Essais québécois

Portrait de Joseph Facal en toréro

Livres-revues-arts 2011



Joseph Facal n’aime pas qu’on l’associe à la droite.

Photo : Source bazzo.tv

Joseph Facal est un intellectuel au sens sartrien du terme. Dans son célèbre Plaidoyer pour les intellectuels, en effet, Sartre définit ces derniers comme des personnes «ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l'intelligence [...] et qui abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et critiquer la société et les pouvoirs établis au nom d'une conception globale [...] de l'homme». Sociologue de formation, professeur à HEC Montréal et ancien ministre dans le gouvernement du Québec, Joseph Facal, depuis quelques années, dans le Journal de Montréal (même pendant le lock-out), à Bazzo.tv et ailleurs, applique ce programme en se prononçant sur tous les enjeux sociaux. On peut, bien sûr, ne pas partager sa vision du monde, mais on ne peut pas ne pas reconnaître son importante contribution au débat public québécois.
Le Québec ne manque ni d'experts compétents, ni de chroniqueurs de talent, ni de gérants d'estrade, mais il compte peu d'intellectuels à l'européenne, capables de combiner les trois statuts précédents pour faire entendre une voix forte qui se mêle un peu de tout et donne le ton aux débats. Facal en est un.
Une année en Espagne, son plus récent essai, illustre à merveille la posture intellectuelle facalienne. Conçu comme une sorte de journal de séjour hispanique, il contient des considérations sur la politique, l'économie, la culture et l'école espagnoles, qui en inspirent d'autres, sur leurs équivalents québécois. Joyeux, curieux, informé et engagé, Facal y transforme toutes ses expériences en occasions de réflexion et se sert de sa distance par rapport au Québec pour «voir avec beaucoup plus de clarté ce que les Québécois ont d'unique, mais aussi ce qu'ils partagent avec les autres peuples du monde».
En année sabbatique de HEC Montréal, Facal a vécu à Madrid de juillet 2009 à juillet 2010, en compagnie de sa famille, c'est-à-dire sa femme, deux jeunes enfants et un golden retriever. Il y a enseigné à l'Université Carlos III et en a profité pour visiter le pays de ses ancêtres. Facal, en effet, est né en Uruguay et a émigré au Québec en 1970, mais ses ancêtres sont d'origine espagnole. «On m'a fait visiter le cimetière du village, où reposent plusieurs de mes ancêtres, écrit-il après une visite à Oca. Je n'ai malheureusement pas le talent d'écrivain qu'il faudrait pour exprimer les sentiments qui m'ont envahi.»
Il ne faut pas trop le croire. S'il n'est pas lyrique, le style de Facal est cependant limpide, efficace et non sans élégance. Quand il raconte ses visites à Saint-Jacques-de-Compostelle, situé dans la région de ses ancêtres, à Tolède, la ville du Greco, à Barcelone, celle de l'architecte Gaudi, et au Prado, le célèbre musée de Madrid, notre guide est instructif et entraînant. «La beauté, écrit-il en amateur d'art comblé, la vraie, est une drogue dure.»
Sagesse de la corrida
Il semble que la corrida, une tradition mise à mal par les défenseurs des animaux, l'ait aussi envoûté. La société québécoise, profondément «moumounisée», écrit Facal, a peur de la mort et la cache. Pour les Espagnols, au contraire, «la mort est une compagne familière», et la corrida ne serait pas étrangère à cette sagesse. Facal, reprenant les arguments d'un écrivain espagnol, en parle comme d'un grand art, créateur de héros populaires (les toréros) et porteur de «l'attitude typiquement espagnole face à la vie: accepter sereinement que l'homme est fondamentalement seul face à la mort, qui peut frapper à tout moment, et qu'il faut savoir affronter cette dernière avec stoïcisme». Pour apprendre cela, la philosophie ne suffit-elle pas? «Moins on comprend, plus on juge», réplique Facal.
Moqueur à l'égard de la télé espagnole, la pire du monde, dit-il, Facal admire toutefois le «sens aigu de l'histoire» de ce peuple, qu'il ne retrouve pas chez nous. «Les Espagnols, écrit-il, considéreraient comme un twit fini le politicien qui dirait que, dans [un contexte économique difficile], il faut prioriser [sic] les "vraies affaires" pour justifier de reléguer l'histoire et la culture au dernier rang.»
L'Espagne a été durement frappée par la crise économique. Le taux de chômage, en 2009, s'élève à 18 %, et le déficit public explose. Facal saute sur l'occasion pour nous resservir le credo économique qu'il propose au Québec depuis des années: baisse des impôts, hausse des tarifs et de la taxe de vente, fin de l'endettement, productivité accrue et performance éducative. Il en profite pour rappeler que la société québécoise aurait vécu au-dessus de ses moyens et qu'il «faudra aller là où se trouve vraiment l'argent: dans le système de santé, dans les garderies à 7 $, dans l'électricité, dans la taxe de vente, dans toutes ces vaches sacrées auxquelles vous ne voulez pas qu'on touche».
Un homme de droite
Facal n'aime pas qu'on l'associe à la droite. Pourtant, il reprend aveuglément toutes les solutions économiques de ce camp et rejette du revers de la main celles de la gauche. Peut-il nous dire quand donc les Québécois ordinaires auraient ambitionné? En se payant collectivement des soins de santé, des écoles et des garderies? Méchants abus! «Depuis trois décennies, écrivait récemment l'historien Jacques Rouillard dans Le Devoir, les salariés n'augmentent pas leur pouvoir d'achat, même si, en général, la croissance économique est au rendez-vous. [...] La richesse se crée, mais les travailleurs salariés n'en voient pas la couleur.» Et l'argent du règlement du déficit serait dans les garderies et dans les poches des étudiants? Il n'y a pas que la beauté, semble-t-il, qui soit une drogue dure; l'idéologie aussi!
Inspiré par les exemples de la Catalogne et du Pays basque, Facal redit sa conviction que la défense des identités nationales reste pleinement d'actualité, plaide avec brio en faveur de la souveraineté du Québec, exprime avec force son rejet du chantage moral multiculturel «qui veut nous faire croire qu'il serait mal d'asseoir les règles collectives sur les valeurs de la majorité» et défend avec émotion une conception plutôt traditionnelle de l'école.
Toréro dans l'arène du débat d'idées, Joseph Facal agite avec panache le chiffon rouge.
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louisco@sympatico.ca
Une année en Espagne
_ Joseph Facal
_ VLB
_ Montréal, 2011, 160 pages


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