Il est maintenant clair que les coûts du projet d’hôpital universitaire au 1000, Saint-Luc dépassent de loin ceux estimés à l’époque trop élevés tant pour le 6000, Saint-Denis que pour le site Outremont, et cela, même si l’on ajoute à ces estimations des augmentations dues à l’inflation et au loyer de l’argent.
[Notre collègue Alain Noël->33449], professeur de science politique, nous fait l'honneur de critiquer notre bouquin, [Le CHUM, une tragédie québécoise->30653]. Nous en sommes honorés. Mais devant pareille analyse un peu courte, nous sommes aussi profondément gênés. Notre collègue gomme de grands pans de notre analyse. Facile alors de soutenir que notre logique en est une qui nie que la partie adverse ait pu avoir des arguments. Nous n'aurions pas compris que des principes et des idées aient pu motiver ceux qui défendaient un point de vue opposé au nôtre. Critique experte d'un professeur de science politique ou mauvaise copie d'élève?
Notre collègue aurait découvert que le CHUM est plus qu'un hôpital! Mais bien au-delà d'une question d'emplacement, c'est précisément parce qu'il s'agit d'un grand projet de société que nous nous sommes attardés à comprendre pourquoi, en deux occasions bien distinctes, ce qui nous semblait le meilleur projet de société en tant que nouvel hôpital universitaire n'a pas été retenu. Bien sûr, hier comme aujourd'hui, des acteurs fortement concernés appuient le projet de CHUM en cours de réalisation. Bien sûr, il verra le jour. Bien sûr, et nous l'avons écrit, une fois complété, ce sera certes un plus par rapport à l'état actuel du CHUM.
Mais la question n'est pas là. Il s'agit plutôt de savoir si avec l'ampleur des investissements consentis et des moyens mis en oeuvre nous obtiendrons le meilleur projet de société accessible en tant qu'hôpital universitaire pour la médecine académique et la pratique des soins de demain, pour la formation des futurs professionnels de la santé, et pour les retombées scientifiques attendues d'une technopole santé et savoir. Autrement dit, en aurons-nous pour notre argent et pour nos efforts? Nous croyons que non, d'où notre volonté de comprendre pourquoi de meilleurs projets ont été rejetés.
Rejet du 6000, Saint-Denis
Les premiers chapitres de notre livre démontrent tous les efforts d'expertise qui ont été déployés, au tournant des années 2000, pour concevoir et planifier non seulement l'emplacement, mais le plan clinique, la formation des professionnels de demain et les retombées en ce qui touche les soins et les réalisations scientifiques du nouvel hôpital universitaire. Le gouvernement Bouchard décide alors de le construire au 6000, Saint-Denis. Les travaux de la Société d'implantation du CHUM obtenaient l'aval tant de l'Université que du CHUM: un CHUM pavillonnaire au 6000, Saint-Denis était la carte gagnante.
Favorisé par l'alternance au pouvoir des partis politiques, vint alors le tournant majeur provoqué par le ministre de la Santé, Philippe Couillard, et le gouvernement Charest. Tournant qui indéniablement portera les marques d'un interventionnisme autoritaire du ministre et de son ministère. Le document fondateur expliquant les principes et les idées à la base de ce tournant stratégique, soit au dire même du ministre le rapport de la commission Mulroney-Johnson, devait retenir notre attention.
Nous y avons consacré deux chapitres. L'un d'entre eux examine attentivement les arguments relatifs à la médecine académique; à la fonctionnalité, l'expansion et les dimensions risques et sécurité du site; et aux coûts qui fondent le rejet du 6000, Saint-Denis et favorisent le 1000, Saint-Denis. Ils nous semblent manquer de rigueur. Parce que nous les rejetons, l'on ne peut soutenir que nous nions l'existence des arguments et des rationalités contraires aux nôtres. Notre collègue Noël ne souffle pas mot de cette partie de notre analyse; elle fonde pourtant notre conclusion selon laquelle cette rationalité-là n'aurait pas dû être retenue.
Puis le ministre de la Santé, pour rallier les médecins déçus du nombre de lits recommandés par la commission Mulroney-Johnson, accepte de porter à 700 les lits de Saint-Luc. Et comment y arriver en respectant l'enveloppe budgétaire consentie tout en maintenant, comme il le confirme à moult reprises, son option favorable au 1000, Saint-Denis? En combinant rénovation de l'établissement et construction neuve.
