. LaTerreur (Vieux-Montréal);

Virginie Dufour (Sainte-Foy);

Guy Rocher (Université de Montréal);

Alain Labelle (Sainte-Foy, retraité);

Éric Martin (Édouard-Montpetit);

Dominique Bulliard (Maisonneuve);

Mathieu Bélisle (Jean de Brébeuf);

Chantale Gingras (Sainte-Foy);

Nassib El-Hussein (UQAM);

Pascal Léveillé (Maisonneuve);

Nicolas Bourdon (Bois-de-Boulogne);

Catherine Lefebvre (Sainte-Foy);

Marc Chevrier (UQAM);

Corinne Larochelle (Maisonneuve);

Stéphanie Boutin (Maisonneuve);

Rosemarie Allard (Sainte-Foy);

Patrick Moreau (Ahuntsic);

Jean-François Gignac (Bois-de-Boulogne);

Louis Bussières (Sainte-Foy);

Gilles Gagné (Université Laval);

Piroska Nagy (UQAM);

Geneviève Kirouac (Sainte-Foy);

Serge Salamin (Maisonneuve);

Mathieu Chalifour-Ouellet (Gérald Godin);

Natacha Gagné (Université Laval);

Karine Villeneuve (Sainte-Foy);

Jean-François Groulx (McGill, Université de Montréal);

Robert Comeau (UQAM, retraité);

Hélène Duguay (Sainte-Foy, retraitée);

Marie-José Boisvert (Jean de Brébeuf);

Francis Boudreault (Maisonneuve);

Joseph Facal (HEC Montréal);

Steve Laflamme (Sainte-Foy);

Gilles Laporte (Vieux-Montréal);

Monique Boucher (Ahuntsic);

Jean Sébastien (Maisonneuve);

Julie Perreault (Université d’Ottawa, Condordia);

Louis Gill (UQAM, retraité);

Stéphane Houle (Jean de Brébeuf);

Émilie Fortin (Sainte-Foy);

Catherine Paradis (Rimouski);

Audrey Caissey (Jean de Brébeuf);

Lynda Champagne (Maisonneuve);

Stéphane Chalifour (Lionel-Groulx);

Mathieu Saucier-Guay (Sainte-Foy);

André Rocque (Montmorency, retraité);

Tania Longpré (UQAM);

Karine Damarsing (Maisonneuve);

Jean Robillard (TELUQ);

Richard Vaillancourt (Bois-de-Boulogne);

Martin Hardy (Lévis-Lauzon);

Jean-Claude Simard (Rimouski, retraité);

Ève-Isabelle Cabirol (Sainte-Foy);

Raphaël Arteau-McNeil (Garneau);

Patrick Lafontaine (Maisonneuve);

Julie Baribeau (Sainte-Foy);

Guillaume Bard (André Laurendeau);

Daniel D. Jacques (Garneau, retraité);

Caroline L. Mineau (Sainte-Foy);

Jacques Chamberland (Maisonneuve);

François Parent (Marie-Victorin);

Dany Hudon (Sainte-Foy);

Isabelle Tremblay (Garneau);

Marc-André Vaudreuil (Gérald Godin);

Christopher Pitchon (Maisonneuve);

David Doucet (Sainte-Foy);

Julien Orselli (Saint-Jérôme);

Anna Kowalczyk (Sainte-Foy);

Lydia Anfossi (Marie Victorin);

Marie-Catherine Laperrière (Maisonneuve);

Émilie Bernier (UQO);

Ève Arsenault (Sainte-Foy);

Jean-François Marçal (Maisonneuve);

Éric Bédard (TELUQ);

Louis-Philippe Blanchette (Marie-Victorin);

Julie Chamard-Bergeron (Université Laval);

Carole Pilote (Montmorency, retraitée);

Éryck Malouin (Maisonneuve);

Patrice Roy (Sainte-Foy, retraité);

Georges-Rémy Fortin (Bois-de-Boulogne);

Robert Hébert (Maisonneuve, retraité);

Étienne Mallette (Maisonneuve);

Yvon Rivard (McGill, retraité);

France Giroux (Montmorency, UQAM, retraitée);

Stéphane Boucher (Maisonneuve);

Alexis Vaillancourt-Chartrand (Saint-Jérôme);

Nadia Dufour (Garneau);

Louis Bilodeau (Ahuntsic);

Bruno Lacroix (Marie-Victorin);

Caroline Hébert (Sainte-Foy);

Chantal Poirier (Maisonneuve);

Gilles Parent (Outaouais);

Nicole Gaboury (Outaouais, retraitée);

Sébastien Melançon (Ahuntsic);

Pierre Dostie (Sainte-Foy);

Jean-François Joubert (Garneau);

Yves Vaillancourt (UQAM);

Philippe Blanc (Marie-Victorin);

Isabelle Chiroux (Maisonneuve);

Pierre Abrique (Ahuntsic);

Alain Dion (Rimouski);

Mathieu Robitaille (Sainte-Foy, Université Laval);

Luc Bouchard-Pigeon (Marie-Victorin);

Amélie Desruisseaux-Talbot (Garneau);

Jocelyn Savard (Sainte-Foy);

Carmen Boucher (Maisonneuve, retraitée);

Michel Rioux (journaliste, syndicaliste);

Catherine Martin (cinéaste);

Bernard Émond (cinéaste);

Robert Laplante (IREC);

François l’Italien (IREC);

Jacques Dufresne (Encyclopédie de l’Agora);

Jean Rémillard (militant pour le français);

Laval Hébert (retraité);

Jocelyne Delage (journaliste, écrivain);

Matthias Rioux (journaliste, retraité) et

Marie-France Bazzo (animatrice, productrice).




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