Pour en finir avec la désorganisation à Montréal

Rarement une décision aussi lourde de conséquences fut prise avec autant d'insouciance.

Montréal - élection 2009

Mon intention n'est pas de reprendre la campagne d'une ville sur l'île ou de plaider son bien-fondé. Je voudrais cependant que les citoyens qui le souhaitent puissent suivre le fil des événements qui ont rendu notre ville dysfonctionnelle.
Ce n'est pas surprenant que l'opinion publique ait perdu tous ses repères tant les changements sont survenus dans un véritable enchevêtrement de lois. Je ne prétends pas à la neutralité. J'ai été et je demeure fortement motivée à secouer toute résignation quant aux problèmes de gouvernance qui affaiblissent la seule grande ville de classe mondiale sur laquelle le Québec et la nation québécoise peuvent compter.
Des fusions mal faites: une légende urbaine?
Pourtant, partout où les fusions municipales de 2000 ont survécu, elles ont permis aux villes concernées de vivre une véritable cure de jeunesse, et ce, dans 31 agglomérations. Pensons au redéploiement de la ville de Québec, de Lévis, de Sherbrooke, de Trois-Rivières, de Gatineau, de Saguenay, de Saint-Jérôme, de Rouyn-Noranda, de Matane, de Rimouski, de Saint-Hyacinthe et de dizaines d'autres. Ces fusions seraient donc considérées comme bien faites là où elles ont résisté aux défusions, et mal faites là où elles ont succombé?
Services de proximité
Loin d'être mur-à-mur, la réforme municipale de 2000 prévoyait reconnaître la spécificité de la métropole du Québec en introduisant une distinction de taille, seulement pour Montréal: la création de 27 arrondissements avec attribution de pouvoirs délégués dans la gestion des services de proximité.
Ces arrondissements se trouvaient sous la responsabilité d'un président d'arrondissement, un conseiller municipal choisi par et parmi ses pairs. Le conseil municipal avait la possibilité, par une majorité simple des voix exprimées, de se saisir d'une compétence d'arrondissement si cela s'avérait nécessaire. L'implantation de ces 27 arrondissements, devenus 19 en 2005, répondait à des impératifs jugés incontournables.
Mégaville
D'abord, une vive inquiétude à l'égard de l'hyperbureaucratisation d'une mégaville. Au cours des décennies précédentes, l'annexion à Montréal de 33 municipalités en déroute sur l'île avait fortement concentré les services municipaux au centre.
Puis, la volonté de stimuler la participation démocratique dans le contexte de l'augmentation, de un à deux millions, de la population à desservir.
Finalement, le statut de ville bilingue que certaines municipalités de l'Ouest-de-l'Île détenaient en vertu même de l'application de la loi 101. [...]
Je résume les idéaux de la réorganisation municipale de 2000: équité fiscale, équité sociale, consolidation de la position concurrentielle de Montréal sur l'échiquier mondial et livraison des services de proximité dans les arrondissements. [...]
Des référendums de défusion
C'est au nom «du droit de choisir» qu'en novembre 2000, le chef de l'opposition de l'époque, Jean Charest, promettait des référendums sur les défusions. Une formule d'autodétermination municipale qui apparaît alléchante de prime abord. Comment ne pas s'incliner devant ce qui apparaît à première vue une évidence? Quand on y regarde de plus près, on y trouve cependant une imposture à l'égard du fonctionnement démocratique de notre société. [...]
Au cours des 50 dernières années, pas moins de 16 législations de regroupements de municipalités, dont 13 par des gouvernements libéraux, ont été adoptées par l'Assemblée nationale. [...] En matière de gestion du territoire, l'arbitrage démocratique du bien commun se fait à l'Assemblée nationale, à défaut de quoi les partisans du statu quo sont toujours gagnants à l'échelle locale en empêchant tout changement de survenir.
Nouvelle structure complexe
La loi 9 contenait une astuce pour reconstituer les anciennes municipalités et les subordonner au conseil d'agglomération créé, en 2005, à la suite des défusions. En vertu du pourcentage respectif des populations, Montréal y détient 87 % des voix et les villes dites reconstituées, 13 %.
Le budget est de plus de 2 milliards, et ce conseil exerce 18 compétences, sans grand débat puisque les jeux y sont faits d'avance. Il était à prévoir que cette structure serait difficilement gérable, et ces prédictions se sont avérées justes.
La capacité d'innover de Montréal est minée par cette superposition de structures et la contestation larvée qui en résulte. Encore récemment, en juin dernier, le gouvernement Charest ajoutait un secrétariat au conseil d'agglomération et choisissait, au nom des contribuables québécois, de faire un cadeau de 22 millions par année aux villes reconstituées, parmi les plus riches foncièrement, en payant leur part du partage du financement de certains équipements collectifs sur l'île.
Plan de décentralisation pour Montréal
Nombreux sont les citoyens qui ont cru que les changements survenus dans le fonctionnement de leur ville étaient imputables aux fusions-défusions, tant ces changements sont survenus à la suite d'un enchevêtrement de lois adoptées à l'automne 2003, à l'occasion d'un bâillon de fin de session portant sur de nombreuses lois.
Dans les faits, il s'est agi de lois distinctes. La loi 9 sur les référendums, s'adressant à 209 municipalités, et la loi 33, modifiant uniquement la Charte de la ville de Montréal à la demande de l'administration Tremblay-Zampino. En mai 2003, quelques semaines après l'élection du nouveau gouvernement libéral, dans une tentative de retenir les villes qui anticipaient de partir et de désamorcer le mouvement de défusion, l'administration municipale confiait à une firme, au coût d'un demi-million de dollars, le mandat de réorganiser Montréal. Le modèle de décentralisation retenu fut celui inspiré par la position de la défunte Union des municipalités de banlieue de l'île de Montréal.