Analyse adéquate?
Philippe Couillard consentira néanmoins à ce que le projet de rénovation et de construction pour le 1000, Saint-Denis qu'il entend défendre soit toutefois comparé à une seule autre option. Notre bouquin explique alors comment est graduellement apparue l'hypothèse de la gare d'Outremont comme lieu optimal pour développer le projet de société du nouvel hôpital universitaire sous forme d'une technopole santé et savoir. Les adversaires de ce projet défendaient l'idée que Saint-Luc, rénové et construit à neuf, pouvait accueillir pareille technopole à meilleurs coûts, dans un espace plus adéquat et sécuritaire, présentait de bonnes possibilités de futures expansions et était mieux à même de desservir les besoins en répartition de lits pour les régions visées de Montréal.
Des sections entières de notre volume s'attardent aux documents et rapports, puis aux interventions faites notamment par les autorités du CHUM, y compris à la commission parlementaire spéciale de 2005, qui présentent sous ce jour le projet du 1000, Saint-Denis. Nous détaillons pourquoi les analyses comparatives, menées par Armand Couture et Guy Saint-Pierre, des sites Saint-Luc et Outremont sont nettement favorables au site Outremont.
Après examen en plus de présentations et remarques faites en commission parlementaire par des intervenants traitant des coûts; de fonctionnalité, de sécurité, d'expansion de sites; de répartition des lits; de facilité de réalisation d'une vraie technopole de la santé et du savoir, nous concluons aussi, à l'instar d'autres intervenants, que le site Outremont est plus approprié pour recevoir pareille technopole que le site Saint-Luc.
Projet de société et controverse publique
Loin de faire silence sur les arguments et les rationalités des parties adverses, nous avons plutôt soutenu que des questions cruciales sur les conditions de réalisation d'un hôpital universitaire au 1000, Saint-Denis ont systématiquement été évacuées. Comme bien d'autres, nous avons par exemple été sidérés que le ministre Couillard opte pour Saint-Luc, notamment parce qu'une rénovation partielle de l'établissement permettrait d'y construire le futur hôpital universitaire à moindre coût.
La réalité, comme nous le notons dans notre bouquin, l'a rejoint: la rénovation trop problématique a dû être abandonnée. Il est maintenant clair que les coûts du projet d'hôpital universitaire au 1000, Saint-Luc dépassent de loin ceux estimés à l'époque trop élevés tant pour le 6000, Saint-Denis que pour le site Outremont, et cela, même si l'on ajoute à ces estimations des augmentations dues à l'inflation et au loyer de l'argent.
Une vive controverse publique, atypique en ce que le pouvoir politique décisionnel était lui-même fortement divisé sur la question, a opposé les projets Saint-Luc et Outremont. Dans ce contexte, nous avons déploré, il est vrai, en ce qui touche essentiellement aux médias et à la scène de l'opinion publique de cette dernière période de la saga du CHUM, que le débat n'ait pas échappé à l'expression facile de symboles, d'idéologies, d'images-chocs. Il nous semble que cela ait été fait au détriment de la gravité des enjeux et de la complexité des questions à traiter pour le meilleur des intérêts de la collectivité québécoise et montréalaise. Nous continuons à croire que le débat public tel que traduit dans les médias n'a certes pas été à la hauteur de ce qu'exigeaient la conception, la planification, le choix du site d'un tel projet de société.
Comme nous y autorise le Larousse, nous avons qualifié de «tragédie» la série d'événements problématiques et nuisibles relative au projet de Centre hospitalier de l'Université de Montréal. Elle a entre autres mené à ce que, par deux fois pour cet hôpital universitaire nouveau, le meilleur projet de société possible compte tenu des ressources et des moyens dont nous disposions n'ait pu être retenu. Nous laissons aux autres le soin d'appeler cela ou non une tragédie... grecque. Nous souhaiterions toutefois plus de rigueur dans l'identification de ses «héros à punir pour orgueil et démesure».
***
Robert Lacroix et Louis Maheu - Professeurs émérites de l'Université de Montréal et auteurs de [Le CHUM, une tragédie québécoise ->30653]
Réplique à Alain Noël
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé