C’est d’un « acte de volonté » qu’est né le Canada, affirme Michael Ignatieff dans son livre Terre de nos aïeux (1). Cette naissance survient, dit-il, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque le vaste territoire des colonies britanniques en Amérique du Nord est harnaché par la construction d’un chemin de fer transcontinental, rapprochant « Londres [impérial] des antipodes ».
L’auteur rentre au Canada après plus de vingt ans d’absence et une carrière intello-médiatique internationale. Il a notamment dirigé, de 2000 à 2005, un centre de recherche sur les droits humains à Harvard. Il fut alors le supporter liberal, de centre gauche, de la politique conservatrice du président américain George W. Bush dans les pages du New York Times. Il exprimait déjà cette nostalgie pour un centre fort, pour une métropole construisant et reconstruisant les institutions des provinces turbulentes. Ignatieff préside désormais le Parti libéral du Canada, la principale force d’opposition au gouvernement minoritaire du premier ministre conservateur Stephen Harper, dont il voudrait bien occuper le poste.
Ignatieff veut renforcer les liens distendus d’un pays né sans que les deux communautés nationales, francophone et anglophone, soient réconciliées. La synthèse n’a jamais été qu’épisodique, lorsque le pays, au XIXe siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, s’est mis au service de l’Empire britannique ; puis durant l’âge d’or de la diplomatie canadienne, au cours des années 1950, lorsqu’il a trouvé un sens commun en se projetant sur la scène internationale. Il a alors participé à la fondation des Nations unies, de l’Alliance atlantique et des casques bleus, dont la création valut à Lester B. Pearson, premier ministre de l’époque, le prix Nobel de la paix en 1957. Hélas, Ignatieff ne parvient pas à dessiner un tel horizon.
C’est aussi à l’unité canadienne que travaille Rudyard Griffiths, un intellectuel issu d’un think tank (« boîte à idées ») torontois. Comme Ignatieff, il regarde les années 1950 avec nostalgie. Mais, plutôt que de s’appuyer sur le multilatéralisme pour redorer le lustre canadien, il estime, dans Who We Are. A Citizen’s Manifesto (2), que le Canada peut s’affirmer comme une « superpuissance de l’immigration ». C’est oublier qu’en 1952 une loi a été adoptée qui permettait à l’Etat de rejeter le dossier d’un candidat à l’immigration sur des bases ethniques. Aujourd’hui encore, le pays continue de « blanchir » son immigration avec un système à points qui privilégie les diplômés et prive ainsi les pays en voie de développement d’une précieuse matière grise. Cette politique migratoire visant les classes moyennes libérales empêche le Canada de sombrer dans le « sectarisme », bête noire de Griffiths — l’affirmation de toute autre identité, qu’elle soit musulmane, québécoise ou autochtone.
Dans les relations internationales, le Canada cherche également à consolider son unité. La France joue un rôle-clé dans cette recherche, explique Justin Massie (3). Le « Vive le Québec libre ! » lancé par le général de Gaulle en 1967 résonne toujours à Ottawa, où Paris est perçu comme un élément perturbateur. Mais, pour la classe politique canadienne, le soutien de la France en politique étrangère est considéré comme un levier efficace pour obtenir l’adhésion des Québécois, souvent opposés aux projets internationaux canadiens. L’atlantisme de M. Nicolas Sarkozy et son abandon de la posture gaulliste à l’égard du Québec semblent vécus comme un apaisement. La bonne entente entre Paris, Londres, Washington et Ottawa, notamment sur l’Afghanistan, est aussi un gage de cohésion nationale. A Ottawa survit la « profonde conviction que l’unité transatlantique est directement reliée à l’unité nationale », souligne Massie. Un consensus au sommet qui assure l’ordre en périphérie.
Marc-Olivier Bherer.
Marc-Olivier Bherer
Journaliste.
(1) Michael Ignatieff, Terre de nos aïeux, Boréal, Montréal, 2009, 208 pages, 22,95 dollars canadiens.
(2) Rudyard Griffiths, Who We Are. A Citizen’s Manifesto, D&M Publishers, Vancouver, 2009, 224 pages, 29,95 dollars canadiens.
(3) Justin Massie, « A special relationship ? The importance of France in Canadian foreign policy », dans Robert Bothwell et Jean Daudelin (sous la dir. de), Canada Among Nations, 2008 : 100 Years of Canadian Foreign Policy, McGill-Queen’s University Press, Kingston (Ontario), 2008, 400 pages, 29,95 dollars canadiens.
Immigration, unité nationale, diplomatie
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