Décision insouciante
En décembre 2003, à la sauvette, le gouvernement Charest s'empressait de modifier la Charte de la Ville de Montréal, comme demandé par les autorités municipales, avant la tenue des référendums municipaux de juin 2004.
À la même époque, le maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, refusait de céder aux pressions du chef de l'opposition, Jacques Langlois, qui lui réclamait un projet similaire de «décentralisation» de la ville de Québec.
À Montréal, le résultat est maintenant connu. Ceux qui voulaient partir l'ont fait, et ceux qui sont restés se sont retrouvés dans une ville qu'ils ne reconnaissaient plus. Rarement une décision aussi lourde de conséquences fut prise avec autant d'insouciance.
D'arrondissements à quasi-villes
C'est à la pièce, petit à petit, que les Montréalais ont découvert la «décentralisation», devenue réalité à l'élection municipale de 2005. Les présidents d'arrondissement étaient devenus des maires d'arrondissement, élus au suffrage universel ayant un statut équivalant à celui des maires assujettis à la Loi sur les cités et villes.
La rémunération et les allocations de dépenses des élus municipaux étaient dorénavant fixées par arrondissement et pouvaient différer les unes des autres. Des pouvoirs nouveaux, enchâssés dans la Charte de la Ville et non plus seulement délégués, étaient attribués à des arrondissements devenus des quasi-villes.
Notamment le pouvoir de lever des taxes, d'ester en justice, de constituer un fonds de roulement, d'adopter des règlements, d'effectuer certains emprunts, d'acquérir et de vendre des immeubles, le pouvoir exclusif d'instaurer tout nouveau découpage territorial, de nommer des directeurs et directeurs adjoints, de s'adjoindre un cabinet d'attachés politiques.
À l'opposé, le conseil municipal se voyait retirer le pouvoir de mettre en oeuvre des changements au plan d'urbanisme, le pouvoir d'établir des normes de gestion en matière de voirie. La consultation publique, confiée à l'Office en 2000 pour les grands projets urbains et tous ceux du secteur des affaires, était dorénavant laissée au bon vouloir du comité exécutif. Ironie du sort, il s'agissait de la position contraire de celle recommandée en 2000 dans le rapport de la commission sur la consultation publique en matière d'urbanisme, présidée par Gérald Tremblay.
Des arrondissements-villes: les seuls au monde?
À la même époque, en juillet 2003, les conclusions d'une étude comparative des compétences des arrondissements dans diverses grandes villes européennes et nord-américaines, réalisée par deux universitaires émérites à la demande de l'administration municipale, étaient mises de côté.
Les professeurs Jacques Léveillé et Richard Langelier signaient les constats suivants: «Aucun des pays étudiés n'a prévu que [...] les arrondissements aient un statut juridique qui pourrait les apparenter à des municipalités.» Ou encore: «La logique derrière cette mise en liberté sous surveillance des instances locales tient à l'ambition de promouvoir l'équité entre les groupes sociaux et les territoires en regard de la quantité et de la qualité des services offerts.»
Si les grandes villes du monde peuvent compter sur des arrondissements, nous sommes les seuls, à Montréal, à compter des arrondissements qui sont devenus des quasi-villes. Je constate aussi que l'ambition de promouvoir l'équité, dans les services et les équipements, s'est atrophiée en même temps que le sens du partage. Avec les variations de richesse foncière s'accroissent les écarts de services et d'équipements, dans une ville aux nombreuses vitesses de croisière.
Réparations à la pièce
Le caractère dysfonctionnel de Montréal est tel que diverses tentatives ont eu lieu pour essayer de redonner tout au moins une modeste marge de manoeuvre à la Ville. Ainsi, depuis juin dernier, concurremment aux arrondissements, la Ville peut à nouveau prendre l'initiative d'une modification au plan d'urbanisme ou encore, après justification, s'attribuer une compétence comme le déneigement, mais sous condition d'un vote favorable des deux tiers des voix des élus si cela excède deux ans!
L'exemple le plus ironique est certainement la demande du maire de Montréal, accordée par Québec, de devenir lui-même un maire d'arrondissement, en l'occurrence l'arrondissement Ville-Marie, afin d'intervenir plus efficacement sur son centre-ville!
Alors que faire?
D'abord, se rappeler que cela durera jusqu'à ce qu'une majorité de Montréalais décideront qu'ils en ont assez, et le temps que des amendements à la Charte de la Ville de Montréal soient adoptés par l'Assemblée nationale. [...]
Il n'en tient qu'à nous de secouer le sentiment de fatalité devant le démembrement de notre ville. Il n'en tient qu'aux citoyens que nous sommes de sensibiliser et même d'alerter l'opinion publique sur le caractère dysfonctionnel de notre ville, son démantèlement et l'absolue nécessité de revenir à la normale. Il n'en tient qu'à nous de réclamer de tous les candidats, lors de la prochaine élection municipale, un engagement ferme pour un examen indépendant, crédible, non partisan et accéléré de la gouvernance et des conditions optimales de relance de Montréal.
Le texte complet sur [www.arrondissement.com->www.arrondissement.com].
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Louise Harel, Membre de l'Assemblée nationale (1981-2008) et ministre d'État aux Affaires municipales et à la Métropole de 1998 à 2002


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